"Airpocalypse" transforme l'air des grandes villes chinoises en une sorte d'attaque chimique chronique et massive. Pendant ce temps, les questions écologiques prennent une nouvelle et forte impulsion politique. En même temps, la Chine devient également un leader mondial de la transformation numérique. En d'autres termes, deux grandes dynamiques traversent la Chine en même temps : le développement gigantesque de sa transformation numérique et la nécessité et la volonté de devenir une "civilisation écologique", afin de changer sa situation environnementale et sanitaire actuellement dangereuse pour une nouvelle approche de son développement écologique et numérique. Tout cela se produit en période de crise mondiale du climat, de la pollution et de la biodiversité, ainsi qu'en période de course internationale à la puissance numérique.

 

Résumé

La Chine est en train d'entremêler sa révolution numérique avec son projet politique de "civilisation écologique". Cette dynamique est créée afin de gérer et d'atténuer à la fois la menace massive de la dégradation environnementale et sanitaire de l'"Empire du Milieu" et l'énorme exode rural et le développement urbain. Ceci est devenu une nécessité stratégique en raison des conséquences sociales, environnementales et sanitaires de la pollution qui transforme l'air chinois en "airpocalypse".

L'énorme développement numérique de la Chine est ainsi utilisé pour créer de nouvelles conditions pour expérimenter des "villes intelligentes", des "routes intelligentes" et d'autres infrastructures, afin de trouver de nouvelles formes adéquates de développement urbain. Parallèlement, les énergies renouvelables sont promues avec d'immenses ressources technologiques et financières. En conséquence, l'exode rural vertigineux est de plus en plus canalisé vers des villes durables.

La grande stratégie écologique numérique chinoise est le moyen pour la Chine de commencer à s'adapter aux défis dangereux intérieurs qui se sont accumulés dans son propre tissu social et économique. Il semble qu'en attendant, la Chine doit trouver les moyens nécessaires pour réduire sa consommation d'énergie carbonée. Cette stratégie entraîne également une gigantesque révolution urbaine, technologique et industrielle, qui fait de la Chine un possible leader mondial en matière d'énergie propre, de voitures électriques et intelligentes ainsi que de développement urbain. Il faut s'attendre à des implications mondiales en termes environnementaux et géoéconomiques.

Article complet 2016 mots - environ 6,5 pages

 

Dans cet article, nous allons voir comment les deux dynamiques constituées par le développement massif de la transformation numérique chinoise et le besoin et la volonté des Chinois de devenir une "civilisation écologique" sont en train de remodeler la manière dont la Chine entend se développer au cours du 21st siècle et pourrait faire de l'"Empire du Milieu" une puissance stratégique singulièrement originale.

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Dans une première partie, nous nous concentrerons sur l'ampleur du problème écologique auquel la Chine est confrontée et nous exposerons brièvement les décisions prises pour remédier au danger qui en résulte. Ensuite, dans le contexte du gigantesque exode rural chinois et du développement urbain qui en découle, nous verrons comment le monde numérique est effectivement utilisé pour atténuer les dangers écologiques, et donc comment les révolutions numérique et écologique s'entremêlent. Enfin, nous examinerons la manière dont cette évolution transforme le statut stratégique même de la Chine.

Sortir du cauchemar écologique

Comme nous l'avons vu dans "La Chine numérique - le royaume (moyen) de l'Internet" (Jean-Michel Valantin, The Red Team Analysis Society(26 juin 2017), la Chine devient littéralement une "nation numérique" par son extension et son maintien dans le cyberespace. Cependant, alors que la Chine s'installe dans ce nouvel environnement artificiel qu'est la cybersphère ("La transformation numérique de la Chine : L'impact d'Internet sur la productivité et la croissance"., Institut mondial Mc Kinsey(2014), elle souffre beaucoup des impacts environnementaux involontaires de son propre développement et de la combinaison de ce dernier avec la crise climatique et biologique planétaire actuelle.

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Ces crises environnementales et sociales connexes s'expriment par les niveaux extrêmement élevés de pollution atmosphérique, connus sous le nom d'"airpocalypse", ainsi que par la pollution de ses eaux et de ses sols.

En effet, le développement économique et social de la Chine repose sur la façon dont elle produit de l'énergie pour sa population, ses villes en plein essor et son industrie. 75% de la production d'électricité de la Chine est basée sur le charbon. La Chine produit 46% de la production mondiale de charbon, et représente 49% de la consommation mondiale de charbon. Le développement intérieur de la Chine dépend du charbon, la consommation de ce dernier ayant augmenté de 2,3 milliards de tonnes en dix ans (Joseph Ayoub, "La Chine produit et consomme presque autant de charbon que le reste du monde réuni”, Aujourd'hui dans Énergie, US Energy Information Administration14 mai 2014).

En conséquence, la Chine est le premier émetteur de gaz à effet de serre, étant responsable de 30% d'émissions mondiales (Craig Simons, Le dragon dévorant, comment l'essor de la Chine menace notre monde naturel, 2013).

Cette explosion de l'utilisation du charbon va de pair avec l'énorme tendance mondiale de la croissance urbaine chinoise contemporaine. En 2012, la population urbaine chinoise a commencé à dépasser la population rurale lorsqu'elle a atteint près de 691 millions de personnes, sur un total de 1300 millions de personnes (Jaime A. Forcluz, "L'explosion urbaine de la Chine : un 21st Le défi du siècle”, CNN20 janvier 2012). L'organisation et le développement social, urbain, économique et politique de la Chine contemporaine sont basés sur le charbon en raison des nouveaux besoins du pays qui en résultent, alors que la Chine est riche en charbon et se méfie des dépendances créées par les importations de pétrole.

Cependant, cette dépendance au charbon transforme le boom chinois en un piège mortel sur le plan socio-environnemental, tant au niveau national que mondial. Les rejets atmosphériques du charbon polluent l'air, au point de mettre en danger la santé et la vie quotidienne de centaines de millions de citoyens chinois. En effet, chaque année, entre 350 000 et 500 000 personnes pourraient mourir prématurément à cause de la pollution de l'air, alors que le nombre de maladies liées à cette pollution, notamment chez les enfants, augmente rapidement (Malcolm Moore, "L'"Airpocalypse" chinoise tue 350 000 à 500 000 personnes chaque année”, Le télégraphe7 janvier 2014).

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En outre, certains scientifiques chinois comparent maintenant le smog permanent aux "conséquences d'un hiver nucléaire" : la poussière de charbon adhère et rend ainsi opaques les surfaces des serres, diminuant de 50% la quantité de lumière solaire reçue et nécessaire pour la culture des légumes, ce qui pourrait, à son tour, menacer la sécurité alimentaire et sanitaire du pays (Jonathan Kaiman, "La pollution atmosphérique toxique de la Chine ressemble à l'hiver nucléaire, selon les scientifiques“, The Guardian25 février 2014).

Entre-temps, l'Empire du Milieu est devenu l'un des principaux pays à l'origine du changement climatique (Simons, Ibid).

Face à l'ampleur stupéfiante de la menace écologique, sociale, économique et sanitaire massive, les autorités politiques chinoises élaborent un réajustement profond du modèle de développement chinois actuel à travers une approche collective appelée "civilisation écologique", qui est fortement mise en œuvre (Xinhua, "Xi est à la tête de la civilisation écologique”, China Daily22 mars 2017). Cette nouvelle et vigoureuse approche intègre largement le développement numérique gigantesque de l'Empire du Milieu, et est conçue comme un moyen de "domestiquer" les conséquences des changements urbains et démographiques chinois.

Vers la révolution numérique et écologique chinoise ?

Depuis 1980, la Chine est passée d'un pays largement rural, où 81% de la population vivaient dans les campagnes, à un pays en pleine urbanisation, où, en 2013, 54% de ses 1,4 milliard d'habitants vivaient dans les zones urbaines (Thierry Sanjuan, Atlas de la Chine, Une grande puissance sous tensionAutrement, 2015).

En d'autres termes, la révolution urbaine chinoise entraîne la transformation de la société chinoise, tout en devenant la matrice de la dynamique de la pollution et de la dégradation de l'environnement. Pendant ce temps, les tensions sociales s'intensifient, dans une période de croissance économique sans précédent. L'objectif stratégique des autorités politiques chinoises est donc de gérer l'urbanisation de son pays continental, tout en atténuant profondément les conséquences socio-environnementales dangereuses de cette dernière ("Xi souligne les efforts pour construire une civilisation écologique”, Xinhua28 août 2017).

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Étant donné la rapidité et l'ampleur de la crise environnementale, les autorités politiques, industrielles et urbaines expérimentent de nouvelles façons de gérer ces défis interdépendants, grâce à des "villes intelligentes" en évolution numérique. Il s'agit d'approches transformationnelles de la vie urbaine collective et individuelle par l'utilisation intelligente de grandes données pour gérer les flux d'eau, d'énergie, de déchets et de nourriture ("Les "villes intelligentes" chinoises seront au nombre de 500 avant fin 2017”, China Daily21 avril 2017). La nécessité de ces nouvelles approches environnementales découle de l'ampleur du développement urbain en Chine (Harold Thibault, "Les villes chinoises font le ménage”, Le Monde, 29-05-2017).

En 2015, dans le cas de Shanghai, le nombre de voitures a augmenté de plus de 13%, atteignant le total stupéfiant de 2,5 millions de voitures dans une mégapole de 25 millions de personnes. Afin d'atténuer l'impact du flux de voitures sur l'atmosphère, les autorités municipales utilisent de nouvelles technologies de "rues intelligentes". Par exemple, l'autoroute Ningbo-Hangzhou-Shanghai, empruntée quotidiennement par plus de 40 000 voitures, est équipée d'un cyber-réseau permettant aux conducteurs de payer les péages à l'avance avec leur smartphone. Cette application permet une diminution significative de la pollution, car les files de milliers de voitures s'arrêtant devant les péages sont réduites ("Les "villes intelligentes" chinoises seront au nombre de 500 avant fin 2017”, China Daily21 avril 2017).

Dans les villes intelligentes chinoises, des tours entières sont équipées de systèmes de cybergestion de l'énergie et de l'eau. Les capteurs de chaleur, d'humidité et de pollution prolifèrent et interagissent afin d'informer les systèmes de gestion, les autorités et les citoyens en cas, par exemple, de pic de pollution (Corinne Reichert, "Huawei lance une démo de la ville intelligente”, ZD Net12 septembre 2017). Cette dynamique s'accompagne de l'incroyable fonds chinois de 360 milliards de dollars créé pour soutenir le développement des technologies et des énergies propres (Fortune editors et Reuters, "Voici combien d'argent la Chine consacre aux énergies renouvelables“, Fortune5 janvier 2017).

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Ces systèmes sont étroitement liés à la croissance de l'"internet des choses" et donc au développement du haut débit 5G, qui est actuellement expérimenté dans plus de 100 villes en Chine, soit par plus de 250 millions de personnes (Bien Perez, Jennifer Li, "La Chine va lancer des essais d'équipements mobiles à large bande 5G dans 100 villes”, South China Morning Postle 5 octobre 2016 et Simon Alexander, "La montée de la sinosphère et la route de la soie numérique”,DCX. Technologie2 février 2017). Fin 2017, plus de 500 centaines de "villes intelligentes" pourraient être recensées en Chine, 95% des capitales provinciales étant "intelligentes".

En observant de près ce développement de la Chine numérique et la multiplication des villes intelligentes, on remarque qu'il coïncide également avec la volonté politique de "canaliser" l'exode rural explosif vers des villes de taille petite ou moyenne, gérables. En d'autres termes, les 250 millions de personnes qui devraient se déplacer vers les villes entre la fin de 2017 et 2026 (Chris Weller, "Voici le plan génial de la Chine pour déplacer 250 millions de personnes des fermes vers les villes”, Initié aux affairesLe programme de la Commission européenne (5 août 2015) va s'adresser aux petites villes et aux capitales de province, qui, soit dit en passant, deviennent des "villes intelligentes". Cette politique vise également à réduire la croissance des mégalopoles chinoises déjà encombrées de plus de dix millions d'habitants - comme Pékin (21,5 millions d'habitants), Shanghai (25 millions), et les zones urbaines qui les entourent - et du réseau de très grandes villes où vivent plus de 5 à 10 millions de personnes. En effet, le problème est que ces très grandes villes et mégalopoles ont atteint des niveaux très dangereux de pollution de l'eau et de l'air, d'où la "airpocalypse", créée par le mélange nocif des fumées des voitures et des gaz d'échappement des usines à charbon.

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Ainsi, canaliser la croissance démographique urbaine vers les petites et moyennes villes, qui sont transformées en "villes intelligentes", est un moyen de transformer la croissance sociale, démographique et économique de la Chine en un phénomène "encore" gérable et durable.

Cette stratégie est le contexte même d'où émerge le projet d'interdire les voitures à carburant dans les villes d'ici 2040, et de les remplacer par des "voitures intelligentes" électriques, connectées à la fois aux "rues intelligentes" et aux réseaux de capteurs environnementaux par le biais de la 5G (Kenneth Rapoza, "Pour promouvoir les voitures électriques, la Chine envisage de passer aux voitures à essence”, Forbes11 septembre 2017).

En d'autres termes, les stratégies de développement numérique et durable sont interconnectées et visent à rétablir l'équilibre dans le tissu même du développement chinois actuel.

La transition numérique écologique chinoise : une stratégie internationale et planétaire

La grande stratégie écologique numérique chinoise est le moyen pour la Chine de commencer à s'adapter aux défis dangereux intérieurs qui se sont accumulés dans son propre tissu social et économique, tout en se donnant les moyens nécessaires pour réduire sa consommation d'énergie carbonée. Ainsi, elle soutient l'engagement chinois à atténuer le changement climatique planétaire qui menace le monde entier, sachant que la Chine est vulnérable à ses impacts majeurs, tels que l'élévation du niveau des océans et ses conséquences sur le cycle de l'eau (Jean-Michel Valantin, "L'Arctique, l'ambition énergétique de la Russie et de la Chine”, The Red Team Analysis Societyfévrier 2015).

La stratégie chinoise entraîne également une gigantesque révolution urbaine, technologique et industrielle, qui fait de la Chine un possible leader mondial dans le domaine de l'énergie propre, des voitures électriques et intelligentes et du développement urbain. Par conséquent, la Chine peut se positionner au "milieu" des grandes tendances de la mondialisation. En effet, les voitures intelligentes et électriques constituent la "nouvelle frontière" de l'industrie automobile qui soutient l'économie des grandes puissances économiques telles que les États-Unis, le Japon et l'Allemagne (Michael Klare, Sang et pétrole, 2005). L'émergence de la Chine en tant que fournisseur de "voitures électriques et intelligentes" pourrait avoir des implications massives pour le développement industriel et économique de ces pays. Et cela est vrai tant d'un point de vue civil que militaire, puisque le moteur à carburant a été utilisé pour ces deux activités. Il en sera certainement de même pour les véhicules électriques et intelligents.

Enfin, la transition énergétique chinoise est étroitement liée au remplacement du charbon par le gaz naturel comme combustible pour les milliers de centrales énergétiques de la Chine. Cela implique les récents contrats et investissements énergétiques géants entre la Russie et la Chine, qui créent littéralement une nouvelle région géopolitique sino-russe. Dans le même temps, les utilisations de l'énergie sont liées au développement de "réseaux intelligents" et d'infrastructures intelligentes.

Il reste maintenant à voir comment cette transformation écologique et numérique est "câblée" autour du développement de l'intelligence artificielle.

À propos de l'auteur: Jean-Michel Valantin (PhD Paris) dirige le département Environnement et Géopolitique de la Société d'analyse (équipe) rouge. Il est spécialisé dans les études stratégiques et la sociologie de la défense, avec un accent sur la géostratégie environnementale.

Publié par Dr Jean-Michel Valantin (PhD Paris)

Le Dr Jean-Michel Valantin (PhD Paris) dirige le département Environnement et Sécurité du Red Team Analysis Society. Il est spécialisé dans les études stratégiques et la sociologie de la défense avec un accent sur la géostratégie environnementale. Il est l'auteur de "Menace climatique sur l'ordre mondial", "Ecologie et gouvernance mondiale", "Guerre et Nature, l'Amérique prépare la guerre du climat" et de "Hollywood, le Pentagone et Washington".

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