Le sommet mondial de l'intelligence artificielle (IA) a eu lieu à Singapour les 3 et 4 octobre 2017 (Sommet de l'IA à Singapour). Si l'on suit cette tendance mondiale à accorder une grande importance à l'IA, on peut noter la convergence entre l'intelligence artificielle et l'émergence de "villes intelligentes" en Asie, notamment en Chine (Imran Khan, "L'Asie mène la charge des "villes intelligentes", mais nous n'en sommes pas encore là.”, TechinAsia, 19 janvier 2016). Le développement de l'intelligence artificielle se combine en effet avec l'urbanisation actuelle de la population chinoise.

Cette "intelligentisation" des villes intelligentes en Chine est induite par la nécessité de maîtriser la croissance urbaine, tout en adaptant les zones urbaines aux défis émergents de l'énergie, de l'eau, de l'alimentation, de la santé, grâce au traitement des big data par l'intelligence artificielle (Jean-Michel Valantin, "Chine : Vers la révolution écologique numérique ?”, The Red Team Analysis Society, 22 octobre 2017). Réciproquement, le développement urbain intelligent est un puissant moteur, entre autres, du développement de l'intelligence artificielle (Linda Poon, "Ce que l'intelligence artificielle révèle sur les changements urbains?" City Lab, 13 juillet 2017).

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Dans cet article, nous nous concentrerons donc sur la combinaison de l'intelligence artificielle et des villes qui donne naissance aux "villes intelligentes" en Chine. Après avoir présenté cette combinaison à travers des exemples chinois, nous expliquerons comment cette tendance est mise en œuvre. Enfin, nous verrons comment le développement de l'intelligence artificielle au sein des dernières générations de smart cities bouleverse la géopolitique par la combinaison de l'industrie et de l'intelligentisation.

Intelligence artificielle et villes intelligentes

En Chine, la révolution urbaine induite par l'accélération de l'exode rural est intriquée avec la révolution du numérique et de l'intelligence artificielle. On peut le constater à travers le programme national de développement urbain qui transforme les "petites" (3 millions d'habitants) et les villes de taille moyenne (5 millions d'habitants) en villes intelligentes. Les 95 nouvelles villes intelligentes chinoises sont destinées à abriter les 250 millions de personnes qui devraient s'installer dans les villes entre fin 2017 et 2026 (Chris Weller, "Voici le plan génial de la Chine pour déplacer 250 millions de personnes des fermes vers les villes”, Initié aux affaires, 5 août 2015). Toutefois, ces 95 villes font partie des 500 villes intelligentes qui devraient être développées avant la fin de 2017 ("Les "villes intelligentes" chinoises seront au nombre de 500 avant la fin de 2017", China Daily, 21-04-2017).

Foule à HK

Afin de gérer les défis colossaux de ces villes gigantesques, l'intelligence artificielle a le vent en poupe. Le deep learning est notamment le type d'IA qui est utilisé pour rendre ces villes intelligentes. L'apprentissage profond est à la fois capable de traiter le flux massif de données généré par les villes et rendu possible par les flux à croissance exponentielle de ces big data - car ces mêmes données permettent à l'IA d'apprendre par elle-même, en créant, entre autres, les codes nécessaires pour appréhender de nouveaux types de données et de problématiques (Michael Copeland, "Quelle est la différence entre l'IA, l'apprentissage automatique et l'apprentissage profond ?”, Blog de NVIDIA, 29 juillet 2016).

Par exemple, depuis 2016, le gouvernement municipal de Hangzhou a intégré l'intelligence artificielle, notamment avec "city brain", qui permet d'améliorer l'efficacité de la circulation grâce à l'utilisation des flux de données volumineux générés par une myriade de capteurs et de caméras. Le projet "city brain" est mené par le géant de la technologie Alibaba. Cette "intelligentisation" de la gestion du trafic permet de réduire les embouteillages, d'améliorer la surveillance des rues et de réduire la pollution atmosphérique pour les 9 millions d'habitants de Hangzhou. Cependant, il ne s'agit que de la première étape avant de transformer la ville en une ville intelligente et durable (Du Yifei, "Hangzhou devient plus "intelligente" grâce à l'IA”, Quotidien du peuple, 20 octobre 2017).

"Intelligentiser les villes"

Grâce au développement de l'internet des objets (IoT), la convergence des infrastructures "intelligentes", de la gestion du big data, et de l'intelligence artificielle urbaine va être de plus en plus importante pour améliorer le trafic, et donc l'efficacité énergétique, la pollution de l'air et le développement économique (Sarah Hsu, "La Chine investit massivement dans l'intelligence artificielle et pourrait bientôt rattraper les États-Unis”, Forbes, 3 juillet 2017). L'expérience de Hangzhou est dupliquée à Suzhou, Quzhou et Macao.

Parallèlement, Baidu Inc, le plus grand moteur de recherche chinois, développe un partenariat avec la province du Shanxi afin de mettre en œuvre "city brain", qui vise à créer des villes intelligentes dans la province du nord, tout en améliorant la gestion des mines de charbon et le traitement chimique (".Baidu s'associe à la province du Shanxi pour intégrer l'IA à la gestion des villes”, Réseau monétaire chinois, 13 juillet). L'IA va donc être utilisée pour pallier à l'utilisation de cette énergie, qui est aussi responsable de l'"airpocalypse" chinoise (Jean-Michel Valantin, "L'Arctique, la Russie et la transition énergétique de la Chine”, The Red Team Analysis Society2 février 2017).

Dans le même temps, Tencent, une autre entreprise technologique chinoise gigantesque, multiplie les partenariats avec 14 provinces chinoises et 50 villes pour développer et intégrer des intelligences artificielles urbaines. Dans le même temps, le gouvernement de Hong Kong s'apprête à mettre en œuvre un programme d'intelligence artificielle pour faire face aux 21st les défis urbains, au premier rang desquels la gestion du développement urbain et les effets du changement climatique.

Baidu Campus2

En regardant de près ce développement de l'intelligence artificielle pour soutenir la gestion des villes chinoises et la multiplication des villes intelligentes, on constate que les deux coïncident également avec la volonté politique de réduire la croissance des mégapoles chinoises de plus de dix millions d'habitants déjà engorgées - comme Pékin (21,5 millions d'habitants), Shanghai (25 millions), et les zones urbaines qui les entourent - et du réseau des très grandes villes où vivent plus de 5 à 10 millions de personnes. En effet, le problème est que ces très grandes villes et mégapoles ont atteint des niveaux de pollution de l'eau et de l'air très dangereux, d'où l'expression "airpocalypse", créée par le mélange nocif des fumées des voitures et des gaz d'échappement des centrales à charbon.

De l'intelligentisation des villes chinoises à la "révolution de la voiture intelligente".

Cette stratégie chinoise de développement urbain centrée sur l'IA est également à l'origine d'une gigantesque révolution urbaine, technologique et industrielle, qui fait de la Chine un possible leader mondial dans le domaine des énergies propres, des voitures électriques et intelligentes et du développement urbain. Le développement des nouvelles générations de voitures intelligentes va donc être couplé aux dernières avancées en matière d'intelligence artificielle. Par conséquent, la Chine peut se positionner au "milieu" des grandes tendances de la mondialisation. En effet, les voitures électriques intelligentes constituent la "nouvelle frontière" de l'industrie automobile qui soutient l'économie de grandes puissances économiques telles que les États-Unis, le Japon et l'Allemagne (Michael Klare, Sang et pétrole, 2005), tandis que l'intelligence artificielle est la nouvelle frontière de l'industrie et le bâtiment du futur. L'émergence de la Chine en tant que fournisseur de "voitures électriques et intelligentes" pourrait avoir des implications massives pour le développement industriel et économique de ces pays.

Circulation dans le district de Huangpu, Shanghai 2007-10-27 1

En 2015, dans le cas de Shanghai, le nombre de voitures a augmenté de plus de 13%, atteignant le total stupéfiant de 2,5 millions de voitures dans une mégapole de 25 millions de personnes. Afin d'atténuer l'impact du flux de voitures sur l'atmosphère, les autorités municipales utilisent de nouvelles technologies de "rues intelligentes". Par exemple, l'autoroute Ningbo-Hangzhou-Shanghai, empruntée quotidiennement par plus de 40 000 voitures, est équipée d'un cyber-réseau permettant aux conducteurs de payer les péages à l'avance avec leur smartphone. Cette application permet une diminution significative de la pollution, car les files de milliers de voitures s'arrêtant devant les péages sont réduites ("Les "villes intelligentes" chinoises seront au nombre de 500 avant fin 2017”, China Daily21 avril 2017).

Siège du groupe Alibaba

Dans le même temps, le géant technologique Tencent, créateur de WeChat, l'énorme réseau social chinois, qui attire plus de 889 millions d'utilisateurs par mois ("2017 WeChat Users Behavior Report", Canal Chine, 25 avril 2017), développe un partenariat avec le Guangzhou automobile Group pour développer des voitures intelligentes. Baidu fait de même avec les Chinois BYD, Chery et BAIC, tout en lançant Apollo, la plateforme open source sur... Une intelligence alimentée par l'IA voitures. Alibaba, le géant du commerce électronique, avec plus de 454 millions d'utilisateurs au cours du premier trimestre de 2017 ("Nombre d'acheteurs actifs sur les sites de vente en ligne d'Alibaba du 2e trimestre 2012 au 1er trimestre 2017 (en millions)", Statista, Le portail statistique, 2017) développe un partenariat avec la marque chinoise SAIC motors et a déjà lancé le système Yunos, qui connecte les voitures au cloud et aux services internet. (Charles Clover et Sherry Fei Ju, "Tencent et Guangzhou s'associent pour produire des voitures intelligentes“, Financial Times, 19 septembre 2017).

Il faut garder à l'esprit que ces trois géants chinois de la tech connectent ainsi le développement de leurs propres services avec celui de l'intelligence artificielle, notamment avec celui des voitures intelligentes, dans le cadre de la transformation urbaine, numérique et écologique de la Chine. En d'autres termes, les "cerveaux urbains" et les "voitures intelligentes" vont devenir un immense "écosystème numérique" que les intelligences artificielles vont gérer, donnant ainsi à la Chine une avance technologique imposante.

Cela signifie que l'intelligence artificielle devient le support commun de la transformation sociale et urbaine de la Chine, ainsi que les voies et moyens de la transformation du réseau urbain chinois en villes intelligentes. C'est aussi une révolution scientifique, technologique et industrielle.

Cette révolution va se baser sur la nouvelle répartition internationale du pouvoir entre les pays centrés sur l'intelligence artificielle, et les autres.

En effet, en Chine, l'intelligence artificielle crée de nouvelles conditions sociales, économiques et politiques. Cela signifie que la Chine utilise l'intelligence artificielle afin de gérer sa propre évolution sociale, tout en devenant une grande puissance de l'intelligence artificielle.

Il reste maintenant à voir comment les dernières générations de villes intelligentes alimentées par une intelligence artificielle en développement accompagnent la façon dont certains pays se préparent aux défis économiques, industriels et écologiques, mais aussi sécuritaires et militaires du 21ème siècle, et comment cette intelligence urbaine et artificielle prépare une immense révolution géopolitique. Cette révolution va reposer sur la nouvelle répartition internationale du pouvoir entre les pays centrés sur l'intelligence artificielle, et les autres.

À propos de l'auteurJean-Michel Valantin (PhD Paris) dirige le département Environnement et Géopolitique de la Société d'analyse (équipe) rouge. Il est spécialisé dans les études stratégiques et la sociologie de la défense, avec un accent sur la géostratégie environnementale.

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Publié par Dr Jean-Michel Valantin (PhD Paris)

Le Dr Jean-Michel Valantin (PhD Paris) dirige le département Environnement et Sécurité du Red Team Analysis Society. Il est spécialisé dans les études stratégiques et la sociologie de la défense avec un accent sur la géostratégie environnementale. Il est l'auteur de "Menace climatique sur l'ordre mondial", "Ecologie et gouvernance mondiale", "Guerre et Nature, l'Amérique prépare la guerre du climat" et de "Hollywood, le Pentagone et Washington".

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