Ce billet se propose d'esquisser l'avant-dernier scénario pour la Syrie à court et moyen terme, à savoir "une Syrie séculaire" résultant d'une véritable victoire de l'un des groupes belligérants. Dans l'état actuel des choses, ce scénario est peu probable, voire utopique. Pourtant, en l'imaginant, on peut suggérer des politiques et des stratégies qui pourraient changer la donne.

Les différents scénarios construits au cours des dernières semaines sont résumés dans le graphique ci-dessous. Cette "cartographie" commence à explorer les moyens de considérer des ensembles de scénarios comme un tout systémique et dynamique. L'épaisseur de la flèche indique une probabilité plus élevée et un délai plus court : plus une flèche est épaisse, plus il est probable et plus rapide qu'un scénario évolue dans une direction spécifique ; à l'inverse, une ligne pointillée indique une probabilité plus faible et/ou un délai plus long. La probabilité et la durée évolueront en fonction des événements.

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Scénario 3.3.2 : Une Syrie séculaire ?

Voir une Syrie laïque renaître des cendres de la guerre présupposerait une victoire du Conseil suprême de commandement militaire conjoint (SJMCC ou SMC), remportée notamment par des combattants affiliés à des groupes modérés ou laïques, tandis que l'ascendant des Frères musulmans au sein de l'organe politique correspondant, la Coalition nationale des forces révolutionnaires et d'opposition syriennes (NC) s'est affaibli.

A ce jour, il est donc encore plus improbable que le scénario précédent. Tout d'abord, l'absence de coordination et d'une structure de commandement et de contrôle efficace, telle qu'analysée par Ignace (7 juin 2013, Le Washington Post) dans la récente perte de Qusair au profit des groupes pro Al-Assad est un sérieux obstacle. Deuxièmement, la faiblesse estimée du nombre de combattants de la FSA (si l'on ne tient pas compte des groupes islamistes et des groupes soutenus par les Frères musulmans) limite sérieusement les possibilités de victoire (Ignatius, 3 avril 2013 et Lund, 4 avril 2013). Enfin, les laïcs et les modérés au sein du CN n'ont guère de soutien extérieur, comme le montrent quotidiennement les hésitations américaines et européennes.

Néanmoins, imaginons que la dynamique change et que ce scénario utopique devienne une réalité, sous un nouveau type de leadership, réussissant à unifier et à mobiliser la rébellion de manière non sectaire. En s'appuyant sur la série de trois billets de Matthew Barber (27 mai 2013 pour Syrian Comment) se concentrant sur le cheikh soufi Muhammad al-Yaqoubi et sur la façon dont les espoirs de le voir officiellement élu à la Coalition nationale ont été déçus à la fin du mois de mai 2013, ce leadership pourrait être soufi. En effet, souligne Barber :

"Un courant soufi émergent au sein de la résistance syrienne pourrait bientôt offrir une alternative à l'hégémonie des Frères musulmans et changer la dynamique de l'opposition politique." (Barber, 22 mai 2013Commentaire sur la Syrie)

Les pays, tels que les États-Unis, le Royaume-Uni ou la France, qui cherchent un moyen de soutenir une solution qui mettrait fin au conflit syrien, éviterait une effusion de sang sectaire et la perspective d'une balkanisation de la Syrie, respecterait la démocratie et les droits fondamentaux, sans favoriser l'extrémisme et les tensions supplémentaires, voire la guerre dans la région, auraient perçu le soutien à un tel courant comme une réponse. En pratique, et selon une enquête plus approfondie, les acteurs intéressés auraient travaillé avec le "Mouvement pour la Construction de la Civilisation" ou le Tiyaar Binaa' al-Hadaraqui devrait être "opérant bientôt à partir d'un bureau en Jordanie" (Entretien avec le cheikh al-Ya'qoubi, Barber, 30 mai 2013). Comme l'explique Barber,

"Le cheikh al-Ya'qoubi et d'autres dirigeants soufis ont gagné en influence ces derniers temps, en travaillant ensemble depuis environ six mois pour former une organisation faîtière pour les groupes rebelles, composée de sunnites et de soufis alignés sur les valeurs dominantes de la Syrie, plutôt que sur les programmes islamistes. Cette organisation s'appelle le Mouvement pour la construction de la civilisation. Lui et ses pairs ont produit un document de charte que les groupes rebelles peuvent signer." (Barber, 22 mai 2013Commentaire sur la Syrie)

Partant des 200 groupes avec lesquels les Cheikhs soufis (ibid.), renforcés par les soutiens inédits reçus, d'autres groupes se joindraient sous un SMC fortifiant, qui serait de plus en plus victorieux, malgré des batailles acharnées. Pendant ce temps, la montée en puissance des modérés au sein du CN s'accentue. D'après Barber (Ibid., voir aussi la section série sur les influences salafistes et soufies de l'islam en Syrie in Syria Comment, 2007), les oulémas soufis bénéficient d'un soutien considérable au sein de la population musulmane sunnite en Syrie. Selon le cheikh al-Ya'qoubi, " probablement un quart de la population syrienne est soufie " (entretien), ce qui représenterait 5,6 millions de personnes (sur les estimations de la Banque mondiale pour 2012). Des personnalités aussi respectées que

"Le cheikh al-Ya'qoubi représente le type d'islam modéré et traditionnel que la plupart des Syriens connaissent, l'islam contesté par les Frères musulmans et les salafistes. Bien qu'il prenne une position sans ambiguïté contre la violence, l'injustice et la terreur du régime, il [le cheikh al-Ya'qoubi] continue également d'exercer son influence en encourageant les rebelles à éviter le terrorisme par les moyens suivants fatwas Il condamne des tactiques telles que les attentats à la voiture piégée, les enlèvements, les mines terrestres, le meurtre de prisonniers et la violence contre les non-combattants politiquement alignés sur le régime... Il maintient une position très claire en défendant les droits de toutes les minorités, y compris celles qui sont condamnées par les extrémistes comme étant hétérodoxes... Il pense que les lois actuelles de la Syrie sur la famille sont très bien, et qu'elles sont déjà suffisamment compatibles avec les principes de l'Union européenne. shari'a. Il estime également que la réforme juridique ne devrait pas être poursuivie avant la formation d'un comité fondé sur la constitution qui s'attaquerait aux changements nécessaires, après le régime est tombé et un nouveau gouvernement syrien a été créé". (Barber, 22 mai 2013Commentaire sur la Syrie)

En conséquence, une forte mobilisation de la population sunnite, à partir du noyau soufi, se produirait. Les craintes sectaires diminuant en général, les capacités de mobilisation d'autres groupes (y compris ceux permettant la création de l'" Armée du peuple " du régime de Bachar el-Assad ou de l Jaysh al-Sha'bi (voir l'excellent rapport de Joseph Holliday, Le régime Assad : de la contre-insurrection à la guerre civile - mars 2013 pour le SIE) disparaîtraient progressivement.Petit à petit, les groupes et les personnes non sunnites commenceraient à croire et à soutenir activement la nouvelle vision d'une Syrie laïque et modérée. Considérant l'influence du soufisme parmi les Kurdes en Syrie (Paulo Pinto, Syrian Studies Association Bulletin, Vol 16, No 1, 2011), un terrain d'entente réaffirmé serait trouvé et les Kurdes rejoindraient pleinement les nouvelles forces.

De plus, la construction de liens historiques antérieurs comme l'explique Weismann (extrait rapporté par Joshua Landis, 11 mai 2007), la nouvelle vision soufie pourrait trouver un terrain d'entente avec les salafis syriens et les Frères musulmans syriens, et ainsi les intégrer.

Par conséquent, la victoire signifierait véritablement une Syrie où toutes les personnes et tous les groupes sont intégrés, à l'exception des seigneurs de la guerre et des acteurs les plus violents qui devraient encore être ramenés dans la société. La Syrie pourrait constituer un nouveau modèle de politique laïque, mais spirituelle, et à prédominance musulmane. En tant que telle, elle pourrait également être perçue comme une menace par d'autres acteurs dans d'autres pays, qui pourraient également sentir leur propre pouvoir, issu d'autres modèles, remis en question. La nouvelle Syrie laïque devra faire attention à ces dangers, sans toutefois tomber dans le piège de la paranoïa.

Estimation de la vraisemblance pour le scénario 3.3.2.

À l'heure actuelle, si les conditions ne changent pas, et comme souligné précédemment, ce scénario est assez improbable. Cependant, en supposant que le Mouvement pour la construction de la civilisation (ou une initiative similaire) réussisse à voir le jour, il a alors le potentiel de changer lentement et progressivement les probabilités de très improbable à plausible et même probable. Le plus important, le bon timing pour chaque action devra être respecté, comme l'a souligné à plusieurs reprises le Cheikh al-Ya'qoubi.

Quelques indicateurs qui pourraient être suivis comme influençant la probabilité de ce scénario :

  • Création du Mouvement pour la construction de la civilisation (ou une initiative similaire) avec des liens réels en Syrie ;
  • Mobilisation de la population syrienne, à travers les groupes et les communautés ;
  • Compétences stratégiques, opérationnelles et tactiques du SMC dans cette nouvelle configuration et des groupes de combat affiliés au Mouvement.
  • Propagande et tromperie visant à alimenter les peurs et la haine (externes et internes).
  • Un soutien matériel adéquat de la part des différents acteurs ;
  • Des discussions et une coopération appropriées entre les partisans et les forces modérées menant à des actions communes, le cas échéant ;
  • Patience des soutiens extérieurs ;
  • Actions contre les partisans d'une Syrie laïque par des acteurs (externes et internes) qui parrainent d'autres solutions pour la Syrie ;
  • Régionalisation de la guerre ;
  • Changements de situation pour l'un des acteurs extérieurs (par exemple, quelles implications peuvent avoir les événements en Turquie sur la situation - actuelle et future - en Syrie ?)
  • Changements dans la situation mondiale et régionale.

Scénario 3.4. : Une Syrie d'Al-Assad ?... A suivre.

Image en vedette : Syria, palmera By Anas Al Rifai (Own work) [CC-BY-SA-3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], via Wikimedia Commons.

Publié par Dr Helene Lavoix (MSc PhD Lond)

Dr Hélène Lavoix est présidente et fondatrice de The Red Team Analysis Society. Elle est titulaire d'un doctorat en études politiques et d'une maîtrise en politique internationale de l'Asie (avec distinction) de la School of Oriental and African Studies (SOAS), Université de Londres, ainsi que d'une maîtrise en finance (major de promotion, Grande École, France). Experte en prospective stratégique et en alerte précoce, notamment pour les questions de sécurité nationale et internationale, elle combine plus de 25 ans d'expérience en relations internationales et 15 ans d'expérience en prospective stratégique et en alerte. Elle a vécu et travaillé dans cinq pays, effectué des missions dans quinze autres et formé des officiers de haut niveau dans le monde entier, notamment à Singapour et dans le cadre de programmes européens en Tunisie. Elle enseigne la méthodologie et la pratique de la prospective stratégique et de l'alerte précoce, travaillant dans des institutions prestigieuses telles que le RSIS à Singapour, SciencesPo-PSIA, ou l'ESFSI en Tunisie. Elle publie régulièrement sur les questions géopolitiques, la sécurité de l'uranium, l'intelligence artificielle, l'ordre international, la montée en puissance de la Chine et d'autres sujets liés à la sécurité internationale. Engagée dans l'amélioration continue des méthodologies de prospective et d'alerte, Mme Lavoix combine expertise académique et expérience de terrain pour anticiper les défis mondiaux de demain.

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