Syrie, camp de réfugiés, réfugié syrien

Malgré la récente victoire à Qusayr des groupes pro Al-Assad, et malgré le caractère stratégique de la ville, ce scénario semble peu probable, mais pas impossible, dans un avenir très proche.

Pour obtenir une victoire totale, on peut supposer que le régime de Bachar Al-Assad poursuivrait et même renforcerait sa stratégie actuelle de déplacement des populations et de recours aux forces étrangères. Or, cette stratégie a des impacts profonds qui rendraient la construction de la paix beaucoup plus difficile : elle favorise le sectarisme, la spirale de la peur, de la haine et de la vengeance, tout en détruisant les richesses et en rendant ainsi plus difficile la prise en charge des personnes déplacées et leur retour à une vie normale.

Comme souligné il y a presque un an par Joshua Landis :

"La communauté alaouite au sens large craint la possibilité d'un châtiment sans but. Pour éviter cela, il est probable qu'Assad poursuive l'option libanaise : transformer la Syrie en un marécage et créer le chaos à partir des sectes et des factions syriennes. C'est une stratégie qui consiste à jouer sur les divisions pour semer le chaos." (Création d'un marécage syrien : Le "plan B" d'Assad", pour Syria Comment, 10 août 2012)

Joseph Holliday excellent rapport, Le régime Assad : de la contre-insurrection à la guerre civile (mars 2013 pour l'ISW, notamment pp.19-23), permet de rendre compte de la stratégie du régime en matière de déplacement des populations, visant à séparer " la rébellion " d'une base potentielle. Selon lui, à partir des mois qui ont suivi le bombardement de Homs en février 2012, elle a été de plus en plus poursuivie intentionnellement (p.19, également "Le conflit mutant de la Syrie," International Crisis Group, août 2012 : 6-7). Avant cela, elle aurait également été faite " au moins dans les régions côtières à majorité alaouite ", où " des opérations de nettoyage répétées dans les enclaves sunnites côtières ont eu lieu " (p.19). Elle se fait de cinq façons :

  • Utilisation de bombardements d'artillerie sur les villes et les quartiers, ou "politique de la terre brûlée" (Holliday : pp.19-20, ICG : 6-9)
  • Campagne de bulldozage de quartiers à Damas et aussi à Hama avec l'aide de troupes paramilitaires pour expulser les gens (automne 2012 - pp.21-22).
  • Massacres d'hommes, de femmes et d'enfants dans les villages et quartiers sunnites de Syrie par les milices pro-régime, notamment dans les zones proches des villages et quartiers alaouites (pp.21-22). Holliday souligne toutefois que "Bien que les milices pro-régime soient les principales responsables de ces meurtres, il est difficile d'exonérer le régime de toute responsabilité dans la plupart des cas." (p.21)
  • La puissance aérienne, notamment l'utilisation d'hélicoptères et de bombes dites "barils" (bombes improvisées fabriquées à partir de barils de pétrole et larguées par des hélicoptères syriens, dispositif incendiaire visant à mieux détruire les bâtiments), le ciblage des boulangeries pp.22-25).
  • Utilisation de missiles balistiques sol/surface (SSBM) contre la population à partir de janvier 2013 (pp.24-25).

En conséquence, le nombre de réfugiés et de personnes déplacées augmente de façon exponentielle. En avril, selon l'AFP, plus de 60.000 étaient morts (jusqu'en novembre 2012), tandis que 1,2 million avaient fui vers les pays voisins et 4 millions étaient déplacés à l'intérieur du pays. Le 13 juin 2013, l'ONU estime qu'au moins 93.000 personnes sont mortes à ce jour au cours du conflit (BBC News, 13 juin). Au 17 juin, 1,64 million de personnes sont réfugiées dans d'autres pays, selon Estimations en cours du HCR et la Syrie compte 4,25 millions de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays (PDI), d'après les données de la Commission européenne. USAID et le Centre de surveillance des déplacements internes.

Syrie, personnes déplacées à l'intérieur du pays

Toutes choses étant égales par ailleurs, pour tout étudiant du Cambodge, la situation donne un sentiment étrange de... déjà vu en termes de réfugiés (pendant la guerre de 1970-1975, sous le régime du Kampuchea démocratique - les Khmers rouges - et après), de vidage des villes et des villages (par le Parti communiste du Kampuchea (CPK) - les "Khmers rouges" - une fois la victoire acquise) et de violence contre sa propre population. Ce n'est pas un hasard si Holliday utilise dans son rapport le terme de "purification". Espérons que pour la Syrie et pour les Syriens, la comparaison s'arrête là. Néanmoins, compte tenu de la très forte tension dans le pays, non seulement depuis le début de la guerre civile, mais aussi auparavant, puisque la Syrie a été sous état d'urgence entre 1963 et avril 2011, la destruction même du tissu social induite par la manière dont la guerre civile est menée, comme le note Lyse Doucet dans son "Qusair - la ville syrienne qui est morte" (BBC News, 7 juin 2013), il est difficile d'imaginer comment un régime Al-Assad victorieux pourrait gouverner autrement que par la peur et encore une fois l'urgence, de rester positif et de ne pas tirer de conclusions hâtives.

L'aide et le soutien des alliés du régime victorieux seraient alors cruciaux pour éviter de voir s'installer la paranoïa, la violence et les représailles.

Bien que sa mise en œuvre soit diplomatiquement complexe, voire impossible, la Syrie devrait être ramenée dans la famille des nations le plus rapidement possible pour les mêmes raisons. Toute pression devrait être exercée avec la plus grande prudence tout en pensant aussi et toujours à l'impact sur les populations civiles. Ne pas le faire pourrait avoir des conséquences très néfastes pour la population. Cela pourrait également avoir le potentiel de créer un noyau d'Etats (Iran, Irak, Syrie) avec lesquels les relations, pour de nombreux autres pays, seraient tendues. La Russie et la Chine auraient alors le pouvoir de jouer le rôle de contrepoids.

Estimation de la vraisemblance pour le scénario 3.4.

si l'on considère les forces en présence sur le terrain (billet à venir), ce scénario est le moins improbable des quatre derniers que nous avons esquissés. Cependant, les chances de voir une victoire réelle et complète, suivie d'une paix, restent minces.

Quelques indicateurs qui pourraient être suivis comme influençant la probabilité de ce scénario :

  • le type de soutien accordé aux différents groupes d'insurgés ;
  • la capacité des groupes d'insurgés à s'unir et à être efficaces ;
  • la manière dont les groupes d'insurgés vont combattre et mobiliser la population, notamment en réussissant ou non à la protéger contre les déplacements de population du régime Al-Assad ;
  • le soutien et le niveau de protection que les groupes d'insurgés et les populations civiles pourraient obtenir avec certitude après la victoire ;
  • le niveau de menace, tant externe qu'interne, ressenti par la puissance victorieuse ;
  • le type de soutien apporté au nouveau régime syrien ;
  • la capacité à réintégrer la nouvelle Syrie dans la société internationale des États ;
  • la manière dont les réfugiés et les PDI sont réintégrés (et le soutien négocié, c'est-à-dire accordé et accepté) ;
  • le pouvoir et la sagesse des différents réseaux commerciaux en faveur du commerce durable et équitable ;
  • l'intérêt et le jeu des différents réseaux de criminalité organisée dans la situation en Syrie.

Ce scénario met fin à notre série de scénarios pour la Syrie dans un avenir à court et moyen terme.

Image d'en-tête : Bachar el-Assad visitant la tombe du Soldat inconnu par Syrianist (œuvre propre) [CC-BY-SA-3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], via Wikimedia Commons

Publié par Dr Helene Lavoix (MSc PhD Lond)

Dr Hélène Lavoix est présidente et fondatrice de The Red Team Analysis Society. Elle est titulaire d'un doctorat en études politiques et d'une maîtrise en politique internationale de l'Asie (avec distinction) de la School of Oriental and African Studies (SOAS), Université de Londres, ainsi que d'une maîtrise en finance (major de promotion, Grande École, France). Experte en prospective stratégique et en alerte précoce, notamment pour les questions de sécurité nationale et internationale, elle combine plus de 25 ans d'expérience en relations internationales et 15 ans d'expérience en prospective stratégique et en alerte. Elle a vécu et travaillé dans cinq pays, effectué des missions dans quinze autres et formé des officiers de haut niveau dans le monde entier, notamment à Singapour et dans le cadre de programmes européens en Tunisie. Elle enseigne la méthodologie et la pratique de la prospective stratégique et de l'alerte précoce, travaillant dans des institutions prestigieuses telles que le RSIS à Singapour, SciencesPo-PSIA, ou l'ESFSI en Tunisie. Elle publie régulièrement sur les questions géopolitiques, la sécurité de l'uranium, l'intelligence artificielle, l'ordre international, la montée en puissance de la Chine et d'autres sujets liés à la sécurité internationale. Engagée dans l'amélioration continue des méthodologies de prospective et d'alerte, Mme Lavoix combine expertise académique et expérience de terrain pour anticiper les défis mondiaux de demain.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

FR