Israël est confronté à une menace stratégique inattendue et immensément dangereuse : le changement climatique.
Cette menace est partagée avec le reste du monde : il s'agit de la manière dont le changement climatique ne cesse de se renforcer et dont ses effets se combinent avec les systèmes de vulnérabilités préexistants au niveau des pays et des régions, le Moyen-Orient dans le cas d'Israël (Dahr Jamail, "Les experts mettent en garde contre les "changements cataclysmiques" liés à la hausse des températures planétaires.”, La vérité, 27 avril 2015).
Les effets de cette "longue urgence" ont commencé à frapper toute la région et à mettre sous pression la durabilité des pays qui la composent (James Howard Kunstler, La longue urgence, survivre aux catastrophes convergentes du XXIe siècle, 2005).
Ainsi, Israël est également entré dans cette nouvelle ère. Il est entouré de pays qui ressentent déjà les effets convergents de la crise politique et sociale induite par le changement climatique, ses relations avec ces pays étaient déjà complexes (Jean-Michel Valantin, "La guerre d'effondrement au Moyen-Orient" et "Cauchemar climatique au Moyen-Orient”, The Red Team Analysis Society, 7 avril 2015 et 14 septembre 2015).
Cette nouvelle situation est particulièrement difficile pour Israël, car son existence même est le résultat du projet politique visant à créer un État juif robuste et durable. En tant qu'entité politique moderne, Israël est un jeune et petit État méditerranéen de 22 770 km2 (y compris le plateau du Golan), pour lequel les questions de durabilité et de sécurité sont, au plus profond, absolument indissociables.
Dans le même temps, le lien entre le changement climatique et les vulnérabilités sociopolitiques affecte également les territoires palestiniens et leur population. Il faut rappeler qu'Israël et les territoires palestiniens partagent une géographie très sensible, sachant que les interactions entre Israël et les autorités palestiniennes sont historiquement et actuellement une énigme tendue, terriblement complexe et volatile (Corm, Le Proche Orient éclaté, 2012).
En d'autres termes, le changement climatique modifie profondément la situation stratégique d'Israël.
Pour comprendre ce changement, nous commencerons par examiner la manière dont le changement climatique menace la durabilité d'Israël. Ensuite, nous nous concentrerons sur l'énorme problème national et international de l'élévation du niveau de la mer. Enfin, nous verrons comment les nouvelles menaces stratégiques peuvent favoriser l'émergence de nouveaux types de coopération.
L'insoutenabilité à venir ?
Assurer la durabilité de base a été au cœur même de la stratégie politique et militaire des autorités israéliennes depuis la création d'Israël en 1948. En effet, Israël est installé dans une région essentiellement aride, dont l'environnement naturel et l'écosystème, jusqu'au milieu du 20e siècle, ne pouvaient soutenir qu'une petite population. Cependant, la démographie croissante d'Israël au cours de la seconde moitié du 20ème siècle - de 1,3 millions à 8,46 millions d'habitants - a nécessité que l'environnement évolue pour devenir capable de supporter cette évolution.
Ainsi, afin d'assurer le support biologique de la population du pays, les autorités politiques, du niveau local au niveau national, ont encouragé l'utilisation de pratiques agricoles, industrielles et humaines consommant le moins d'eau possible. Israël est ainsi devenu le leader mondial de la technologie de l'eau (Owen Alterman "Climate change and security, an Israeli perspective", Évaluation stratégiquejuillet 2015).
Dans le même temps, compte tenu de l'aridité de la région, il a été nécessaire de s'assurer un accès à autant d'eau que possible. Par exemple, atteindre et prendre le contrôle du plateau du Golan depuis la Syrie, d'où coule le Jourdain, a été l'un des avantages de la victoire militaire de la guerre des Six Jours de 1967. Depuis lors, de nombreuses colonies israéliennes ont été créées dans le Golan, tandis que la région a été une source constante de tension avec la Syrie (Avi Schlaim, Te mur de fer, Israël et le monde arabe, 2014).
La même attention politique a été investie dans l'important programme national de reboisement. Plus de 240 millions d'arbres ont été plantés en soixante ans, par la création de vergers et de 66 parcs nationaux et réserves naturelles (Orenstein, Daniel, Alon, Miller, Tal, Entre ruine et restauration, une histoire environnementale d'Israël, 2013). L'objectif était d'avoir le plus d'arbres fruitiers possible pour soutenir l'agriculture et la sécurité alimentaire, et pour stabiliser le sol et l'humidité (Ibid.). De plus, ce programme de boisement renforce la base de biodiversité de la société israélienne, sans laquelle le développement social du pays serait beaucoup plus contraint (Ibid.).
Cette politique écologique est non seulement fondée sur la protection de l'environnement, mais elle représente également la dimension écologique du développement israélien. Elle peut être comprise comme une partie intégrante du projet israélien, c'est-à-dire de l'intention de la société et des autorités politiques israéliennes de garantir l'existence présente et future d'Israël.
En fait, cette politique d'écologie et de durabilité est une autre dimension de la sécurité d'Israël, qui n'est pas moins importante que la défense et la sécurité nationale plus "classiques" préservées par Tsahal et par les agences de sécurité et de renseignement, comme le Shin Bet et le Mossad (Martin Van Creveld, Le pays du sang et du miel, l'essor de l'Israël moderne, 2010).
Cependant, aujourd'hui, le changement climatique menace directement le support biogéographique du projet israélien.
En effet, le changement climatique anthropique résulte du taux croissant d'émissions de gaz à effet de serre, qui se sont donc accumulés dans l'atmosphère, en raison de l'utilisation mondiale du charbon, du pétrole et du gaz naturel, depuis le 18e siècle (Spencer Weart, La découverte du réchauffement climatique, 2008).
Le cinquième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat montre que ce processus s'accélère et a des conséquences gigantesques en modifiant les conditions de base de la vie sur terre. Le changement climatique se traduit, entre autres, par une élévation du niveau des mers, une acidification des océans, une diminution importante de la glace de sol et de mer, une multiplication incessante des phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les tempêtes, les sécheresses, les inondations, les vagues de chaleur, etc, cinquième rapport, 2014).
En d'autres termes, le changement climatique ne modifie pas seulement la planète sur laquelle nous vivons ; il propulse l'humanité sur une nouvelle Terre, dont les conditions géophysiques sont très différentes de celles auxquelles l'espèce humaine a été habituée au cours des trois derniers millions d'années.
Et ce changement global a commencé à mettre Israël en danger. Par exemple, le pays a dû lutter contre des incendies de forêt géants lors des vagues de chaleur de 2010 et 2015. Le tristement célèbre incendie du mont Carmel de 2010 a eu de nombreux effets désastreux sur la vie végétale et animale naturelle, et a causé 55 millions de dollars de dommages ("Fire fighters battle major Israel forest fire", Le télégraphe, 03 Dec, 2010).
Plus inquiétant encore, selon le docteur Guy Pe'er, l'un des principaux auteurs de "Rapport national d'Israël sur le changement climatique"Ce feu de forêt est un signal des effets à venir du changement climatique (Communiqué de presse, "Scientists : the fire in Israel is a typical example of climate change effects in the Mediterranean", Centre Helmholtz pour la recherche environnementale, 8 décembre 2010 et Nir Hasson, "Wild fire forces 700 Jerusalem suburbs residents to evacuate", Haaretz, 02 août 2015).
Dans ce contexte, une grande attention doit être accordée à la météo de 2015, lorsque l'ensemble du Moyen-Orient a souffert du " dôme de chaleur ", qui a duré de la fin juillet à la mi-août. Cette terrible vague de chaleur a balayé toute la région, de l'Iran et du golfe Persique à l'Égypte, provoquant des centaines de morts et une forte pression sur la santé humaine, les infrastructures et la cohésion sociale (Kyle Jaeger, ""Le "Dôme de chaleur" au Moyen-Orient fait des ravages parmi les habitants de la région”, ATTN, 4 août 2015).
En effet, le "dôme de chaleur" a mis en danger des dizaines de millions de personnes, car la température atmosphérique a culminé à 70° C en Iran et en Irak, ce qui a, par exemple, conduit les autorités irakiennes à déclarer quatre jours de vacances, afin de protéger les gens des coups de chaleur au travail (Katie Valentine, "La chaleur extrême entraîne des protestations et des morts au Moyen-Orient”, Penser au progrès, 10 août 2015). En Israël, il s'est accompagné de violents incendies de forêt, à proximité de la banlieue de Jérusalem.
En d'autres termes, le changement climatique met déjà en danger le réseau biologique qui soutient le sol, le cycle de l'eau et la biodiversité du Moyen-Orient, ainsi que l'écosystème d'Israël et les infrastructures, qui sont tous nécessaires à la vie quotidienne sociale, économique, sanitaire et biologique de l'ensemble de la population (Fritzsche et Ruettinger, Environnement, Changement climatique et sécurité dans le sud de la MéditerranéeRapport d'examen, Adelphi, 2013).
La montée des eaux et l'épuisement de l'eau comme réaction en chaîne stratégique régionale ?
En raison du changement climatique, le niveau de l'océan et des mers s'élève rapidement, résultant de la conjonction de la dilatation des eaux de surface et de la fonte de plus en plus rapide des calottes glaciaires terrestres. Ce processus transforme la côte méditerranéenne d'Israël, densément peuplée et urbanisée, en une énorme fenêtre de vulnérabilité (Paul Brown, "Satellite data indicates sea levels rising faster than expected", Actualités sur le changement climatique, 27 mars 2015).
Cette question se pose avec encore plus d'acuité depuis la publication du dernier rapport de l'équipe de scientifiques dirigée par James Hansen, qui affirme que, contrairement aux déclarations du GIEC, l'élévation du niveau de la mer se produira plus tôt et de manière beaucoup plus forte que prévu et atteindra non pas un mètre en 2100, mais entre deux et cinq mètres (Eric Holtaus, "James Hansen Bombshell's climate warning is now part of the Scientific canon", Slate.comle 22 mars 2016).
Dans ce scénario du pire, mais hélas pas improbable, non seulement Israël, mais aussi tous les pays méditerranéens seront confrontés à une catastrophe.
L'élévation du niveau de la mer érode les côtes tandis que l'eau de mer s'infiltre dans les sols du littoral et les salinise, ce qui est très toxique pour la vie végétale et animale, pour l'agriculture et la santé humaine. C'est déjà le cas en Égypte voisine, dans le delta du Nil (Banque mondiale, L'impact de l'élévation du niveau de la mer sur les pays en développement : Une analyse comparative, policy research paper 4136, 2007). L'élévation du niveau de la mer va également rendre inhabitables des pans entiers du littoral (cinquième évaluation du GIEC, Changement climatique, impacts, adaptation et vulnérabilité, 2014).
A cet égard, l'absence de profondeur stratégique est un problème majeur pour Israël (Martin Van Creveld, ibid). Le déplacement d'une partie importante de la population du littoral, qui représente 70% de la population, serait un immense défi politique et logistique.
Pour comprendre l'ampleur du défi que représente le changement climatique pour Israël, il faut savoir qu'il est combiné au fait que les voisins arabes d'Israël sont déjà en crise. La région est frappée par le changement climatique, avec des régimes pluviaux perturbés et une crise régionale de l'eau (Werrell et Femia, Le printemps arabe et le changement climatique, 2013).
En effet, la crise en Syrie a été accentuée par l'immense sécheresse ressentie depuis 2006, qui a accéléré l'exil urbain, projetant des millions de personnes dans des villes qui n'étaient pas prêtes ("Syrie : La sécheresse pousse les agriculteurs vers les villes“, IRIN, 2 septembre 2009).
Cela a engendré d'immenses tensions sociales, qui ont attisé toutes les autres tensions politiques et ont explosé avec le "printemps arabe". En Syrie, cela a rapidement dégénéré en une guerre terrible qui dévaste complètement le pays, le rendant tragiquement insoutenable (Hélène Lavoix, "Portail de la guerre de l'État islamique", The Red Team Analysis Society). En conséquence, 4,8 millions de Syriens ont déjà fui, dont 638 633 en Jordanie, qui connaît déjà une crise de l'eau préoccupante (Chiffres du HCR, 11 avril 2016 ; Valantin, " Guerre d'effondrement au Moyen-Orient ? ", ibid).
Les autres voisins d'Israël sont également en crise. L'Égypte est déjà en état de guerre contre divers groupes islamistes armés, dont l'État islamique, tout en traversant une crise économique majeure et en ressentant déjà les effets du changement climatique (Hélène Lavoix, "Portail de la guerre de l'État islamique", Til Red Team Analysis SocietyJean-Michel Valantin, "Sécurité et durabilité, l'avenir de l'Egypte", The Red Team Analysis Society, 28 avril 2014). Le Liban accueille 1,055 million de réfugiés (HCR Ibid.), et ses capacités sont débordées.
Cela signifie qu'Israël est aujourd'hui entouré par la synergie de différentes crises nationales et régionales, définies par la manière dont la durabilité de ses voisins et la sienne sont directement menacées par les effets complexes du changement climatique, combinés à différents types d'instabilité politique et de violence.
Israël à l'ère de l'Anthropocène
En d'autres termes, Israël et le Moyen-Orient sont touchés par la crise planétaire actuelle, caractérisée par le fait qu'elle modifie le tissu même des conditions de vie sur Terre.
Ce changement planétaire est qualifié d'"Anthropocène", afin d'expliquer qu'une nouvelle ère géophysique a commencé, définie par le fait que l'espèce humaine est devenue la principale force géologique et biologique du système Terre (Jan Zalasiewicz, Anthropocène : une nouvelle époque du temps géologique ?, 2011).
Par conséquent, la question politique et stratégique fondamentale qui se pose est de savoir si les sociétés humaines modernes sont capables de s'adapter à ces conditions planétaires très nouvelles et inconnues.
Cela signifie que les autorités politiques israéliennes peuvent être amenées à s'interroger sur les effets de l'Anthropocène sur ce que l'on pourrait appeler " la nouvelle ère sécuritaire d'Israël ". En effet, depuis 1967 et la guerre des Six Jours, les relations difficiles et souvent violentes avec les autorités politiques palestiniennes sont au cœur de la réflexion et de l'appareil sécuritaire israélien (Ilan Greilsammer, La nouvelle histoire d'Israël, 1998).
Cependant, en raison de la réalité géographique, la Cisjordanie et la bande de Gaza vont être soumises exactement aux mêmes pressions : celles créées par le lien entre le changement climatique et le stress hydrique, combiné à une crise socio-politique.
Cela signifie que les interactions à venir entre la crise de l'anthropocène israélienne et la crise de l'anthropocène palestinienne constitueront un enjeu stratégique majeur. Cependant, cette situation peut également amener les différents acteurs à trouver de nouvelles façons de coopérer afin de trouver des réponses créatives à la longue crise du changement climatique.
En effet, la nécessité d'une coopération régionale pour la durabilité est déjà comprise et expérimentée avec d'autres acteurs. Le projet conjoint avec la Jordanie pour creuser un canal entre la mer Rouge et la mer Morte est un bon exemple de cette nécessité (Jean-Michel Valantin, "Environnement, changement climatique, guerre et État", The Red Team Analysis SocietyLe 16 mars, 2015).
Ce projet est développé afin de stopper l'évaporation de cette mer intérieure et de créer une nouvelle zone à partir de laquelle l'eau de mer sera pompée pour le dessalement, tant du côté israélien que du côté jordanien. (Suleiman Al Khalidi, "Jordanie Israël accepte $ 900 millions Mer Morte Mer Rouge projet”, Reuters, 26 février 2015).
En outre, la crise climatique et sociale, qui touche l'ensemble du Moyen-Orient, pourrait rendre des régions entières non viables. Cependant, comme l'ont montré les guerres irakienne et syrienne, la population fuit lorsqu'une région devient non viable, pour des raisons de guerre ou de régions socio-environnementales.
Cela pose la question de savoir ce qu'il adviendra d'Israël si de nouveaux flux de réfugiés à la recherche de zones de durabilité, encore plus massifs que les flux actuels, émergent du Moyen-Orient (Sharon Udasin, "Defending Israel's borders from "climate refugees", Le Jerusalem Post, 05/14/2012).
Ainsi, pour Israël, préparer l'adaptation à l'Anthropocène est la question la plus difficile pour sa sécurité à court et moyen terme. En effet, l'Anthropocène affecte dangereusement sa sécurité nationale socio-environnementale, par la déstabilisation de la base biogéographique d'Israël, de ses voisins et des territoires palestiniens.
En outre, à un niveau plus profond, comme on l'a vu, le changement climatique pourrait signifier que le Moyen-Orient pourrait devenir une région connaissant de très grandes difficultés à être simplement viable au cours du 21e siècle.
En d'autres termes, l'Anthropocène, notamment sa dimension climatique, va obliger Israël à trouver des stratégies de sécurité et de coopération innovantes, voire hybrides, afin de se projeter tout au long de ce siècle.
Image en vedette : Faune et flore d'Israël par Lehava Ramla via le site web de la Commission européenne. PikiWiki - Projet de collecte d'images gratuites en Israël – Creative Commons Attribution 2.5 Générique