(Direction artistique : Jean-Dominique Lavoix-Carli
Photo : John Getchel)

Un film et une expérience de réflexion sur la prospective stratégique

(Traduction française par intelligence artificielle) Le film "Dune" de 2021 de Denis Villeneuve est une profonde réflexion sur l'avenir du pouvoir politique et stratégique (Denis Villeneuve, Dune, 2021). Ce film explore les liens profonds entre la source et l'exercice du pouvoir stratégique et l'état de l'environnement. Il s'agit d'une adaptation à la fois fidèle et créative de la première partie du roman classique de science-fiction de Frank Herbert (Frank Herbert, Dune, 1965).

Le film de Villeneuve est traversé par une réflexion élaborée sur la signification politique et stratégique d'un environnement en mutation. Il s'agit donc d'un exercice de prospective sur l'avenir possible du pouvoir politique sur une planète en mutation (Jean-Michel Valantin, Hollywood, le Pentagone et Washington : Les films et la sécurité nationale de la Seconde Guerre mondiale à nos jours, 2005).

Formellement, l'histoire suit les aventures du jeune Paul Atreides, héritier de la planète Duc de Caladan. L'empereur galactique offre la gouvernance de la planète Arrakis à son père, le Duc d'Atreides.

Arrakis, également connue sous le nom de Dune, est une planète aride et désertique, où l'"Epice" est produite. C'est le produit le plus important de l'univers car il permet aux navigateurs spatiaux de suivre les plis de l'espace. En tant que tel, il est une condition de base pour les échanges interplanétaires, et constitue la base matérielle de l'imperium.

Le "changement de régime" impliqué par l'arrivée de la Maison des Atreides sur Dune déclenche un conflit avec la famille Harkonnen. Cette Maison a fourni les anciens gouverneurs et exploitants de la planète, alors qu'elle est l'ennemi historique acharné des Atreides. La querelle qui suit la nouvelle nomination par l'Empereur se termine par le massacre de la maison Atreides. Elle oblige le jeune Paul à rejoindre les "Fremen", le peuple indigène qui vit dans le désert de sable.

Pouvoir et environnement

Il se trouve que tout le film s'articule autour de la manière dont l'exercice du pouvoir s'enracine dans les déterminismes des milieux naturels (James C. Scott, À contre-courant, une histoire profonde des premiers États, 2017). Par exemple, le gouvernement des Atrides s'efforce de maîtriser la " puissance du désert ", tout en étant à l'origine un gouvernement de " puissance de la mer " ("Sea Power”, Encyclopedia Britannica). S'adapter stratégiquement à ces déterminismes est une question de vie ou de mort pour les autorités politiques.

Ce passage de l'abondance de l'eau à son extrême rareté soutient une importante réflexion sur l'épuisement et le pouvoir. Ainsi, "Dune" traite du "grand épuisement" de tout, en particulier de l'eau et de la biodiversité. Le film illustre la façon dont l'épuisement suit le changement climatique, ainsi que les formes de pouvoir qui émergent de l'épuisement.

Penser l'avenir de la géopolitique sur une planète qui se réchauffe

Il s'ensuit que ce film n'est pas "simplement" un divertissement hollywoodien. Il s'agit également d'une "expérience de pensée" massive en matière de communication de la prospective stratégique et d'alerte précoce sur l'avenir de la géopolitique.. En tant que tel, il est exemplaire de la manière dont Hollywood absorbe continuellement les questions émergentes du débat politique et de sécurité nationale aux États-Unis (Valantin, Hollywood, le Pentagone et Washington..., 2005). La "dimension d'alerte stratégique" de ce film concerne les risques d'inadaptation politique et militaire au changement climatique et leur scénarisation.

Dans ce cas, la notion de communication de "prospective stratégique et d'alerte précoce" révèle la profondeur de sa fonction. Elle installe le spectateur comme témoin de ce que pourrait être le destin de l'humanité lorsque, en quelques mois, ses conditions de vie les plus élémentaires sont entraînées dans une spirale de dégradation fatale, sans qu'il puisse s'adapter.

Le grand virage

Le pouvoir et ses "milieux naturels"

"Dune" explore la manière dont la gouvernance des Atreides passe d'une puissance maritime pacifique à une "puissance du désert" pour la guerre. Au début du film, la famille Atreides règne sur la planète Caladan.

C'est une planète très humide avec un vaste océan. Les Atrides la gouvernent grâce à la "puissance de la mer". Cependant, la transplantation des Atrides sur Dune les oblige à changer et à essayer de maîtriser la "puissance du désert".

Le film dépeint cette transition écologique, politique et stratégique d'un régime du cycle de l'eau à un autre.

Climat et transitions stratégiques

En effet, il montre la déstabilisation d'un gouvernement puissant par un "turnover" rapide des conditions écologiques dans lesquelles il s'inscrit. Le passage de la planète Caladan, riche en eau, à la planète Dune, aride, est une allégorie des changements climatiques et politiques violents que subissent déjà de nombreux pays et leur gouvernement.

Ainsi, il entre en résonance avec les conséquences actuelles de l'évolution du climat et du cycle de l'eau sur la Terre. Par exemple, une étude récente établit que le climat du sud de la Sibérie bascule rapidement dans un nouveau régime (N. Kharlamova et al.,"Évolution actuelle du climat en Sibérie méridionale : un bilan de 55 ans d'observations", IOP Conferences Series : Earth and Environmental Science, 2019).

Ce nouveau régime s'accompagne de l'aridification de la zone de steppe-parc et de la mosaïque de forêts de bouleaux, tandis que la saison estivale est plus sèche qu'il y a 55 ans. Ces conditions climatiques et écologiques évoluent très rapidement, transformant une région normalement humide en une région sujette aux méga-incendies.

Il se trouve que durant l'été 2021, la Russie a dû faire face une fois de plus à des méga-incendies historiques dans le nord et le sud de la Sibérie. Au sud-est de Nijni Novgorod, dans les profondeurs de la forêt russe profonde, une énorme bataille contre le feu a eu lieu près de la ville secrète de Rasov ("Des hélicoptères de l'armée russe se joignent à la lutte contre les feux de forêt en Sibérie”, Reuters, 14 juillet 2021).

Dès l'époque de l'Union soviétique, Rasov a été la ville où étaient développées les armes nucléaires soviétiques puis russes. Contenir l'énorme incendie qui s'y déroulait revêtait donc une importance stratégique, d'où le recours à la sécurité civile et aux forces militaires ("Des avions russes sèment des nuages alors que des feux de forêt font rage près d'une centrale électrique”, Reuters, 19 juillet 2021).

D'un " monde brûlant " à un " monde aride

Cet exemple révèle comment, sur une planète qui se réchauffe (très) rapidement, certains phénomènes météorologiques extrêmes tels que les méga-incendies se multiplient et s'étendent dans une région où, en été, le climat était auparavant doux et humide.

En d'autres termes, la Sibérie intègre l'archipel planétaire des lieux où, chaque été, se produisent des vagues de tsunamis de feu. Ceux-ci apparaissent en Amérique du Nord, en Russie, en Afrique, en Asie du Sud et en Europe. Chaque année, ils battent d'anciens records et s'étendent plus largement, tout en devenant beaucoup plus intenses.

Ces incendies définissent les parties du monde qui vont devenir un lieu à part, c'est-à-dire le "Monde en feu" (Jean-Michel Valantin, "S'adapter au monde brûlant”, The Red Team Analysis Society9 novembre 2020). Ces méga-feux de forêt poussent déjà les services d'urgence modernes aux limites de leurs capacités d'intervention (Ed Struzik, "L'ère des mégafeux : Le monde atteint un point de basculement climatique”, Yale 36017 septembre 2020).

Cela signifie que la gouvernance du monde de l'assèchement et du brûlage se transforme en un nouveau régime politique. Dans ce "Nouveau Monde", une continuité singulière entre les capacités civiles et militaires s'établit.

Cela se fait dans le but de gérer la suite de crises "improbables" qui devient la nouvelle réalité. En suivant cette ligne de pensée, on peut dire que "Dune" illustre ce qui se passe dans le "monde post-brûlis". C'est-à-dire lorsque l'humanité s'installe dans le "monde aride".

Cependant, "Dune" soulève également la question de la capacité réelle d'adaptation d'un gouvernement lorsque les conditions bioclimatiques changent rapidement et radicalement. Dans le cas de la famille Atreides, malgré leur conscience, le changement d'une planète à l'autre est si rapide qu'il les affaiblit mortellement.

La maladaptation comme faiblesse stratégique

En effet, ses membres ne disposent pas du temps nécessaire pour s'adapter à leurs nouvelles conditions bioclimatiques et pour en faire une source de pouvoir. C'est alors que leurs pires ennemis, la famille Harkonnen, assoiffée de sang et de vengeance, les vainc par une attaque sournoise.

Les Atreides sont tous massacrés à l'exception du jeune héritier Paul et de sa mère. Ils se réfugient dans le désert. Là, ils apprendront les voies et moyens de la puissance du désert avec les "Fremen", le peuple de guerriers nomades indigènes.

Les règles du pouvoir du désert

Le film pose les bases du "pouvoir du désert" pour le spectateur. Pour faire du désert une base et un moyen de puissance stratégique, il faut le comprendre comme un environnement dominant et hostile.

En effet, les caractéristiques qui définissent le désert sont le danger fondamental de l'aridité et l'impraticabilité d'un paysage infini de sable, de dunes et de rochers.

La présence de tribus semi-nomades hostiles et de prédateurs géants adaptés au sable (les "vers") exacerbe ces caractéristiques. Ainsi, le désert met de facto "assiégées" les villes modernes d'où les "élites migrantes" tentent de régner.

Des villes en état de siège

Le film montre donc comment le monde urbain peut mal s'en sortir dans des régions où le climat aridique rapidement l'environnement. Dans le même temps, les villes deviennent de véritables pièges stratégiques en raison de leur exposition à la "puissance du désert".

En d'autres termes, alors que le développement urbain est aujourd'hui un moteur massif de la "grande accélération" du changement planétaire actuel, les villes sont les principales perdantes de l'émergence de la "puissance du désert" (J.R McNeil, Peter Engelke, La grande accélération, une histoire environnementale de l'anthropocène depuis 1945, Belknap Press, 2016).

Ainsi, "Dune" montre littéralement comment le pouvoir du désert découle de la perspective des acteurs stratégiques qui regardent les villes depuis le désert. La puissance du désert vient de la capacité à "suivre le sable", donc à être semi-nomade et à pouvoir vivre avec des ressources très limitées, notamment l'eau.

Pouvoir d'épuisement

Cette sobriété étroitement contrôlée confère un avantage considérable à ceux qui dépendent des infrastructures urbaines et des technologies complexes. En effet, ces derniers doivent transporter des ressources coûteuses et lourdes pour se projeter dans le désert. Ainsi, la "puissance du désert" est aussi la capacité à développer des stratégies de longue durée dans un monde aux ressources très limitées.

En d'autres termes, le film, tout comme le roman, propose un scénario concernant les moyens possibles pour un État d'acquérir une position stratégique de premier plan dans un monde aride. Cette approche stratégique implique l'autodiscipline, la sobriété et l'endurance à une époque où le climat change rapidement et où les ressources s'épuisent.

Contrôle de l'épice et de la puissance d'épuisement

Enfin, l'avantage stratégique ultime de la "puissance du désert" est l'armement de l'épuisement des ressources et la menace de l'utiliser. En effet, "Dune" est la seule planète de l'univers connu où les vers du désert produisent "l'épice".

Ce produit singulier permet aux pilotes de l'espace de se repérer dans les "plis" de l'espace. Ainsi, sans épice, l'empire galactique disparaît. Chaque planète serait livrée à ses propres ressources, coupée des routes du commonwealth interstellaire.

Du point de vue de "Dune", contrôler l'épice revient à dominer l'Empire. Cependant, la production d'épices est intrinsèquement un segment de l'écologie planétaire. Ainsi, organiser une pénurie, voire l'épuisement définitif de l'épice par la destruction écologique de la planète est une forme extrême de "pouvoir du désert".

Dans cette acceptation, la "puissance du désert" devient la "puissance de l'épuisement" et le plus formidable outil de dissuasion et de domination.

L'armement de l'épuisement

Dans cette perspective, il est possible de modifier l'épuisement des ressources de base en le "canalisant". À cet égard, le film est une expérience de pensée sur l'évolution des stratégies contemporaines basées sur l'armement de l'épuisement des ressources.

C'est le cas, par exemple, de la "guerre des barrages" menée par la Turquie contre la Syrie et l'Irak. La Turquie est le pays en amont de l'Euphrate et du Tigre, qui traversent en aval la Syrie et l'Irak. Ces fleuves, qui définissent l'antique "Mésopotamie", sont les principales sources d'eau de surface dans une région largement pauvre en eau.

Ainsi, les autorités politiques turques maîtrisent le cycle de l'eau comme une forme de pouvoir et d'influence politique. C'est particulièrement vrai pour la gestion des eaux de l'Euphrate et du Tigre. Il faut garder à l'esprit le rôle vital de ces fleuves. Ils traversent une région où l'accès à leur eau est une nécessité vitale pour des pays entiers.

Canaliser l'aridisation

Dans les années 1960, les autorités politiques turques ont élaboré un cadre stratégique pour la gestion et le développement de l'eau en Anatolie du Sud. Ce projet est connu sous le nom de projet du sud-est de l'Anatolie, ou "Guneydogu Anadolu Projesi" (GAP). Il a été pensé pour la première fois par Ataturk, fondateur de la République turque, au cours des années vingt ("Historique du projet de l'Anatolie du Sud-Est”, Administration du projet du sud-est de l'Anatolie, 31 mars 2006).

Cette feuille de route, au cœur de la réflexion politique des gouvernements successifs, a conduit à la construction de 14 barrages sur l'Euphrate. Au fil des ans, la construction de huit barrages sur le Tigre est venue compléter la feuille de route. (Joost Jongerden, "Barrages et politique en Turquie : Utilisation de l'eau, développement des conflitsConseil de politique du Moyen-Orient, 2010).

Canaliser les guerres de l'eau

Cet immense projet hydraulique est utilisé pour le développement de la production d'électricité et pour l'irrigation agricole (Administration du projet du sud-est de l'Anatolie, ibid). Entre-temps, la Turquie utilise son contrôle de l'eau en amont. Cela a souvent conduit à de très fortes tensions avec la Syrie et l'Irak. C'était aussi le cas avec les différentes factions kurdes.

Ce fut notamment le cas en 1975 et en 1990, lorsque les tensions sur l'eau ont failli conduire à une guerre ouverte entre les pays en aval et le pays en amont, en raison de la diminution drastique du débit de l'Euphrate lors de la construction d'un barrage (Michael Klare, La guerre des ressources, 2002).

En outre, ces infrastructures et leur contrôle sont un outil dans le conflit de longue date entre la Turquie et les Kurdes. Elles " militarisent " littéralement les rivières. Cette militarisation découle du contrôle et de la réduction du débit de l'eau.

Depuis 1975, les réductions des débits d'eau de la Syrie et de l'Irak en aval peuvent être respectivement de 40% et 80%. (Connor Dilleen, "La construction de barrages par la Turquie pourrait créer un nouveau conflit au Moyen-Orient”, L'exécutif maritime, 6 novembre 2019). En d'autres termes, la Turquie canalise un " long appauvrissement " vers ses voisins. Ainsi, ils ont un impact sur le développement économique et les conditions de vie des régions et pays en aval (Klare, ibid).

https://www.youtube.com/watch?v=bFpPwABc9cA

Depuis l'invasion de l'Irak par les États-Unis en 2003 et le début de la guerre en Syrie, la Turquie utilise ses barrages pour réduire le débit d'eau de ces deux pays.

La gestion de l'eau en Turquie est à la fois un outil de développement hautement politique et une arme stratégique. Il se trouve qu'elle est également utilisée pour développer l'Anatolie du Sud, une région pauvre qui compte une importante population kurde.

Cela renforce la légitimité du pouvoir d'Ankara auprès de la population kurde d'Anatolie du Sud. (Ilektra Tsakalidou, "Le grand projet anatolien : La gestion de l'eau est-elle une panacée ou un multiplicateur de crise pour les Turcs kurdes ?”, New Security Beat, 5 août 2013).

La guerre par épuisement

En d'autres termes, les autorités turques ont désormais une réelle connaissance du maniement et de l'utilisation du " pouvoir d'épuisement (de l'eau) ". Il est devenu un outil massif d'influence internationale. Comme l'ensemble du Moyen-Orient s'assèche rapidement, le pouvoir d'épuisement de la Turquie est d'autant plus efficace.

Par exemple, pendant la sécheresse historique de l'été 2021, l'armée nationale syrienne (SNA) soutenue par la Turquie a construit trois barrages sur la rivière Kabhour. Ce faisant, ils ont coupé l'eau pour les communautés kurdes en aval, alors que celles-ci étaient déjà frappées par la sécheresse. Il se trouve que l'offensive militaire turque en Syrie accompagne cette offensive "d'épuisement de l'eau".

Cette militarisation de l'épuisement de l'eau apparaît littéralement comme une utilisation à petite échelle et très précise du "pouvoir d'épuisement". Ce développement d'une nouvelle gestion stratégique de l'environnement est au cœur du "pouvoir du désert" que le film explore.

En l'occurrence, "Dune-part I" est une allégorie des tendances politiques et stratégiques qui se dessinent actuellement sur notre planète qui se réchauffe et s'épuise. C'est une expérience de pensée qui nous met en garde contre la façon dont le changement climatique entraîne une redistribution internationale du pouvoir entre les pays qui sauront s'adapter... et les autres.

Publié par Dr Jean-Michel Valantin (PhD Paris)

Le Dr Jean-Michel Valantin (PhD Paris) dirige le département Environnement et Sécurité du Red Team Analysis Society. Il est spécialisé dans les études stratégiques et la sociologie de la défense avec un accent sur la géostratégie environnementale. Il est l'auteur de "Menace climatique sur l'ordre mondial", "Ecologie et gouvernance mondiale", "Guerre et Nature, l'Amérique prépare la guerre du climat" et de "Hollywood, le Pentagone et Washington".

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