(Direction artistique et conception : Jean-Dominique Lavoix-Carli)

Article mis à jour pour inclure les événements d'octobre 2024 et de début novembre 2024.

Le 19 juin 2024, le Niger a retiré à Orano, entreprise nucléaire française détenue en majorité par l'Etat, le permis d'exploitation de la mine d'Imouraren. Cela signifie qu'Orano - et donc la France - perd 47% de ses réserves d'uranium, alors qu'une ère de renouveau pour l'énergie nucléaire s'ouvre au niveau mondial et que la France prévoit d'ajouter de six à quatorze et même vingt réacteurs EPR2 à son parc nucléaire actuel (voir ci-dessous). Que s'est-il passé et quels sont les enjeux pour la France ?

La France est encore la deuxième puissance mondiale en termes de capacité de production d'énergie nucléaire (Helene Lavoix, L'avenir de la demande d'uranium - La montée en puissance de la Chine, The Red Team Analysis Society, 22 avril 2024). Orano reste pour l'instant la troisième entreprise mondiale pour le cycle du combustible nucléaire (Helene Lavoix, Revisiter la sécurité de l'approvisionnement en uranium (1), The Red Team Analysis Society, 21 mai 2024). Par conséquent, la France joue un rôle de premier plan dans l'évolution mondiale actuelle vers le renouvellement de l'énergie nucléaire (Helene Lavoix, "Le retour de l'énergie nucléaire“, The Red Team Analysis Society, 26 mars 2024). Qui plus est, l'énergie nucléaire est vitale pour le pays, celle-ci générant 62,6% de l'électricité française en 2022 (IAEA-PRIS - 28/04/2024; Hélène Lavoix, Revisiter la sécurité de l'approvisionnement en uranium (1), The Red Team Analysis Society, 21 mai 2024).

Or, l'uranium est nécessaire pour alimenter les centrales nucléaires. Malgré les apparences, la France est bien positionnée en termes d'approvisionnement en uranium grâce aux permis miniers d'Orano à l'étranger (Lavoix, Revisiter la sécurité de l'approvisionnement en uranium (1)). Cependant, de ce fait, la sécurité de l'approvisionnement en uranium de la France est également plus fragile qu'elle ne le serait si les mines d'uranium étaient situées sur son territoire (Ibid.). Compte tenu de la spécificité de l'approvisionnement en uranium de la France, la géopolitique et l'influence sont essentielles pour sécuriser cet approvisionnement, comme l'illustre le défi auquel Orano est aujourd'hui confronté au Niger.

Tout d'abord, nous examinons la situation au Niger et expliquons la menace qui s'est concrétisée autour du permis minier d'Orano à Imouraren. La mine d'Imouraren au Niger représente jusqu'à 47% des réserves d'uranium d'Orano et sa perte risque de dégrader la position de la France au niveau mondial ainsi que celle d'Orano. Donc, deuxièmement, nous nous concentrons sur les enjeux pour la France en termes d'approvisionnement en uranium et soulignons le rôle que joue la géopolitique aujourd'hui et à l'avenir pour l'uranium et donc l'énergie nucléaire.

La perte du projet minier Imouraren d'Orano au Niger

La France perd son emprise dans le difficile contexte politique et géopolitique nigérien

Les activités minières au Niger s'inscrivent dans un contexte complexe.

Le coup d'État du 26 juillet 2023 au Niger a eu des impacts multiples (par exemple, Gilles Yabi, "The Niger Coup’s Outsized Global Impact“, Carnegie Endowment for Peace, 31 juillet 2023). Notamment, il a fortement dégradé les relations diplomatiques entre la France et le Niger. L'ambassade de France au Niger a été fermée le 2 janvier 2024 (Ministère français des affaires étrangères). Toutes les troupes françaises ont dû quitter le pays à la fin du mois de décembre 2023, après un départ similaire du Mali puis du Burkina Faso (France 24, “Les dernières troupes françaises quittent le Niger, mettant fin à une décennie de missions au Sahel", 22 décembre 2023).

L'éviction de la France du Sahel résulte de difficultés liées aux missions de maintien de la paix et de stabilisation sur place, utilisées ensuite par la Russie contre la France en raison de la décision de cette dernière de se ranger aux côtés des États-Unis en Ukraine (par exemple, Aja Melville, "Russia Exploits Western Vacuum in Africa’s Sahel Region,” Defense and Security Monitor, 22 avril 2024). La Russie a riposté stratégiquement par une manœuvre de flanc, frappant la France en dégradant davantage son influence au Sahel et en l'y remplaçant (e.g. Ibid., Fatou Elise Ba, "L'aide publique et humanitaire de la France n'est plus la bienvenue au Mali", IRIS, 16 février 2023)

Dans le même temps, les relations entre le Niger et l'UE, les États-Unis et les Nations unies se sont également fortement détériorées, avec des conséquences pour les migrations vers l'Europe (Le Monde avec AFP, “Le Niger met fin aux partenariats de sécurité et de défense de l'UE", le 4 décembre 2023 ; Danai Nesta Kupemba , "US troops to leave Niger by mid-September“, BBC News, 18 mai 2024 ; Stateswatch, "EU: Commission halts migration cooperation with Niger, but for how long?", 07 septembre 2023 ; France 24, "La junte nigérienne met fin aux accords de sécurité avec l'UE et se tourne vers la Russie pour la coopération en matière de défense", 4 décembre 2023).

L'influence de la Russie s'accroît donc, comme partout ailleurs dans la région (par exemple, Olumba E. Ezenwa et John Sunday Ojo, "Russia has tightened its hold over the Sahel region – and now it’s looking to Africa’s west coast“, The Conversation, 29 avril 2024). Par exemple, le 26 mars 2024, le président russe Vladimir Poutine et le président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie de la République du Niger Abdourahamane Tchiani "ont exprimé leur détermination à intensifier le dialogue politique et à développer une coopération mutuellement bénéfique dans divers domaines" (Site du Kremlin). Puis, en avril 2024, des conseillers militaires de l'ex-groupe Wagner rebaptisé African Corps sont arrivés à Niamey, la capitale du Niger (AFP, "Des instructeurs militaires russes et un système de défense aérienne arrivent au Niger dans le cadre de l'approfondissement des relations entre les deux pays“, France 2412 avril 2024).

Pendant ce temps, le Niger doit faire face à des insurrections djihadistes complexes (par exemple, Natasja Rupesinghe et Mikael Hiberg Naghizadeh, "Les djihadistes du Sahel ne gouvernent pas de la même manière: le contexte est déterminant“, The Conversation, 25 janvier 2022). Suite au coup d'État, il doit également faire face aux mécontents qui réclament le retour de l'ex-président Bazoum, lesquels comprennent des groupes armés tels que le Front patriotique pour la Libération (FPL), dirigé par Mahmoud Sallah (e.g. Entretien avec Mahmoud Sallah, 21 mai 2023 ; RFI, "Niger : le Front patriotique pour la Libération revendique l'attaque du pipeline, 18 juin 2024). En effet, dans la nuit du 16 au 17 juin 2024, le FPL a fait exploser l'oléoduc transportant le pétrole brut nigérien vers le port de Cotonou au Bénin (RFI, ibid. ; page Facebook des FPL).

Le retrait de l'autorisation d'exploitation d'Orano à Imouraren

Malgré ce contexte hostile, en février 2024, Orano, par l'intermédiaire de sa filiale Somair, a réussi à relancer l'exploitation minière dans la région de l'Aïr au Niger (par exemple "Orano : arrêtée depuis le coup d'Etat, la production d'uranium redémarre timidement au Niger“, La Tribune, 16 février 2024).

Par contre, le 11 juin 2024, pour le projet Imouraren, "la mine du futur", Orano, ou plutôt sa filiale Imouraren SA détenue à 36,5 % par le Niger, a reçu une deuxième mise en demeure, après celle du 19 mars 2024, exigeant que l'exploitation d'Imouraren démarre de manière satisfaisante pour le pays (Ahmadou Atafa, "Niger : Imouraren SA sous la menace imminente de perdre son permis minier", Airinfo, 14 juin 2024 ; MondeAfrique, "Niger, le groupe Orano pourrait perdre sa mine d'uranium", 14 juin 2024 ; Emiliano Tossou, "Le Niger veut retirer le projet d'uranium Imouraren au français Orano, Ecofin Mines, 18 juin 2024). Le dernier plan d'exploitation avait été rejeté le 7 juin 2024 (Ibid.). En cas de non-respect, le permis d'exploitation d'Imouraren SA pour les mines d'Imouraren serait résilié le 19 juin 2024 (Ibid.).

Pourtant, le 12 juin, Orano annonçait la relance des opérations à Imouraren, mais rien n'avait démarré le 13 juin (Le Monde/AFP, "Au Niger, Orano a lancé les travaux préparatoires pour l'exploitation du gisement d'uranium d'Imouraren", 12 juin 2024 ; Atafa, "Niger : Imouraren SA…).

Par ailleurs, Bloomberg faisait état de rumeurs selon lesquelles des négociations seraient en cours entre la société nucléaire russe Rosatom et les autorités militaro-politiques du Niger pour réattribuer à Rosatom les actifs d'Orano dans le domaine de l'uranium (pour en savoir plus sur Rosatom, voir Revisiter la sécurité de l'approvisionnement en uranium (1); Bloomberg News, "Russia Is Said to Seek French-Held Uranium Assets in Niger", via Mining.com, 3 juin 2024 ; Katarina Hoije, "Orano at Risk of Losing Niger Uranium Mine Sought by Russia", BloombergNews via Mining.com, 15 juin 2024).

Après une journée de silence, le 20 juin, Orano a publié un communiqué de presse indiquant que les autorités nigériennes avaient décidé "de retirer la licence d'exploitation du gisement à sa filiale Imouraren SA".

Selon le communiqué, Orano est prêt à poursuivre la discussion ainsi qu'à porter l'affaire "devant les instances judiciaires nationales ou internationales compétentes".

Quels sont les enjeux pour la France ?

L'approvisionnement actuel en uranium n'est pas en jeu car la production n'a pas encore commencé à la mine d'Imouraren.

L'inquiétude porte sur l'avenir et dépend du potentiel de la mine. Il est évident que plus une mine d'uranium est considérable et plus son rendement est élevé, plus les enjeux sont importants.

Imouraren et les réserves d'uranium de la France

Or, Imouraren, découverte en 1966 par la France, n'est pas une petite mine et ne représente pas non plus des réserves et ressources négligeables pour Orano et donc pour la France (pour des explications sur les réserves et ressources, Lavoix, Revisiter la sécurité de l'approvisionnement en uranium (1); Agence de l'énergie nucléaire (AEN)/Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Uranium 2022: Resources, Production and Demand (Red Book 2022,), Éditions OCDE, Paris, 2023, p. 387). Bien au contraire.

Imouraren détient 145.712 tonnes d'uranium en réserves, dont 95.527 pour la part d'Orano (Rapport annuel 2023 d'Orano, pp. 35-36). "La production devait être de 5.000 tU/an pendant 35 ans" (Livre rouge de l'AEN/AIEA 2022, p. 388). À titre de comparaison, les besoins annuels de la France en 2024 étaient de 8.232 tU (WNA, "World Nuclear Power Reactors & Uranium Requirements"mai 2024). Imouraren aurait ainsi pu couvrir à lui seul 60,7% des besoins en uranium de la France en 2024. L'exploitation d'Imouraren aurait ainsi grandement facilité les projets d'augmentation du nombre de réacteurs nucléaires en France, tout en assurant des revenus commerciaux à Orano, compte tenu de ses autres mines. L'ensemble aurait assuré l'influence d'Orano et de la France dans ce domaine.

En termes de réserves, comme le montre la série de graphiques ci-dessous, la mine d'Imouraren au Niger représente 24% des réserves et ressources totales d'uranium dans le sol plus les ressources présumées pour Orano, c'est-à-dire le segment le plus important (en tonnes d'uranium, c'est-à-dire en tenant compte du rendement variable de chaque mine). La part d'Imouraren est plus importante si l'on ne considère que les réserves et ressources totales dans le sol, soit 32 %, et encore plus importante si l'on ne prend en compte que les réserves, soit 47%.

En d'autres termes, plus on s'éloigne dans le temps, plus Orano détient un approvisionnement potentiel en uranium important en dehors du Niger. Ce résultat est un tribut à l'effort d'exploration et de diversification fait pat la société. Néanmoins, il ne faut pas oublier l'incertitude qui pèse sur l'approvisionnement mongol d'Orano depuis février 2024 (Lavoix, "Le retour de l'énergie nucléaire“).

Néanmoins, en ce qui concerne l'approvisionnement en uranium à moyen terme, la perte de la mine d'Imouraren pourrait poser un problème de sécurité.

Une menace sur l'approvisionnement à moyen terme compte tenu des projets d'énergie nucléaire

En effet, les changements dans un portefeuille minier introduisent une incertitude pour l'avenir qui est d'autant plus importante que l'exploration pour trouver des mines, puis les études de faisabilité et les plans d'exploitation, avant que l'extraction et le broyage puissent commencer, doivent se préparer dans la longue durée, comme le montre la figure ci-dessous.

Actuellement, dans le cadre des objectifs de renouveau de l'énergie nucléaire, la France prévoit de construire et de raccorder au réseau entre 14 et 20 nouvelles centrales nucléaires.

En 2022, le président français Macron a enfin affirmé le rôle clé de l'énergie nucléaire (Assemblée nationale, Rapport de la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France, 30 mars 2023). En janvier 2024, 8 réacteurs nucléaires supplémentaires ont été annoncés, en plus des 6 déjà programmés en 2022, dont la construction devrait commencer en 2028 pour une première connexion au réseau en 2035 (Euronews, "Macron calls for nuclear ‘renaissance’ to end the France’s reliance on fossil fuels"(sic), 11 février 2022 ; RFI, "La France va construire davantage de réacteurs nucléaires de nouvelle génération pour atteindre ses objectifs écologiques", 7 janvier 2024).

Par ailleurs, le Rassemblement national, principal opposant au parti du président Macron pour les élections législatives anticipées de juin 2024, est un fervent partisan de l'énergie nucléaire (programme RN élections européennes juin 2024). Par exemple, lors des campagnes présidentielle et législatives de 2022, il a envisagé le lancement de 20 réacteurs pressurisés européens/évolutifs (EPR) (François Vignal, "Energie : plein pot sur le nucléaire et haro sur les éoliennes pour Marine Le Pen“, Public Sénat, 14 mars 2022) ; Alexandre Rousset, "Présidentielle : Marine Le Pen voit le salut de la France dans l'énergie nucléaire“, Les Echos, 14 mars 2022).(1)

Finalement, dans la 3ème Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), ouverte à la concertation en novembre 2024, la France prévoit de lancer trois paires de réacteurs EPR2 avec une décision d'investissement à prendre par EDF d'ici à 2026, à laquelle s'ajoute un soutien au développement des Petits Réacteurs Modulaires (PRM/SMR) (SFEN, "PPE 3 et SNBC 3 : neuf orientations pour le nucléaire français", 4 novembre 2024). En attendant, la durée de vie des réacteurs existants sera prolongée au-delà de 50, voire 60 ans (Ibid.).

Des besoins supplémentaires en uranium seront donc nécessaires à partir de 2035 environ (si le temps nécessaire à la construction et au raccordement d'un EPR est d'environ 9 ans - voir Vers une renaissance nucléaire américaine ?), pour des quantités encore inconnues. Cela signifie qu'au plus tard en 2029-2030, les décisions correspondantes concernant l'exploitation minière doivent être prises pour que la nouvelle production puisse commencer et être livrée en 2035. Si les réacteurs EPR étaient construits plus rapidement, les besoins supplémentaires en uranium se manifesteraient plus tôt.

Si la France dispose déjà de sites miniers prêts ou quasi prêts pour l'étape correspondant à la décision d'exploiter, alors tout va bien. Imouraren correspond à ce cas. En effet, Orano prévoyait d'y lancer un programme pilote en 2024, avec décision d'investir en 2028 " si la faisabilité est confirmée " (World Nuclear News, “Preparatory activities begin at Imouraren", 17 juin 2024).

Si aucun site minier de ce type n'est disponible, Orano doit s'appuyer sur des sites qui sont au stade de l'exploration et des études approfondies. Comme il ne reste que quatre à cinq ans avant 2029/2030, cela signifie que l'exploration approfondie, qui peut durer une dizaine d'années, doit déjà avoir commencé. Cependant, par rapport à un site où l'exploration approfondie a déjà eu lieu, dans ce cas, l'incertitude est plus forte.

En outre, les permis d'exploitation devront être demandés et obtenus dans quatre à cinq ans, ce qui accroît l'incertitude liée à la géopolitique.

Par exemple, Orano peut très bien voir une exploration approfondie donner d'excellents résultats, mais dans une zone où l'influence russe est très forte et pourrait l'être encore plus d'ici quatre à cinq ans. Dans ce cas, la position internationale actuelle de la France à l'égard de la Russie, si elle se maintient à l'avenir, diminue fortement les probabilités d'obtention d'un permis d'exploitation par Orano.

Par ailleurs, compte tenu de la forte compétition pour les ressources en uranium, Orano pourrait également perdre des permis d'exploitation au profit d'alliés, qui n'auront aucun scrupule à penser d'abord à leur intérêt national. Par exemple, compte tenu des besoins américains en uranium et de l'absence de réserves à l'étranger des États-Unis, ces derniers se situant au 15e rang mondial en termes de réserves et de ressources, il ne serait pas surprenant de voir le pays de l'Oncle Sam utiliser des méthodes fortes, voire violentes, pour sécuriser leur uranium dans le futur (Lavoix, L'avenir de la demande d'uranium et Revisiter la sécurité de l'approvisionnement en uranium (1)). On se souviendra de l'attitude américaine lorsque l'enjeu était les masques de protection lors de la pandémie COVID 19 ou de la façon dont les Etats-Unis ont volé à la France le contrat australien pour les sous-marins (ex. Ouest France "Coronavirus. En Chine, une cargaison de masques destinés à la France détournée par des Américains", 2 avril 2020 ; Helene Lavoix, "L’intérêt national américain", 22 juin 2022).

Une insécurité géopolitique similaire pèse sur les licences d'exploration à obtenir, ainsi que sur celles déjà accordées, comme le montre la perte d'Imouraren.

La menace dans une perspective mondiale

Compte tenu de l'appétit actuel et futur pour l'uranium, que signifie la perte d'Imouraren pour la France dans une perspective globale ?

Au regard du contexte international au Sahel et plus particulièrement au Niger, et dans le cadre de la guerre en Ukraine, nous faisons l'hypothèse que le permis minier d'Imouraren sera accordé au russe Uranium One via Rosatom dans les mêmes conditions que ce qui a existé pour Orano (mêmes parts - pour Uranium One, voir Lavoix Revisiter la sécurité de l'approvisionnement en uranium (1)). Cette hypothèse est de plus en plus probable au vu des déclarations du 8 novembre du ministre nigérien des mines, Ousmane Abarchias, selon lesquelles "le Niger cherche activement à attirer les investissements russes dans l'uranium et d'autres ressources naturelles" (RFI, "Niger embraces Russia for uranium production leaving France out in the cold", 13 novembre 2024).

Nous utilisons comme base le graphique que nous avons développé précédemment pour réexaminer la sécurité de l'approvisionnement en uranium en intégrant les efforts déployés à l'étranger par les sociétés minières. Les données figurant dans les graphiques proviennent des recherches approfondies menées pour réaliser The World of Uranium: Mines, States, and Companies – Database and Interactive Graph. Le graphique initial est présenté à gauche. Nous montrons ensuite le même graphique sans Imouraren pour la France, et sans le gisement de Madaouela pour le Canada (la société canadienne GoviEx Uranium Inc. ayant perdu son permis d'exploitation minière le 4 juillet 2024). Dans un troisième graphique à droite, nous avons attribué comme scénario les deux gisements à la Russie.

Si l'on compare les graphiques, la France passe de la 8e à la 11e place, derrière la Chine, les États-Unis et le Brésil, et l'UE de la 7e à la 9e place, tandis que la Russie prend la 3e place, devant le Kazakhstan, avec une forte augmentation de ses réserves et ressources étrangères. Le Japon passe de la 14e à la 15e place, deux entreprises japonaises détenant des participations dans la société française Orano.

Non seulement la sécurité de l'approvisionnement en uranium est dégradée, mais le poids de la France dans le monde en termes d'approvisionnement en uranium est amoindri. Compte tenu de la demande future d'uranium, cela aura un impact commercial négatif tout en diminuant l'influence mondiale d'Orano et de la France.

Sachant que l'approvisionnement des centrales nucléaires françaises est un enjeu très important compte tenu de la part de l'électricité nucléaire en France, et que le développement mondial de l'énergie nucléaire, notamment en provenance de la Chine, va intensifier la concurrence mondiale, la perte d'Imouraren est une très mauvaise nouvelle.

Les difficultés rencontrées par Orano pour exporter la production existante de la mine nigérienne Somair (Société des mines de l'Aïr) assombrissent encore les perspectives et fragilisent la sécurité uranifère de la France (Benjamin Mallet, "Orano : Des provisions liées au Niger plombent les résultats du premier semestre", Usine Nouvelle, 26 juillet 2024).

En effet, à titre de mise à jour (7 novembre 2024), depuis la rédaction initiale de l'article, la situation s'est encore dégradée entre Orano et le Niger. Suite à des difficultés croissantes impactant la Somair (63,4% détenues par Orano), notamment une incapacité à exporter la production, et des dettes de la société nigérienne Sopamin (détenant 36,6% de la Somair) envers la Somair, Orano a décidé " de suspendre ses activités [Somair], à titre conservatoire, à compter de la fin du mois d'octobre " 2024 (News, "Niger: growing financial difficulties will force SOMAÏR to suspend operations", Orano, 23 octobre 2024). En réponse, faisant fi de sa propre responsabilité et de ses décisions, le Niger, par l'intermédiaire de la Sopamin, a attaqué la décision d'Orano, arguant n'avoir été ni consultée ni informée. Le Niger a proposé d'acheter 210 t d'uranium sur les 1000 t détenues par la Somair pour aider cette dernière à poursuivre son activité. Pendant ce temps, le Niger accuse de façon répétée la France de mener des opérations secrètes contre le Niger (par exemple, La Tribune, La France déstabilise-t-elle le Niger ?, 3 août 2024 ; Mathieu Olivier, "La DGSE française dans la tourmente après les accusations du Niger“, Jeune Afrique, 6 novembre 2024).

Le bras de fer entre la France, Orano et le Niger se poursuit. Ainsi, ce sont désormais 58% de réserves françaises d'uranium outre-mer (44 % de réserves et ressources) qui ont disparu ou sont en voie de disparition par rapport à décembre 2023. En attendant, la fermeture de la Somair signifie que les 2000 t U par an qui étaient produites ne le seront plus, soit pour la part de la France 1268 t U. Cela représente environ 15,4% des besoins annuels de la France en uranium.

A l'avenir, il apparaît essentiel que les décisions en matière de relations internationales et de politique étrangère soient prises en tenant compte de la sécurité du nucléaire et de l'uranium, y compris à long terme. Cela signifie que l'anticipation devient encore plus importante que ce qui a déjà été souligné dans le Rapport 2023 de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale.

Par ailleurs, l'impact des activités d'Orano sur la politique intérieure des pays où il opère, ainsi que sur la géopolitique régionale et mondiale, doit également être intégré dans les analyses et évaluations, dans la planification et la politique. Par exemple, les dynamiques défavorables comprises, telles que la "malédiction des ressources", également connue sous le nom de "syndrome hollandais", devraient toujours être évaluées et intégrées dans l'analyse afin de s'assurer que les stratégies de sécurisation des permis et des opérations sont conçues et mise en œuvre correctement (par exemple, Mähler, Annegret (2010), Nigeria: A Prime Example of the Resource Curse? Revisiting the Oil-Violence Link in the Niger Delta, Documents de travail GIGANo. 120, German Institute of Global and Area Studies (GIGA), Hambourg).

Notre propos n'est pas de dire qu'Orano provoque ou a provoqué de telles dynamiques négatives, mais que la possibilité que cela se produise doit être envisagée et prise en compte si le risque existe.

Potentiellement, des politiques visant à éviter ces conséquences négatives pourraient également être développées, si elles sont adéquates. En outre, une telle approche pourrait également rassurer les gouvernements hôtes et devenir un argument d'influence.

Les théorie de la malédiction des ressources suggère que les pays riches en ressources naturelles, en particulier en pétrole et en minéraux, connaissent souvent une croissance économique plus lente, des institutions démocratiques plus faibles et une plus grande instabilité politique que les pays pauvres en ressources. Ce paradoxe résulte de la perturbation des dynamiques politiques, sociétales et économiques fondamentales qui équilibrent généralement la gouvernance.

L'une des pannes critiques se situe au niveau de la "échange de taxes contre sécurité" dynamique. Dans tous les pays, idéalement, les autorités politiques s'appuient sur la fiscalité pour financer leurs activités, créant ainsi une relation directe avec les citoyens : les gouvernements fournissent la sécurité, les biens publics et les services en échange des recettes fiscales. Cette dépendance favorise la responsabilisation, car les citoyens exigent une gouvernance responsable en échange de leurs contributions. Lorsque la relation fonctionne, la légitimité est renforcée. Cette dynamique semble naturellement à l'œuvre dans les pays pauvres en ressources.

Dans les pays riches en ressources, cependant, les gouvernements se financent souvent grâce aux rentes des ressources (bénéfices tirés de l'extraction des ressources), ce qui réduit leur dépendance à l'égard de l'impôt. Cela affaiblit le contrat social entre les dirigeants et les gouvernés : les dirigeants n'ont aucun intérêt à assurer la sécurité de leurs citoyens puisque leurs ressources ne proviennent pas des impôts et, par conséquent, les gouvernés vivent dans l'insécurité et sont moins à même de demander des comptes aux autorités politiques. Les autorités politiques deviennent de plus en plus illégitimes au niveau national, mais restent au pouvoir grâce au soutien de ceux qui bénéficient des ressources, le plus souvent à l'extérieur de l'État.

Enfin, la nouvelle insécurité de l'approvisionnement français en uranium résultant de la perte d'Imouraren au Niger et du bras de fer autour de Somair met en lumière une question difficile : Est-il sûr pour la France d'avoir une politique étrangère qui ne soit pas une politique d'indépendance et de non-alignement (par exemple Pascal Boniface, "Pourquoi l'héritage de De Gaulle et de Mitterrand compte-t-il encore pour l'opinion publique française ?", IRIS, 15 mars 2021 ; Le mouvement des non-alignés", Wikipédia).

L'intérêt national de la France, avec l'approvisionnement en uranium en tête de liste compte tenu de l'importance de l'énergie nucléaire pour le pays et le monde, devrait être recherché en premier lieu, avant tout autre point. C'est peut-être ce qu'indiquent les visites d'État réciproques de novembre 2023 et novembre 2024 entre la France et le Kazakhstan, fournisseur et partenaire majeur de la France en matière d'uranium (Elysée, Visite d'État de son Excellence Kassym-Jomart Tokaïev, Président de la République du Kazakhstan, République Française, 5 novembre 2024 ; "Kazakhstan’s Tokayev in France: It’s All About Nuclear Energy“, The Times of Central Asia, 6 novembre 2024). Le prix à payer pour un autre type de politique étrangère pourrait être très élevé en termes d'influence et de pouvoir et finalement en termes d'uranium donc d'énergie et enfin d'accès à l'électricité dans le pays.

Conclusion

L'importance de la politique et de la géopolitique pour l'approvisionnement en uranium est une fois de plus démontrée au Niger.

Malgré les apparences, le développement de l'énergie nucléaire ne peut rester l'apanage de la R&D, de l'ingénierie et de la planification industrielle. Pour réussir à garantir l'approvisionnement en uranium lorsque cette sécurité dépend de ressources étrangères, il faudra accorder la plus haute priorité à la compréhension des relations internationales et de la géopolitique, ainsi qu'à la conception et à la mise en œuvre de la stratégie. Avec l'évolution du contexte international instable et avec la propagation de l'impact international du renouveau de l'énergie nucléaire, influence et pouvoir, diplomatie habile et actions internationales ingénieuses, audacieuses et originales seront indispensable.


Notes

(1) Lors des élections présidentielles puis législatives de 2022, lors d'une conférence de presse, Marine Le Pen - ex-présidente du parti et présidente du groupe RN à l'Assemblée nationale - s'est exprimée en faveur de l'adoption d'un projet de loi sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes. Assemblée nationale - a indiqué que, dans le cadre d'un plan pour l'énergie appelé "plan Marie Curie", "cinq paires d'EPR" seraient lancées pour 2031″ et "cinq paires d'EPR2" pour 2036 (François Vignal, "Energie : plein pot sur le nucléaire et haro sur les éoliennes pour Marine Le Pen“, Public Sénat, 14 mars 2022) ; Alexandre Rousset, "Présidentielle : Marine Le Pen voit le salut de la France dans l'énergie nucléaire“, Les Echos, 14 mars 2022).

Publié par Dr Helene Lavoix (MSc PhD Lond)

Dr Hélène Lavoix est présidente et fondatrice de The Red Team Analysis Society. Elle est titulaire d'un doctorat en études politiques et d'une maîtrise en politique internationale de l'Asie (avec distinction) de la School of Oriental and African Studies (SOAS), Université de Londres, ainsi que d'une maîtrise en finance (major de promotion, Grande École, France). Experte en prospective stratégique et en alerte précoce, notamment pour les questions de sécurité nationale et internationale, elle combine plus de 25 ans d'expérience en relations internationales et 15 ans d'expérience en prospective stratégique et en alerte. Elle a vécu et travaillé dans cinq pays, effectué des missions dans quinze autres et formé des officiers de haut niveau dans le monde entier, notamment à Singapour et dans le cadre de programmes européens en Tunisie. Elle enseigne la méthodologie et la pratique de la prospective stratégique et de l'alerte précoce, travaillant dans des institutions prestigieuses telles que le RSIS à Singapour, SciencesPo-PSIA, ou l'ESFSI en Tunisie. Elle publie régulièrement sur les questions géopolitiques, la sécurité de l'uranium, l'intelligence artificielle, l'ordre international, la montée en puissance de la Chine et d'autres sujets liés à la sécurité internationale. Engagée dans l'amélioration continue des méthodologies de prospective et d'alerte, Mme Lavoix combine expertise académique et expérience de terrain pour anticiper les défis mondiaux de demain.

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