Compte tenu de l'état actuel des choses, le scénario 3 : une véritable victoire en Syrie, et ses sous-scénarios sont plutôt improbables à court terme. Cependant, ils méritent d'être soulignés car ils apportent un éclairage analytique sur les dynamiques et les stratégies potentielles pour favoriser ou contrer l'une ou l'autre possibilité, en fonction des intérêts, et parce qu'ils pourraient être pertinents à moyen terme. Le chaos et le début du "warlordisme" qui caractérisent la situation syrienne, comme le soulignent les analystes (par exemple Joshua Landis, 1er mai 2013Commentaire sur la Syrie ; Aymenn Jawad Al-Tamimi, 14 mai 2013, Jihadologie ; voir aussi premier message de la série sur la Syrie) conduisent à la probabilité relativement faible de voir l'un de ces scénarios (ou plutôt des variations de ceux-ci) se réaliser. Néanmoins, en ce qui concerne scénario 1 : La paix à Genève et scénario 2 : Pas de Syrien à Genèveet, outre les signaux indiquant une amélioration du désordre ambiant, nous tenterons d'esquisser des indicateurs qui pourraient faire l'objet d'un suivi plus spécifique pour évaluer la probabilité et le calendrier.
Scénario 3 : une vraie victoire en Syrie ?
Une fois que la victoire de l'un des belligérants sur tous les autres se produit, le vainqueur se retrouve en position de force au niveau national et peut commencer à reconstruire une véritable paix.
Les premières années seront encore difficiles et le nouveau gouvernement devra développer de nouveaux moyens pour stabiliser la situation, en s'assurant que les vaincus ne retrouvent pas le chemin de la violence et de la guerre. L'administration de l'État devra être reconstruite là où elle a été détruite afin que la mission des autorités politiques puisse être menée à bien. Pourtant, nous sommes dans une configuration politique beaucoup plus facile que celle du scénario 1. En effet, la guerre ne peut pas vraiment être gagnée sur un territoire donné sans des troupes de combat qui sont suffisamment unis pour permettre une stratégie, des opérations et des tactiques appropriées, et sans une population mobilisée et/ou contrôlée (le "soutien" donné par la population peut être obtenu avec plus ou moins de coercition, mais doit être présent - voir notamment la littérature sur contre-insurrectionainsi que les théories - et la pratique - de l'agriculture biologique. La guerre du peuple). Ainsi, remporter la victoire signifie que le vainqueur a également réussi à avoir un monopole efficace des moyens de violence (les troupes combattantes victorieuses et l'appareil coercitif au sein de la population, allant de doux à violent), ainsi qu'un moyen d'extraire le surplus de la population en échange de services (y compris la conduite de la guerre).
Par conséquent, gagner la guerre implique que les processus fondamentaux qui sous-tendent le fonctionnement des autorités politiques ont été mis en œuvre et maîtrisés. Le passage de la guerre et de l'urgence à la paix doit encore être réalisé, tandis que les nouvelles autorités politiques doivent consolider leur légitimité, et ce sont là des défis cruciaux, d'où les premières années difficiles, mais les bases pour réussir sont là.
La manière dont la stabilisation de la guerre à la paix se ferait, avec quel type d'autorités politiques et sous quel type de régime, varierait en fonction du belligérant victorieux. L'impact international changerait en conséquence, avec, à son tour, des conséquences sur la situation intérieure syrienne et le type de paix que le vainqueur réussirait à mettre en œuvre.
Scénario 3.1. : Un al-Sham islamique ?
Si les groupes victorieux étaient Salafi-Jihadiils créeraient une théocratie, un état strict de charia. Si l'on se réfère à La déclaration d'avril de Jabhat al-Nusra (Barber, 14 avril 2013, Syria Comment), alors ils chercheraient à créer des l'État islamique d'Al-Shamc'est-à-dire une entité politique couvrant le Levant. Si l'on se réfère à Abu Bakr al-Baghdadi, le chef d'Al-Qaida en Irak, leur objectif serait alors de créer le État islamique d'Irak et d'Al-Sham (ISIS) (Ibid). Comme l'explique Aymenn Jawad Al-Tamimi (14 mai 2013) et par Lund (22 mai 2013(Commentaire sur la Syrie), qui passe également en revue d'autres analyses connexes, nous sommes actuellement dans un épais brouillard de guerre quant à ce qui se passe au sein des factions d'Al-Qaida en Syrie : nous ne savons pas exactement s'il y a des dissensions entre les différents groupes, quelle est leur importance et quel camp, le cas échéant, l'emportera.
Quelle que soit la réalité qui émergera, et pour les besoins de ce scénario, en supposant donc que les groupes victorieux soient salafi-jihadi, l'actuelle Syrie territoriale (avec ou sans le Kurdistan syrien, selon la manière dont la guerre serait menée sur cette partie du territoire et gagnée ou perdue là) serait très probablement considérée comme le cœur à partir duquel la guerre pour conquérir le reste du Levant (avec ou sans l'Irak selon le cas) pourrait être menée. Le nouvel Al Sham serait donc expansionniste et porteur de l'objectif salafi-jihadiste qui "cherche à établir un califat islamique qui engloberait l'ensemble de l'Umma, ou communauté musulmane" (O'Bagy, septembre 2012:17) par tous les moyens, de la guerre ouverte au soutien des réseaux terroristes et au jihad individuel à l'étranger.
Le califat ou Khilafa est expliqué et défini par des termes différents selon les auteurs, mais des similitudes subsistent, notamment l'expansion :
"L'exposé le plus célèbre de la théorie islamique de l'État est celui de l'érudit al-Mawardi, qui affirmait que l'établissement du califat était une obligation islamique acceptée par les érudits. Son traité al-Ahkam al-Sultaniyya (les règles de gouvernance) reste l'une des principales références classiques de la théorie politique islamique. Il y explique que le dirigeant est soit élu par les représentants du peuple, soit nommé par le calife précédent. Les responsabilités du calife comprennent l'application du hudood (châtiments explicitement proscrits par l'islam pour des actes tels que le vol, la rébellion, les actes publics de relations extraconjugales), la collecte et la distribution des impôts conformément aux prescriptions de la charia, ainsi que la protection et l'extension des frontières de l'État islamique." Le Dr Reza Pankhurst, politologue et historien, spécialiste du Moyen-Orient et des mouvements islamiques, "Comprendre les appels au califat," 22 août 2011, Foreign Policy Journal.
"Le khilafa (califat) pour les islamistes est l'idée qu'ils ont le devoir d'établir des "États islamiques" - décrits par des platitudes vagues, théoriques et idéalistes - qui seraient ensuite unis dans un État panislamique mondial ou "nouveau califat"." Dr Usama Hasan, chercheur à la fondation Quilliam, pour BBC News, 24 mai 2013
"Tant sur le plan historique que sur le plan doctrinal, la fonction du califat est de mener le djihad, chaque fois que cela est possible, pour soumettre le monde infidèle à la domination islamique et faire appliquer la charia. En fait, la majeure partie de ce que l'on appelle aujourd'hui le "monde musulman" - du Maroc au Pakistan - a été conquise, petit à petit, par un califat qui a débuté en Arabie en 632.
Un califat qui mène le jihad et applique la charia représente un ennemi permanent et existentialiste, et non un ennemi temporel qui peut être acheté ou apaisé par la diplomatie ou des concessions. Un tel califat est précisément ce que les islamistes du monde entier cherchent fébrilement à établir." Raymond Ibrahim, directeur associé du Middle East Forum, 8 mars 2011, Gatestone Institute.
Malgré la nécessité de l'expansion, les actions agressives peuvent aussi être retardées, ou ralenties, pour permettre d'abord une consolidation au niveau national.
Toutefois, si la rivalité entre les groupes salafistes-djihadistes devait réapparaître après une victoire sur le territoire syrien, les chances de consolider la paix à l'intérieur du pays seraient réduites en raison des luttes intestines, suivant, pour l'essentiel, celles qui se déroulent actuellement. Dans le même temps, le potentiel d'actions djihadistes agressives serait renforcé, car tous les groupes voudraient affirmer leurs références djihadistes et les utiliser pour motiver idéologiquement les combattants, tout en s'aliénant probablement une partie de la population, ce qui contribuerait à nouveau à réduire les chances de stabiliser pleinement la situation au niveau national.
Les États directement menacés par un Al-Sham agressif - et d'autres entités régionales similaires - n'auraient d'autre choix que de riposter. Les perspectives d'une conflagration régionale et mondiale seraient accrues. La paix en Syrie aurait été de courte durée.
Estimation de la vraisemblance pour le scénario 3.1.
A ce jour, la probabilité de voir ce scénario se réaliser est résumée par Aymenn Jawad Al-Tamimi (14 mai 2013): "Au milieu d'un tel chaos, je considère qu'il est peu probable que JAN [Jabhat al-Nusra] progresse considérablement ou perde du terrain au-delà de ses bastions probables dans le nord et l'est. Bien que JAN puisse être régulièrement décrit comme la force de combat la plus efficace, il peut être trop facile de surestimer la taille et l'influence réelles du groupe. Pour résumer, je vois se développer un équilibre de désordre. "
Utilisation de Aymenn Jawad Al-Tamimi's ainsi que l'article de Lund (22 mai 2013), nous pouvons dégager quelques indicateurs à suivre, en plus de suivre le cours de la guerre en Syrie :
- L'état de tension, du désaccord à la scission au sein des groupes d'Al-Qaida opérant en Syrie et entre toutes les factions salafistes-djihadistes.
- L'évolution de la situation en Irak, notamment d'Al-Qa'ida.
- Le degré d'acceptation de la charia stricte au sein de la population syrienne, ainsi qu'au sein de la population sunnite régionale et mondiale.
- L'existence d'alternatives viables, tant sur le plan matériel que spirituel, pour la population, y compris la persistance de l'espoir : si aucun autre modèle n'est fourni en dehors d'un État islamique d'Al Sham et d'un califat, si les gens sont désespérés, ils pourraient bien trouver progressivement un nouveau sens et une nouvelle survie dans un Al Sham islamique (lire à ce sujet le début de l'article de Reza Pankhurst (22 août 2011).
- La capacité des groupes salafi-jihadistes, d'abord en tant que belligérants puis en tant que dirigeants gagnants, à exercer un contrôle et une coercition durables sur le plan intérieur, d'une part, et à coopter et persuader, d'autre part.
Scénario 3.2....
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* Outre une véritable victoire pour l'un des belligérants, Edward Luttwak, dans son article "Donner une chance à la guerre(Foreign Affairs ; Jul/Aug 1999 ; 78, 4) voit une deuxième possibilité qui pourrait conduire à une paix véritable : l'épuisement de tous les belligérants. Je ne prendrai pas en compte ici cette hypothèse car dans un avenir à court ou moyen terme, il semble encore moins probable que cela se produise que le scénario 3, compte tenu des multiples implications externes existantes.
Bibliographie détaillée et sources primaires à venir.