Le design : Jean-Dominique Lavoix-Carli

Un avenir brillant et brûlant

Ces dernières années, chaque été, des tsunamis de feu se sont produits en Amérique du Nord, en Russie, en Afrique, en Asie du Sud et en Europe. Chaque année, ils battent d'anciens records et se propagent plus largement, tout en devenant beaucoup plus intenses.

Ces feux définissent les parties du monde qui vont devenir un endroit à part, c'est-à-dire le "monde en feu". Ces méga-incendies poussent déjà les services d'urgence modernes aux limites de leurs capacités d'intervention.

En Californie, depuis 2017, ces monstres de feu mettent directement en danger la vie urbaine (Jean-Michel Valantin, "L'apocalypse mondiale maintenant, à la manière californienne”, The Red Team Analysis Society12 octobre 2020).

Cependant, ces méga-feux ne dévastent pas seulement le monde. Ils révèlent également les capacités des sociétés à répondre, ou non, à l'état de l'incinération environnementale dans un avenir proche.

En conséquence, une question se pose : les sociétés modernes sont-elles capables de s'adapter à ce nouvel état de choses ? Et une nouvelle "géopolitique d'un "monde brûlant" émerge-t-elle des capacités d'adaptation ou non (Hélène Lavoix, "Quand le déni et la passivité frôlent la stupidité” – Le Red Team Analysis Weekly - 9 janvier 2020) ?

L'un des principaux défis que nous devons relever pour répondre à ces questions est l'absence totale de base ou de cadre de référence historique. En effet, il n'existe aucun enregistrement d'une aussi longue série d'événements de brûlures extrêmes. En effet, le monde en feu est la réalité présente ; c'est aussi "l'ombre du futur" (Robert Axelrod, L'évolution de la coopération, 1984).

https://www.youtube.com/watch?v=1xT6eSyet4E

C'est pourquoi nous devons inclure dans notre réflexion et notre effort de construction de scénarios des idées de scénarii que l'on trouve dans la fiction. De plus, en attendant une construction de scénario adéquate et approfondie, la fiction peut être utile pour esquisser ce à quoi l'avenir pourrait ressembler, si nous la lisons à travers un cadre de prospective stratégique.

L'enjeu est de la plus haute importance, car nos sociétés modernes doivent répondre avec la plus grande hâte à la question : comment s'adapter au monde en feu ?

Afin d'explorer cette hypothèse, nous utiliserons les films de catastrophes et la science-fiction comme matériaux de prospective stratégique. Dans une première partie, nous utiliserons La tour infernale afin d'anticiper les conséquences de la domination du feu sur l'avenir de l'humanité.

Ensuite, nous utiliserons le film Le règne du feu comme une expérience de pensée. À travers ce film, nous nous pencherons sur l'avenir des sociétés dans un monde où les ressources deviennent un carburant.

Ensuite, nous allons relire le roman Tempête de soleil de Stephen Baxter et Arthur C. Clark, pour proposer des solutions alternatives afin d'orienter l'avenir du monde en feu de manière durable.

Anticiper notre monde brûlant et le "Fin de la (connu) Histoire

Afin d'anticiper la manière dont les sociétés peuvent, ou non, s'adapter au monde en feu, il est important d'identifier les principales caractéristiques d'un feu qui sature une zone habitée et développée à grande échelle.

En effet, un incendie détruit les bâtiments, les infrastructures, le couvert végétal, une partie de la faune et des personnes. Mais plus que cela, il peut consommer d'énormes quantités de ressources (Jean-Michel Valantin, ("L'incendie mondial (1)“, The Red Team Analysis Society27 septembre 2020).

Quand il n'y a pas de passé

Le problème est que l'utilisation d'exemples historiques va être très trompeuse. Par exemple, le bombardement et l'incendie de villes européennes pendant la Seconde Guerre mondiale, ou de la jungle pendant la guerre du Vietnam, ont été suivis par la fin de "l'ère des feux de guerre" (Richard Overy, La guerre des bombardements : l'Europe 1939-1945 et John Dower, Cultures de guerre, Pearl Harbor/Hiroshima, 9/11/ Irak, 2010). Ainsi, elle a été suivie par la reconstruction grâce à l'injection de fonds et de matériaux de construction ainsi que grâce à la repousse naturelle.

Cependant, le problème même de l'ouverture de l'ère des méga-feux est qu'il n'y aura pas de fin à cela. Au contraire, la singularité du Burning World est liée à quelque chose de très difficile à accepter en matière de changement climatique.

Les événements climatiques ne deviennent pas extrêmes parce que nous sommes loin des extrêmes ; ils deviennent extrêmes en raison de l'échelle même de leur géographie et parce que leur intensité change (Ed Struzik, "L'ère des mégafeux : Le monde atteint un point de basculement climatique”, Yale 36017 septembre 2020).

La tour infernale et la fuite vers la survie ... pour quelques élus

Nous devons donc utiliser les "expériences de pensée" que proposent la littérature, les films et les séries, car ils extrapolent à partir de ce genre de questions. Par exemple, La tour infernale (John Guillermin, 1974) est assez intéressant pour anticiper ce qui pourrait se passer en Californie et en Australie dans les années à venir.

Il se trouve que le film montre des personnages piégés dans un gratte-ciel en feu. Comme le feu commence au milieu du gratte-ciel, il est trop haut pour que les pompiers puissent intervenir. De là, le feu se propage vers le toit. Les habitants du bâtiment sont coupés du sol par le feu qui fait rage. Ils n'ont d'autre choix que de fuir de plus en plus haut, tout en mourant en masse.  

Il faut comprendre que, pour ces personnages, l'échelle de temps de leur avenir est totalement déterminée par le feu et le rythme de son inexorable extension. Leur seul espoir de survie est d'atteindre l'eau stockée dans des réservoirs sur le toit et de la libérer, afin de sauver une partie de la population.

En d'autres termes, l'"enfer" est un feu qui se propage à l'échelle de tout un habitat. Il force la population restante à se rassembler autour de l'eau, sachant qu'il n'y a pas assez de cette eau pour sauver tout le monde.

Le règne du feu et un monde de cendres

Vers un monde de cendres et de suie

Normalement, dans des écosystèmes tels que les forêts, les feux de forêt peuvent littéralement être des "déclencheurs biologiques". Cependant, les méga-feux sont désormais des signaux et des moteurs du "nouvel anormal", c'est-à-dire du changement climatique (Mark Lynas, Notre dernier avertissement : 6 degrés d'urgence climatique, 2020). En effet, nous devons nous rappeler que le feu est une réaction chimique. Ainsi, un feu ne dure que le temps que le combustible qui alimente la réaction chimique.

Nous devons donc prévoir comment nous adapter à un monde où les zones à l'échelle continentale vont devenir un combustible pour une "méga saison des feux" de plus en plus longue. Cela signifie qu'elles brûleront encore et encore. Et ces régions continueront à brûler jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien pour alimenter les feux, et donc jusqu'à ce que rien ne puisse repousser.

Ainsi, une fois que le combustible sera épuisé, il ne restera plus après l'incinération qu'un monde de cendres et de suie. Il aura très peu de capacités de résilience. Il existe très peu de travaux de recherche ou de fiction qui osent relever le défi de "penser l'impensable".

Le règne du feu

Il se trouve que le film de 2002 Le règne du feu (Rob Bowman, 2002) explore ce qui vient juste après le "Burning world". Au début du XXIe siècle, une volée de dragons se réveille et s'échappe du métro londonien.

Ils sont tout à fait indestructibles et ils brûlent le monde entier. Une dernière communauté survit en vivant sous terre, dans les grottes d'un château médiéval, près d'une rivière. Leurs cultures sont très fragiles et ils doivent empêcher leur incinération par les dragons.

De nouvelles caractéristiques pour une planète en feu

Vers une géographie du feu

Le scénario du film nous parle de la quasi "transplantation" d'un 21ème siècle sur une planète "alternative". Cette "Terre brûlante" peut à peine soutenir la forme la plus fragile de l'existence humaine. En effet, ses habitats et ses écosystèmes sont désormais le combustible du monde en feu. 

Cela nous aide donc à comprendre la nouvelle géographie à venir de notre monde en feu.

Dans quelques années, la Californie, la côte ouest de l'Amérique du Nord, le bassin amazonien et l'Australie risquent de devenir des mondes de cendres et de suie.

Cela impliquerait une politique de survie (David Wallace Wells, La terre inhabitable, la vie après le réchauffement, 2019). Celles-ci seraient basées sur le mélange des impératifs biologiques et sociaux de la société alors que la Terre devient une autre planète.

Une éthique pour une planète en feu

Elle nous dit aussi que le type de changements qui se produisent actuellement a aussi une dimension psychologique et cognitive extrêmement importante. Ces dernières sont nécessaires pour permettre aux êtres humains de faire face à un état de catastrophe permanent, sans choisir la négation.

Au contraire, une mentalité de "paysan/guerrier/pompier" sera un moyen efficace de s'adapter.

Prévenir la tempête de feu ?

Ces scénarii de prospective provisoire extraits de la fiction sur le monde en feu ne sont absolument pas séduisants.

Ils nous obligent à comprendre qu'il y aura une dégradation drastique de la durabilité collective. Les habitats et les ressources vont se transformer en combustible, en chaleur, en fumée, en cendres et en suie. Et ce qui restera de la vie humaine sera "pauvre, méchant, brutal et court" (Hobbes, Le Léviathan, 1651).

Étant donné la quasi-impossibilité pour une grande population de s'adapter au monde en feu, la seule autre alternative semble être de trouver des moyens d'atténuer la tempête de feu. Ce qui est fait pour l'atténuer par le biais de négociations internationales et du développement du bouquet énergétique est certainement utile.

Cependant, dans le même temps, les méga-feux se multiplient. Et ils s'intensifient et se propagent également à une plus grande échelle (Michael Klare, L'enfer se déchaîne, le point de vue du Pentagone sur le changement climatique, 2019). 

Nous devons donc explorer une autre alternative, mêlant atténuation et prévention.

Tempête de soleil et la politique mondiale alternative

Le roman "Tempête de soleil", de Stephen Baxter et Arthur C. Clark (2006), explore cette famille de scenarii. En 2037, un astrophysicien et une intelligence artificielle (IA) prédisent qu'une tempête solaire exceptionnelle va incinérer la Terre en 2042. Ainsi, le "feu de joie ultime" devient "l'ombre du futur" pour toute la race humaine (Axelrod, Ibid.).

Cela déclenche un effort international, moins la Chine, pour construire un miroir spatial géant et intelligent. Il est conçu pour dévier le "bombardement du soleil" de 24 heures. Le roman décrit les dimensions politiques, scientifiques, industrielles, diplomatiques et psychologiques de cette entreprise colossale. Il décrit également comment il transforme la politique mondiale.

Le livre est aussi un récit de perte et de tristesse. En effet, si le projet est en grande partie un succès, les dégâts sont immenses. Néanmoins, ce formidable effort permet aux sociétés modernes de survivre au passage de ce "goulot d'étranglement du feu de soleil". 

Tiré de Tempête de soleil au changement climatique

Plus intéressant encore, les auteurs développent clairement une métaphore sur le changement climatique et le monde en feu. En effet, le "miroir de l'espace" est l'une des réponses théoriques que certains scientifiques envisagent pour "refroidir" la planète (Clive Hamilton, Maîtres de la Terre : l'aube de l'ère du génie climatique, 2013).

Le miroir spatial, comme d'autres spéculations de géo-ingénierie, dévierait une partie des radiations du soleil.

Une menace mondiale comme bien commun

Le roman dit qu'il est possible de changer le climat actuel et la trajectoire des "tempêtes de feu". Cependant, pour réussir, il faudrait mettre en commun et coordonner les ressources politiques, scientifiques, financières et industrielles actuelles.

Cela serait possible grâce à la compréhension collective d'une menace planétaire reconnue comme un "commun" involontaire de la race humaine (Garrett Hardin, La tragédie de lae Communs, 1968).

Elle ne favorise absolument pas la "décroissance" ou l'effondrement, bien au contraire. Le roman révèle qu'il est possible de réorienter les sociétés modernes. L'espace devient le nouveau lieu où elles peuvent tendre vers la durabilité et commencer à chercher de nouvelles ressources.

En d'autres termes, il est temps d'utiliser les ressources et les capacités actuelles pour atténuer et prévenir le "Burning World". Pour atteindre cet objectif, le processus décisionnel doit faire appel à des scénarios de prévision et d'alerte précoce.

Image en vedette : Image par sippakorn yamkasikorn de Pixabay

Publié par Dr Jean-Michel Valantin (PhD Paris)

Le Dr Jean-Michel Valantin (PhD Paris) dirige le département Environnement et Sécurité du Red Team Analysis Society. Il est spécialisé dans les études stratégiques et la sociologie de la défense avec un accent sur la géostratégie environnementale. Il est l'auteur de "Menace climatique sur l'ordre mondial", "Ecologie et gouvernance mondiale", "Guerre et Nature, l'Amérique prépare la guerre du climat" et de "Hollywood, le Pentagone et Washington".

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