Un territoire souverain est la clé du pouvoir et crucial pour toute activité. Cela restera très probablement plus ou moins le cas dans un avenir prévisible. Il importe donc de se poser un certain nombre de questions relatives à cette notion. Par exemple, quel est le territoire sur lequel chaque État est souverain? Quelle est la taille de chacun de ces territoires? Où sont situés ces territoires? A quoi ressemble le monde international géographique, le monde géopolitique et géostratégique?
Nous pensons, bien sûr, connaître les réponses à ces questions. Très certainement, par exemple, les plus grands États doivent être la Russie, les États-Unis, le Canada et la Chine. Très certainement également, les États européens ne sont forts que dans l'Europe géographique, ce qui est une façon pudique de dénier tout statut de puissance globale à l'UE. Mais que se passerait-il si ces réponses étaient fausses? Et si le véritable monde international et global dans lequel nous vivons et vivrons était très différent des représentations auxquelles nous sommes le plus souvent habitués?
En utilisant des cartes, cet article fait émerger une représentation du monde cohérente avec la réalité. Il insiste sur l'importance de considérer les mers et la souveraineté sur les territoires maritimes de manière globale plutôt que de s'en tenir à des représentations dépassées centrées sur les masses continentales. Il met en évidence les conséquences géostratégiques de cette représentation territoriale "révisée" du monde et propose quelques recommandations.
Une représentation classique du monde
Représentation du monde, cartes et stratégie
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Les représentations du monde incarnées par les cartes définissent notre façon de penser, de planifier et d'agir.
Ces représentations influencent la façon dont nous pensons stratégiquement. Si nous voulons concevoir et mettre en œuvre des stratégies efficaces, nous devons nous assurer que nos représentations mentales sont suffisamment proches de la réalité.
Nos conceptions de l'espace géographique dans lequel nous vivons vont limiter et permettre ce que nous considérons comme possible, notre vision et nos objectifs, la manière dont nous concevons et mettons en œuvre des stratégies et politiques afin d'atteindre nos objectifs, ainsi que leur planification.
Ces représentations de l'espace sont essentielles pour envisager les interactions entre les puissances mondiales, pour déterminer quel pays a le plus de chances de gagner ou de perdre, de devenir une superpuissance ou non, de faire partie intégrante de l'ordre international ou non. Elles sont essentielles en termes de défense et de sécurité, de la guerre et défense classique à la préparation nécessaire pour faire face aux menaces découlant du changement climatique, de la perte de biodiversité et, plus généralement, des modifications des écosystèmes. Elles sont essentielles en termes économiques et cruciales pour décider de l'emplacement de nouvelles usines ou filiales. Elles ne sont pas moins importante pour tout ce qui concerne la logistique et l'approvisionnement.
Changer notre représentation de l'espace peut modifier ce que nous faisons et la façon dont nous nous conceptualisons, ainsi que notre relation aux autres.
Par exemple, la géographie moderne, et en particulier la cartographie, a joué un rôle essentiel dans le développement de l'identité nationale et de l'idée de nation. Elle a également permis d'imposer les principes de l'État-nation moderne dans le monde entier, à savoir la souveraineté, la territorialité et l'indépendance (voir l'article et la bibliographie détaillée attenante: Hélène Lavoix, "Le pouvoir des cartes“, The Red Team Analysis Society, 2012).
Une focalisation classique sur les masses terrestres
L'une des plus anciennes cartes du monde, une Mappa Mundi, est la Tabula Peutingeriana, peut-être une copie médiévale d'une carte romaine (env. 250) créée vers 1250 (Ulrich Harsch Bibliotheca Augustana). Elle se présente comme illustré ci-dessous :
Tabula Peutingeriana1-4ème siècle de notre ère. Édition en fac-similé par Konrad Miller, 1887/1888, Domaine public via Wikimedia Commons - Cliquez sur l'image pour y accéder sur ZoomViewer.
L'accent est mis sur les grandes masses continentales, avec les réseaux routiers, les villes, certaines caractéristiques géographiques telles que les rivières et les montagnes, ainsi que les mers et les îles connues, comme ici la Corse et la Sardaigne (première image). La centralité politique de Rome est également mise en évidence (deuxième image).
Actuellement, la Mappa Mundi du 21ème siècle à laquelle nous sommes habitués ressemble à l'image suivante :
C'est une carte politique typique du monde. La source de cette carte, le World Factbookde la CIA, nous indique qu'il s'agit bien de la perception la plus commune et la plus répandue du monde en termes de sécurité internationale, de relations internationales et de géopolitique, ainsi que d'activité économique.
Avec ce type de cartes, nous nous concentrons sur les masses terrestres connues, avec de petites et minuscules îles saupoudrées sur les océans. Nous examinons également la distance entre les États souverains, indépendants et territoriaux. Nous nous intéressons aux frontières et surtout aux frontières contestées.
En cas de différends sur les frontières, nous regardons alors sur des cartes plus précises et détaillées, comme celles ci-dessous pour le potentiel de conflit dans les mers de Chine orientale et méridionale.
Revendications et litiges territoriaux de la Chine, le point de vue des USA - Rapport 2020 sur la puissance militaire de la Chine au Congrès - Département de la défense
Des cartes similaires sont établies en fonction des domaines et des intérêts, de l'énergie à l'exploitation minière, en passant par les commandements militaires et les armées.
Quelle que soit la perspective, le cadre de la représentation est la masse terrestre d'abord, laquelle est sise accessoirement, malheureusement ou même sans que cela ait d'importance, au milieu des océans, lesquels sont gérés ou "apprivoisés" par le biais des ports et des voies de transport.
Voir les mers et sous les mers
Mise à jour des cartes
Or, cette focalisation sur les principales masses continentales nous donne une image erronée de la réalité. Deux éléments fondamentaux font défaut : les zones économiques exclusives (ZEE) et le plateau continental, qui fait l'objet de revendications dites du plateau continental étendu (extended continental shelf - ECS en anglais).
Peut-être que le moyen le plus simple de comprendre ce que représentent ZEE et plateau continental en termes géopolitiques est d'abord d'imaginer la terre sans les océans. Les terres émergées (les masses continentales actuelles) apparaîtraient alors comme le sommet de montagnes et de plateaux plus ou moins grands. Ce que nous percevons habituellement comme le territoire d'un État d'étendrait alors du sommet de ces montagnes ou plateaux jusqu'à la ligne côtière (ou la frontière terrestre négociée avec les voisins). Une autre tranche de territoire serait située autour du pays et s'étendrait sur 12 miles nautiques (la mer territoriale). Ensuite, un autre territoire beaucoup plus grand serait situé à l'intérieur de la ligne de "frontière" suivante, à 200 milles nautiques (la ZEE) de la côte. Enfin, une dernière tranche de territoire s'étendrait, si elle existe, sur les 360 milles marins du plateau continental auquel appartient la montagne ou le plateau, à partir de la ligne de côte, ou, si le plateau continental est inférieur à 350 milles nautiques, à sa fin.*
Tous les terrains situés à l'intérieur de la dernière limite de l'ECS revisitée sont sous la juridiction souveraine de l'État, pratiquement comme pour la masse terrestre émergée habituelle*, ce qui inclut tous les droits d'exploitation.
Ensuite, vous pouvez remplir à nouveau les profondeurs avec l'eau des mers et des océans. Toutes les eaux situées dans la zone des 200 miles nautiques sont sous la souveraineté de l'État*.
Pour l'Union européenne, par exemple, la carte correcte avec les ZEEs ressemble à l'image ci-dessous (accès par la page Portail du réseau européen d'observation et de données du milieu marin (EMODnet)).
Pourtant, même cette carte, bien meilleure, n'est pas tout à fait correcte. Il faut y ajouter les revendications relatives au plateau continental étendu (ECS) que chaque pays devait soumettre avant le 13 mai 2009 (pour plus de détails, voir Helene Lavoix, "Dossier sur les ressources des grands fonds marins", mis à jour le 5 janvier 2018). Nous pouvons voir ce que ces revendications couvrent territorialement sur l'image ci-dessous.
Si vous cliquez sur une zone, sur le site web interactif de cartographie par GRID Arendal, vous verrez alors quel pays a revendiqué cette zone, ainsi que le statut de la revendication.
Maintenant, si nous combinons toutes les cartes, nous obtenons une représentation du monde qui est effectivement très différente de celle à laquelle nous sommes habitués (notez que les territoires de l'Antarctique sont toujours absents de ces cartes**).
Quels acteurs internationaux sont de véritables puissances mondiales ?
La seule puissance véritablement mondiale sur le plan géographique est l'Union européenne, tant qu'elle reste unie. La perte de la Grande-Bretagne a été un coup dur en termes géopolitiques, avec la perte de la suprématie sur l'Atlantique Sud. En comparaison, les États-Unis sont une puissance du Pacifique. Qui plus est, le total des ZEE de l'UE représente 20,07 millions de km2, alors que la puissance suivante, les États-Unis, ne totalise que 12,17 millions de km2. (Jean-Benoît Bouron, "Mesurer les Zones Économiques Exclusives“, Géoconfluences, 23 Mars 2017).
Première image : EMODnet Carte des pays de l'UE plus le Royaume-Uni et leurs ZEE - 13 novembre 2020.
Deuxième image : La zone économique exclusive (ZEE) de la NOAA des États-Unis et des îles affiliées (bleu foncé).
La Chine reste dans ses frontières traditionnelles, auxquelles il faut ajouter les zones contestées de la mer de Chine méridionale et orientale. L'absence de possessions maritimes et de plateau continental pour la Chine contribue fortement à expliquer sa vision multinationale et internationale extrêmement active, ainsi que ses efforts connexes comme par exemple avec l'Autorité internationale des fonds marins (AIF), ou en ce qui concerne l'Arctique et l'Antarctique (voir Helene Lavoix, "Les ultimes technologies clés du futur (3) - Environnements extrêmes“, The Red Team Analysis Society, juin 2021 ; Jean-Michel Valantin, "La Chine antarctique (2) - Le jeu planétaire de la Chine"et "La Chine antarctique (1) : Stratégies pour un endroit très froid", 31 mai et 28 juin 2021, ainsi que les articles de Jean Michel Valantin sur l' Arctique, The Red Team Analysis Society). Si la Chine veut être une puissance mondiale avec une base géographique correspondante, elle n'a pas d'autre choix. La stratégie spatiale de la Chine peut également être considérée dans ce cadre car, en déplaçant complètement le "théâtre d'opérations" et en le rendant planétaire et non plus seulement terrestre, la Chine pourrait rendre partiellement obsolète son absence de présence sur le globe.
Modifier une composante du pouvoir : un classement différent relatif au territoire
Avec la nouvelle carte mondiale revisitée pour ajouter les ZEE et les ECS, la taille réelle et le pouvoir potentiel des États changent.
Territoire mondial par acteur international (en millions de km2) - classé par ZEE et ECS et classé par territoire total - Sources : principalement Bouron, "Mesurer les Zones Économiques Exclusives", Ibid ; USGS et NOAA ; Portail national des limites maritimes; Wikipedia.
La Russie est le plus grand acteur international, suivie de près par l'UE. Les États-Unis arrivent ensuite. La Chine est loin derrière. L'Inde est encore plus loin. L'Australie puis le Canada arrivent juste après les États-Unis. Cependant, la ZEE du Canada est exclusivement situées autour de sa masse continentale, ce qui réduit son statut global sans oublier néanmoins le statut de puissance arctique du Canada. L'Australie a, grâce à la mer et à ses ZEE, une présence importante dans l'océan Indien.
En termes d'États, malgré de petites superficies initiales si l'on s'en tient aux masses terrestres émergées, la France devient le 7e plus grand pays du monde - à égalité avec la Chine - tandis que la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni deviennent respectivement les 9e et 10e plus grands pays au monde. L'Allemagne est loin derrière et n'a été ajoutée qu'à titre de comparaison.
La France possède en effet le deuxième plus grand territoire maritime après les États-Unis et ce territoire s'étend principalement dans les océans Pacifique et Indien. Les États-Unis sont absents de l'océan Indien. Bien que cela ne soit pas visible sur les cartes, les États-Unis sont une puissance arctique mais pas antarctique, tandis que la France est une puissance antarctique mais pas arctique. Le Royaume-Uni, qui a également une présence mondiale, est particulièrement fort dans l'océan Atlantique Sud.
Le territoire des ZEE des États-Unis (à gauche) et le territoire des ZEE et de la SCE de France 2014 (à droite)
À gauche : la zone économique exclusive (ZEE) de la NOAA des États-Unis et des îles affiliées (bleu foncé). A droite : Carte du SHOM 2014 - utilisée sur le site "Tableau des superficies"Page web, Limites Maritimes
Prendre en compte la dimension maritime du territoire et de la puissance
Il serait donc logique, d'un point de vue stratégique, que la France, le Royaume-Uni et l'UE conceptualisent leur puissance en termes de territoire, et notamment de territoire maritime. Cela peut être facile pour le Royaume-Uni, compte tenu de son histoire, mais beaucoup plus difficile pour l'UE et la France.
Au contraire, la Chine, et dans une moindre mesure la Russie, sont des puissances fondamentalement terrestres, ce qui, bien sûr, est loin de les empêcher de développer une puissance maritime (Valantin, articles sur Arctique, Ibid.). Mais, dans le cas de la Chine, elle doit le faire sans " points d'appuis ", d'où l'importance cruciale du volet maritime de la "Belt and Road" chinoise, qui complète l'absence de territoire maritime substantiel de la Chine (Valantin, "Militarisation de la nouvelle route de la soie maritime“, The Red Team Analysis Society, 3 avril 2017).
L'importance de ce territoire maritime semble commencer à être prise en compte au niveau de l'UE, comme en témoigne, par exemple, le fait que "L'UE a étendu les règles de défense commerciale au plateau continental et aux zones économiques exclusives des États membres," le 3 juillet 2019. Pourtant, le commerce n'est qu'une partie des instruments du pouvoir. Des recherches et une évaluation plus détaillées seraient ici nécessaires.
Une adaptation difficile : le cas complexe de la France ?
Si nous regardons, comme autre exemple, le document officiel 2019 de l'armée française, La France et la sécurité dans l'Indo-Pacifique, il apparaît clairement que les anciennes représentations ont la vie dure. Il semble difficile de commencer à penser pleinement en termes de territorialité globale, comme le montre la première carte de la galerie ci-dessous.
Cela ne signifie pas que tous les acteurs français ont une vision dépassée, comme le montrent, par exemple, l' Ifremer, par le rapport du Conseil économique, social et environnemental français (CESE) mentionné ci-dessous, ou par le relativement récent portail national des limites maritimes, utilisant uniquement les cartes qu'ils fournissent comme signaux faibles (deuxième, troisième et quatrième carte dans la galerie ci-dessous).
Première image : Armée française, La France et la sécurité dans l'Indo-Pacifique2019 p.3 - Deuxième image : Ifremer
Troisième image : Carte interactive du SHOM, accès à partir de portail national des limites maritimes - Quatrième image : Gérard Grignon, "Extension du plateau continental au-delà de 200 milles marins : un atout pour la France“, Conseil économique, social et environnemental, 2013, p.74
Pourtant, que ce soit par manque de compréhension, de vision ou autre, pour des raisons inconnues, en 2009, la France a retiré le dépôt de l'information préliminaire concernant l'ECS de Clipperton, abandonnant ou reportant ainsi l'affirmation de ses droits souverains. Cela s'est fait sous la présidence de Sarkozy, du parti Les Républicains (droite, LR). Cet abandon a été dénoncé, par exemple, par le rapport spécial du Conseil économique social et environnemental français (CESE), qui n'est que consultatif (Gérard Grignon, "Extension du plateau continental au-delà de 200 milles marins : un atout pour la France", 2013, pp. 25 & 33, 125-129), comme :
"un abandon inacceptable de la souveraineté de la France sur ses prétentions légitimes."
Grignon, "Extension du plateau continental au-delà de 200 milles marins : un atout pour la France", p.33
Manifestement, rien n'a été fait pour remédier à cette action incroyable et soumettre la demande comme recommandé, car le site officiel des limites maritimes nationales ne répertorie aucun ECS pour Clipperton (portail national des limites maritimes, "tableau des superficies", accès 15 sept 2021), malgré les droits français, l'existence de ressources telles que le soufre hydrothermal (Grignon, ibid. p.141 en utilisant Ifremer, note N°3 Ressources minérales océaniques, 21 septembre 2012), et éventuellement des nodules polymétalliques.
De manière générale, si l'on considère l'ensemble du territoire français, il semble que les ECS françaises soient particulièrement petites. En effet, par exemple, à part Clipperton, d'autres territoires n'ont pas été suivis et aucune information préliminaire n'a été déposée pour eux pendant les présidences Sarkozy et Hollande (Grignon, Ibid., p.61, 125-133). Dans l'ensemble, il semblerait que 725,297 km2 de ECS aient été reconnus ("tableau des superficies"), alors que le CESE calcule que 2.510.544 km2 pourraient être revendiqués (Grignon, pp. 134-135). 2,5 millions de km2 correspondent à 3,7 fois le territoire français émergé.
La diversité des visions - et des actions - des différents acteurs français ne doit pas surprendre et a longtemps présidé à la destinée du pays, notamment en matière d'exploration et d'outre-mer (de Jacques Cartier et la Nouvelle France, à la " perte des Indes " - en fait des comptoirs commerciaux - sous Louis XV, en passant par les implantations dans les territoires français d'Amérique, le soutien aux Américains dans la guerre d'indépendance, la nécessité d'aller à l'encontre de Napoléon III pour une vision globale, ou encore le refus de s'appuyer sur et de prendre complètement en compte les Protectorats et Colonies pendant la Seconde Guerre mondiale, malgré les demandes des populations de ces territoires - voir, entre autres, Raoul Girardet, L'Idée Coloniale en France, (Paris, Hachette/Pluriel, [1972], 1978) ; Catherine Coquery-Vidrovitch, " La colonisation française 1931-1939 ", in Histoire de La France Coloniale : III. Le Déclinéd. Vol.3 (Paris : Armand Colin, Agora, 1991) ; Hélène Lavoix, Nationalisme et génocide : la construction de la nation, de l'autorité et de l'opposition - le cas du Cambodge (1861-1979) - Thèse de doctorat - School of Oriental and African Studies, Université de Londres, 2005).
Pourtant, la France est de facto la première puissance dans l'océan Indien. C'est également une puissance très forte dans le Pacifique, peut-être à égalité avec les États-Unis (pour la partie sud).
Il est intéressant de noter que si nous pensons à la vieille idée de François Guizot au 19ème siècle, la politique des "points d'appuis" à travers le globe permettant la projection de forces (et initialement le charbon et d'autres fournitures pour les bateaux à vapeur dans la compétition de l'époque avec le Royaume-Uni, voir Lavoix, Nationalisme et Génocide, Ibid.), alors les îles françaises des Caraïbes et Clipperton sont des endroits importants pour atteindre les zones françaises dans le Pacifique.
Des voisins improbables
Une autre conséquence de l'examen global du territoire des acteurs internationaux est de prendre pleinement conscience de l'existence de voisins "improbables". Par exemple, l'Australie et la France sont voisines, autour des îles Kerguelen et de la Nouvelle-Calédonie. De même, l'Australie et la Norvège sont des voisins (au nord de l'Antarctique). Ces relations existent aussi en considérant le voisinage sur l'Antarctique**.
Cela signifie qu'il faut peut-être envisager différemment les alliances ou, à tout le moins, une forte coopération.
Pourquoi cela est-il important et quelques recommandations
Parmi les facteurs cruciaux qui façonneront notre avenir, nous trouvons le changement climatique et la perte de biodiversité, ou plus largement les modifications des écosystèmes, et la raréfaction des ressources (y compris l'énergie), ce qui nous amènena à utiliser de plus en plus de nouveaux territoires, plus extrêmes.
L'un de ces territoires extrêmes est celui des grands fonds marins, ce qui implique de les connaître, de les protéger en les utilisant. Il sera primordial de pouvoir exploiter les abysses de manière réellement durable, de transporter ensuite les ressources obtenues là où elles sont nécessaires, de surveiller les zones concernées et de les sécuriser.
Être souverain sur ces territoires, qui sont de facto maritimes, sera un facteur de richesse et de survie. Pouvoir utiliser ces territoires de manière stratégique n'est pas moins important, comme le montrent les efforts et les succès chinois dans ce domaine (par exemple, Lavoix, "Les technologies clés ultimes...", Ibid.).
Les liens entre le domaine maritime mondial et l'espace ne doivent être ni oubliés ni sous-estimés, car l'espace est essentiel pour la navigation et les communications, par exemple.
Les ressources halieutiques et leur préservation ne doivent bien sûr pas être oubliées.
Les groupes d'acteurs intéressés, qu'ils soient publics, privés ou mixtes, devraient aller de l'avant pour investir et développer les capacités des ZEE et les ECS ainsi que la gestion durables des flux à partir de et ces zones, plus particulièrement dans les grands fonds. Ils devraient inclure des start-ups quand besoin est et s'assurer que l'innovation et la recherche multidisciplinaire sont pleinement prises en compte. Ils devront peut-être exercer des pressions sur les États. Cette stratégie pourrait s'avérer particulièrement utile lorsque ou si les dirigeants officiels et les administrations pratiquent allègrement la négligence jusqu'à la défaillance.
Les entreprises doivent repenser leurs stratégies pour tenir compte de la manière dont le monde se présente réellement et de la façon dont les alliances et les tensions connexes peuvent évoluer et avoir un impact sur leur activité.
Les États, les diplomates et les armées doivent s'assurer qu'ils ont et auront les moyens d'assurer la sécurité du territoire sous leur souveraineté, surtout si l'on considère le contexte de plus en plus tendu et les défis croissants de l'avenir.
Note
* Nous adoptons ici une approche géopolitique, et non une vision des différends en matière de droit international. Notre objectif n'est pas de discuter des différences entre la souveraineté et les frontières liées à la mer territoriale, aux ZEE, à la prééminence du droit de la mer, etc., ni des relations entre le pouvoir, la force, les relations internationales, le droit international, le système international, etc.
**"Le traité de Washington du 1er décembre 1959 ayant gelé toutes les revendications sur le continent antarctique, les États possesseurs, comme la France, ne peuvent exercer ni souveraineté ni juridiction sur les eaux situées au-delà du territoire antarctique qu'ils revendiquent. Les demandes d'extension du plateau continental sont également suspendues. En conséquence, les espaces maritimes relatifs à la terre Adélie ne sont pas inclus dans les espaces maritimes actuellement en vigueur pour la France." (Limites maritimes, Tableau des superficies, 2021).
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