(Conception artistique : Jean-Dominique Lavoix-Carli)

Le COVID long pourrait fort bien être la prochaine bataille que nous devrons mener et gagner dans notre lutte contre la pandémie de COVID-19.

Ainsi, dans cet article, nous cherchons à évaluer le COVID long dans le cadre de la cinquième vague de la pandémie de COVID-19. Cela nous donnera également des indications possibles sur la manière dont le COVID long pourrait se développer à l'avenir, au-delà de la vague actuelle. Notre objectif est de nous faire une idée de l'impact actuel et à venir du COVID long. Cette évaluation précoce contribuera, à son tour, à l'élaboration de réponses et de stratégies afin de prendre en compte cet aspect de la pandémie, qui a été largement ignoré jusqu'à présent.

Tout d'abord, nous expliquons notre méthodologie. Ce faisant, nous découvrons certaines incohérences parmi les quelques données sérieuses disponibles sur le COVID long. Nous suggérons des moyens de les surmonter dans notre cadre, la prospective stratégique et l'alerte précoce. Ensuite, nous présentons le résultat de notre évaluation sous la forme de trois courts scénarios sur le COVID long et la cinquième vague : "Revenir à la raison“, “Optimisme", et "Le prix de l'ignorance“.

Le premier article de cette série sur le COVID long fait le point sur les connaissances actuelles jusqu'à fin novembre 2021 (Hélène Lavoix, "Long COVID et la cinquième vague - La pandémie cachée“, The Red Team Analysis Society, 22 novembre 2021). Il pose les bases de notre compréhension de la maladie. Nous utilisons également au besoin ce qui a été établi dans nos autres articles sur la cinquième vague de la pandémie (Helene Lavoix, "La cinquième vague de la pandémie de COVID-19 et sa létalité", le 9 novembre 2021, et "Vers une cinquième vague de Covid-19", 27 octobre 2021, The Red Team Analysis Society).

Estimation des cas de COVID long pour la cinquième vague

Objectif et limites

Objectif

Comme nous l'avons souligné dans l'introduction, notre objectif est de nous faire une idée de l'impact actuel et à venir du COVID long.

Pour cela, nous avons besoin de chiffres plus précis que ceux donnant une estimation globale de toutes les personnes ayant souffert et souffrant de COVID long, comme ce que nous avons trouvé dans l' l'article précédent, grâce notamment à Chen et al. ("Global Prevalence of Post-Acute Sequelae of COVID-19 (PASC) or Long COVID: A Meta-Analysis and Systematic Review“, MedRxiv [pas encore examiné par les pairs], 16 novembre 2021, doi: 10.1101/2021.11.15.21266377).

Nous avons besoin d'une estimation globale des personnes qui subissent chaque jour un COVID long. Nous devons également savoir combien de ces personnes, chaque jour, peuvent mener à bien ou non leurs activités. En outre, comme notre objectif est la prospective ainsi qu'une stratégie de préparation et de réponse, nous devons être en mesure de faire des prévisions, même imparfaites. Nous utilisons donc ce que l'on a compris jusqu'à présent du COVID long, lequel semble dépendre notamment des infections, et nous considérons donc les facteurs favorisant ou contraignant la pandémie en termes de contagion (cf. Vers une cinquième vague de Covid-19“).

Avec ces estimations, nous devrions commencer à pouvoir envisager des impacts collectifs mondiaux.

Limites

Compte tenu du niveau élevé d'incertitude et des nombreuses approximations et estimations sur lesquelles nous devons nous appuyer, nous obtiendrons principalement des tendances et des indications approximatives possibles (pour une explication de ce que sont des "indications", voir notre article de fond "Balayage d'horizon (horizon scanning) et veille pour l'alerte précoce : Définition et pratique“, The Red Team Analysis Society, éd. révisée, 2019).

En outre, une approximation majeure que nous effectuons consiste à appliquer au monde entier des taux spécifiques au Royaume-Uni. Cependant, étant donné que l'enquête britannique est la seule série de données nationales et historiques sur le COVID long disponible, nous n'avons pas véritablement d'autre choix. Comme nous l'expliquons ci-dessous, nous allons également, ici, rencontrer un problème majeur, l'incohérence de données.

Il est à espérer, au fur et à mesure que les pays commenceront à prendre en compte le COVID long, que de meilleures évaluations deviendront possibles.

Méthodologie

Estimation du nombre de cas quotidiens de COVID long

Compte tenu des limites rencontrées, nous appliquons le taux de prévalence global groupé de Chen et al. (Ibid.), 43%, aux cas quotidiens d'infection dans le monde. Cela nous donne un nombre quotidien estimé de COVID de longue durée.

Pour le passé, nous utilisons les données statistiques réelles des cas quotidiens d'infection ou plus précisément les cas quotidiens testés positifs au COVID-19, une indication approximative du nombre d'infections (Our World in Data utilisant le COVID-19 Data Repository by the Center for Systems Science and Engineering (CSSE) at Johns Hopkins University). Notez que même pour les données passées, les chiffres changent chaque jour, car des corrections sont apportées aux ensembles de données. Parfois, un nombre important de cas d'infections sont ajoutés a posteriori, plus d'un mois plus tard. Cela ajoute encore une autre mesure d'incertitude.

En ce qui concerne le futur, utilisant notre article "Vers une cinquième vague de Covid-19", nous formulons trois hypothèses ou scénarios concernant la forme que pourrait prendre la vague d'infections quotidiennes dans le monde, comme indiqué ci-dessous au début de chaque scénario.

Pour tous ces scénarios, nous considérons que la prévalence de COVID long lié au variant Omicron est la même que celle observée avec les variants précédents (OMS, "Classification de l'Omicron (B.1.1.529) : Variant préoccupant du SRAS-CoV-2 " - 26 novembre 2021). Nous devons toutefois souligner qu'il s'agit d'une inconnue. Le variant Omicron pourrait entraîner plus, moins, aucun ou beaucoup plus de cas de COVID long. L'intensité et les diverses caractéristiques du COVID long résultant d'Omicron - ou d'autres futurs variants préoccupants (VoC) - pourraient également changer. Les nouveaux symptômes pourraient n'être qu'une fatigue de quelques semaines, ou à l'autre extrémité du spectre, un COVID long beaucoup plus grave. Cette situation doit être surveillée. Même avec un suivi, il faudra des mois, voire des années, avant de pouvoir se faire une idée de l'impact du variant Omicron ou d'autres VoC sur le COVID long.

Nombre quotidien de COVID longs en fonction de la durée

L'étape suivante devait être, au départ, relativement simple à réaliser. Elle s'est avérée beaucoup plus difficile à gérer que prévu.

Trouver les taux de COVID long en fonction de la durée

L'idée, à l'origine, était d'appliquer "simplement" la proportion de COVID long en fonction de la durée au nombre quotidien estimé de personnes qui connaîtraient un COVID long et que nous avions obtenu à l'étape précédente.

La proportion de COVID long en fonction de la durée de la maladie devait être donnée par les séries de données historiques mensuelles de l'Office for National Statistics du Royaume-Uni (UK ONS - Tableaux 1 - Estimations de la prévalence de la COVID longue autodéclarée et de la limitation d'activité associée, à l'aide des données suivantes Données de l'enquête sur les infections à coronavirus (COVID-19) au Royaume-Uni - Ensembles de données mensuelles). L'évolution de ce taux, depuis mars 2021, est illustrée par le graphique ci-dessous, qui présente l'évolution du COVID long au fil du temps au Royaume-Uni.

Durée du COVID long depuis la première infection (suspectée) à coronavirus
(Source : UK ONS - Tableaux 1 - Estimations de la prévalence des COVID longs autodéclarés et des limitations d'activité associées, à partir des données de l'enquête britannique sur les infections à coronavirus (COVID-19) - Ensembles de données mensuelles )

Par exemple, pour un mois donné, le segment de couleur or représente les nouveaux cas de COVID long alors qu'une nouvelle vague commence, s'intensifie puis s'estompe. Le mois suivant, une partie de ces nouveaux cas est passée à la catégorie suivante (COVID long de 12 à 26 semaines) et est donc représentée par un segment d'un brun légèrement plus foncé. La nouvelle "entrée" dans un segment rejoint les cas de COVID long des mois précédents qui sont toujours dans cette catégorie, tandis que certains cas de COVID long se terminent et que d'autres passent à la catégorie suivante (26 à 39 semaines). Ainsi, chaque mois, les cas de COVID long passent d'une colonne à l'autre, en montant à chaque fois d'une catégorie.

Toutefois, nous ne pouvons pas nous contenter de prendre le pourcentage résultant directement des tableaux mensuels britanniques. En effet, le nombre de cas et les proportions pour un mois concernent toutes les personnes qui souffrent d'un COVID long pour un mois donné (ou pour la période étudiée). Cependant, comme expliqué dans le paragraphe précédent, chaque segment renvoie en fait à une période de temps différente en ce qui concerne l'événement déclencheur, l'infection. Par exemple, le résultat du 31 octobre 2021 concerne les personnes qui ont été infectées après le 1er novembre 2020 (COVID long de plus de 52 semaines), plus les personnes qui ont été infectées entre le 8 novembre 2020 et le 31 janvier 2021 pour ces COVID longs de 39 à 52 semaines, plus les personnes qui ont été infectées à d'autres périodes, respectivement pour chaque autre segment.

Comme nous voulons avoir une évaluation évolutive en partant des infections, nous ne pouvons pas prendre directement les tables britanniques. Nous devons d'abord recréer des tables en fonction du moment de l'infection, puis en déduire un taux provisoire pour chaque durée de COVID long que nous appliquerons ensuite à notre nombre quotidien de COVID long.

De la découverte d'une incohérence problématique
• Le COVID long d'une durée de plus d'un an : lorsque le nombre de COVID longue durée dépasse le nombre de cas positifs détectés.

Nous avons commencé par les COVID longs les plus longs, c'est-à-dire les estimations réelles de COVID longs britanniques durant plus de 52 semaines. Ces COVID longs correspondent aux personnes qui furent infectées, le sachant ou pas, au moins 52 semaines avant l'enquête. Ainsi, par exemple, les personnes déclarant un COVID long de plus de 52 semaines le 6 mars 2021 durent être infectées avant le 7 mars 2020, c'est-à-dire au tout début de la pandémie.

Cependant, lorsque nous avons compilé les différentes statistiques, nous avons trouvé un résultat surprenant. Si nous utilisons les séries historiques britanniques pour le COVID long, ainsi que les statistiques officielles pour les cas positifs au COVID, nous constatons, comme le montrent les courbes ci-dessous, que jusqu'en août 2021, le nombre de COVID longs durant plus d'un an (la courbe marron) est supérieur au nombre cumulé de personnes qui testées positives au COVID (la courbe jaune). Nous avons donc un nombre de personnes ayant un COVID long supérieur au nombre de personnes détectées comme infectées. Cette incohérence se poursuit jusqu'en août 2021.

Comparaison des COVID longs déclarés de plus de 52 semaines, des infections et de la prévalence estimée pour le COVID long (Sources : dans le texte)

Cette incohérence statistique peut provenir de déclarations erronées (les personnes ont mal estimé le début de leur infection) et de cas d'infections largement non déclarés, c'est à dire lorsque des personnes sont infectées, le remarquent ou non, mais ne le signalent pas, et développent néanmoins un COVID long. Ces deux raisons ne sont pas mutuellement exclusives. Nous pouvons, en tout cas, déduire qu'une grande partie des cas asymptomatiques n'ont pas été signalés et qu'ils ont cependant développé un COVID long.

Avec le temps, alors que de plus en plus de tests sont effectués et que les gens prennent probablement l'habitude de déclarer leur COVID long, les biais ont été réduits. Pourtant, nous restons avec un nombre énorme de COVID longs de plus de 52 semaines, même pour les deux derniers rapports mensuels.

De plus, à la lumière de l'enquête britannique, la prévalence trouvée par Chen Chen et al. (43%) ne peut pas fonctionner pour un COVID long de plus d'un an. En effet, Chen Chen et al. (ibid) n'ont étudié que "la prévalence à 30, 60, 90, et 120 jours après la date d'index", soit 4 à 17,2 semaines. Ainsi, trois segments et demi de l'enquête britannique ne sont pas inclus dans la méta analyse de Chen Chen et al.. Nous allons quand même, provisoirement, utiliser le taux de prévalence global groupé de Chen Chen et al, mais seulement parce que nous sommes face à une absence d'alternative. Dans ce cas - une prévalence de 43% pour le COVID long - les derniers chiffres du Royaume-Uni signifieraient que tous les COVID longs déclarés dureront plus de 52 semaines. Cela peut-il être vrai ? Il serait impératif de le savoir.

• Signification et conséquences potentielles

Si les chiffres donnés par l'enquête britannique sont représentatifs, alors nous pourrions avoir des explications différentes qui permettent de surmonter l'incohérence apparente.

Les chiffres britanniques pourraient signifier qu'un très grand nombre de personnes infectées par le SRAS-CoV2 ne se rétablissent jamais complètement, même si au départ elles ne ressentent aucun symptôme. C'est le pire des scénarios, car si les infections se propagent, alors les cas de COVID de longue durée de plus d'un an augmenteraient aussi fortement.

Alternativement, les chiffres pourraient aussi signifier que les personnes qui ont eu un COVID long au début de la pandémie étaient les plus fragiles, ou les plus prédisposées à souffrir d'un COVID long, et donc que leur COVID long dure plus longtemps. Avec le temps, au fur et à mesure que les infections augmentent, ces personnes susceptibles d'avoir un COVID long de très longue durée pourraient devenir proportionnellement moins nombreuses. Dans ce cas, le taux de COVID long pour une durée supérieure à 52 semaines devrait continuer à baisser, voire à se stabiliser.

En fait, fondamentalement, nous ne savons pas.

Dans cette optique, l'approche britannique est logique. En examinant la proportion de COVID longs par rapport à l'ensemble de la population britannique, les statisticiens britanniques surmontent l'obstacle de la détection des cas asymptomatiques, ainsi que le défi des variations dans les politiques de tests. Cependant, ils rendent également difficile, voire impossible, l'anticipation. Ainsi, ils disposent de bonnes indications pour gérer le présent, mais ils ne peuvent pas préparer l'avenir.

• Comment traiter ce cas dans le cadre de la prospective stratégique et de l'alerte précoce.

En termes de prospective, cela signifie qu'il sera vraiment très difficile d'estimer combien de personnes pourraient développer un COVID long de plus de 52 semaines dans le futur, en partant du nombre d'infections identifié.

Comme nous voulons pouvoir anticiper, compte tenu du manque de données, nous pouvons faire l'hypothèse que le résultat final pour les dernières statistiques expérimentales données par le Royaume-Uni (31 octobre 2021) est suffisamment représentatif, malgré les biais qui subsistent probablement. Cela pourrait être, en termes de taux, une sorte de scénario du pire.

Pour donner une idée de l'immense incertitude à laquelle nous sommes confrontés, nous présentons ci-dessous deux courbes, montrant deux estimations pour le COVID long de plus de 52 semaines (la ligne pointillée marron) : la première estimation a été faite avec les statistiques britanniques pour le 2 octobre 2021 et la seconde avec les statistiques pour le 31 octobre 2021.

Comme le montrent ces deux courbes, les résultats varient énormément puisque nous allons, pour fin mai 2022, de plus de 3,75 millions de COVID longs de plus d'un an à environ 1,5 million de COVID longs.

Si l'on fait un calcul similaire pour chacune des durées minimales de COVID long telles qu'elles résultent de l'enquête britannique, on constate que les courbes varient toutes comme le montrent les figures ci-dessous. Les courbes de COVID long suivent plus ou moins la courbe des infections, de manière aplatie, mais sans correspondance linéaire simple des taux. Par conséquent, il est difficile de discerner des tendances simples, et nos connaissances sont, jusqu'à présent, trop limitées pour créer un modèle plus cohérent. De nombreuses recherches doivent encore être menées.

Dans des cas aussi difficiles pour l'anticipation, notamment en ce qui concerne les cas de COVID longs supérieurs à 52 semaines, compte tenu des nombres de cas potentiels impliqués, nous devons utiliser des scénarios ajoutés à l'alerte précoce et ajuster les scénarios au fur et à mesure que les connaissances augmentent.

Nous nous concentrerons ici sur un seul scénario. Nous considérerons que les taux de COVID longs par durée de maladie correspondent tous aux taux recalculés a partir de l'enquête britannique du 31 octobre 2021 (dernières données disponibles au moment de la rédaction - publiée le 2 décembre).

Ces taux seront appliqués au taux journalier global de COVID long (même si nous savons que la méta-analyse de Chen Chen et al. ne couvre pas 3,5 segments), pour chacune des durées correspondantes de COVID long. Pour les COVID longs de plus de 52 semaines, nous considérerons de manière conservatrice que la durée de la maladie n'est que de ces 52 semaines. Là encore, il s'agit d'une approximation majeure. Ici aussi, des scénarios seraient nécessaires pour considérer différentes durées de ce type de COVID long qui pourraient être, par exemple, de 1 an (ce scénario), 2 ans, ou pour toujours (un scénario de type VIH).

Une fois de plus, nous voulons souligner que, même pour le scénario retenu ici, le résultat ne sera évidemment que grossièrement indicatif.

Toutes ces étapes étant franchies, nous avons maintenant une indication approximative du nombre de personnes souffrant quotidiennement de COVID long dans le monde.

Sévérité du COVID long

Enfin, nous devons connaître l'impact du COVID long sur les activités quotidiennes. En d'autres termes, chaque jour, nous voulons estimer approximativement combien de personnes atteintes de COVID long seront complètement incapables de mener à bien leurs activités, seront limitées d'une manière ou d'une autre dans leurs activités et ne seront pas limitées du tout.

Toujours en utilisant l'enquête mensuelle de l'ONS britannique, en ce qui concerne la limitation de l'activité, les taux varient peu au fil des mois, comme le montre le graphique ci-dessous. Nous prendrons les derniers taux, c'est-à-dire ceux du 31 octobre 2021, pour notre évaluation. Cette fois-ci, nous pouvons être un peu plus confiants dans notre évaluation, hormis le fait que nous appliquons les conditions britanniques au monde entier, alors que, très probablement, les taux varient énormément selon les pays.


Estimation du nombre de personnes vivant dans des ménages privés et ayant un COVID long autodéclaré, par limitation d'activité ultérieure (Source : UK ONS - Tableaux 9 - Estimations de la prévalence des COVID longs autodéclarés et des limitations d'activité associées, à partir des données de l'enquête britannique sur les infections à coronavirus (COVID-19) - Ensembles de données mensuelles )

Trois scénarios pour le COVID long et la cinquième vague

Grâce à notre modèle*, nous disposons désormais d'un nombre quotidien approximatif de personnes souffrant de COVID long, estimé à l'échelle mondiale jusqu'à la fin du mois de février 2022, trié en outre en fonction de la limitation de l'activité. En utilisant nos travaux antérieurs sur la contagion (Vers une cinquième vague de Covid-19"), nous avons créé trois scénarios afin d'envisager trois formes possibles pour la cinquième vague.**

Nous présentons ces résultats d'abord côte à côte pour permettre la comparaison, puis un scénario après l'autre. Nous détaillons davantage les récits des scénarios 2 et 3 que ceux du scénario 1.

Ce que nous voyons, tout d'abord, c'est que le COVID long ne suit guère les vagues. Au contraire, les vagues peuvent être observées mais se transforment en ondulations vers des nombres plus élevés de cas de COVID long quotidiens. Seul le deuxième scénario semble montrer une stabilisation à un niveau très élevé. Le dernier scénario nous mènerait à un nombre stupéfiant de 140 millions de personnes souffrant de COVID long chaque jour.

De même, une part relativement importante et en lente augmentation de la population mondiale est limitée dans ses activités quotidiennes, que ce soit légèrement ou fortement, une proportion qui grandit de façon accélérée dans le troisième scénario.

Scénario 1 : revenir à la raison

Le premier scénario considère que la cinquième vague mondiale d'infection suivra un schéma similaire à celui de la deuxième vague.

Les frontières ont été davantage rouvertes que pour la troisième et la quatrième vague, et les interventions non pharmaceutiques ainsi que la prudence ont également été relâchées, compte tenu notamment d'une compréhension erronée de la vaccination actuelle et de la volonté de revenir à un monde pré-pandémique. Néanmoins, lorsque les infections augmentent, les mesures sont réintroduites. Le nouveau variant Omicron s'avère finalement hautement infectieux, comme on le soupçonnait au départ ; le "risque accru de réinfection" se confirme également avec le temps (OMS, "Classification of Omicron (B.1.1.529) : Variante préoccupante du SRAS-CoV-2 " - 26 novembre 2021; Juliet R.C. Pulliam et al., "Increased risk of SARS-CoV-2 reinfection associated with emergence of the Omicron variant in South Africa“, medRxiv [pas encore examiné par les pairs], 2 déc 2021, 2021.11.11.21266068 ; doi).

Le schéma de la cinquième vague "ressemble" donc à celui de la deuxième vague, à un niveau légèrement plus élevé en raison du relâchement temporaire et du variant Omicron.

Scénario 1 : revenir à la raison - Estimations du nombre de personnes souffrant de COVID long chaque jour dans le monde jusqu'à la fin de la cinquième vague de la pandémie de COVID-19

Chaque jour, vers la fin du mois de décembre 2021, 110 millions de personnes dans le monde souffrent de COVID long. La vie est particulièrement difficile pour les 21 millions de personnes et leurs familles qui ne peuvent pas du tout faire face à leurs activités quotidiennes.

Les coûts pour les individus, les familles, les entreprises, les secteurs et les pays qui ont commencé à apparaître précédemment ne faiblissent pas. Au contraire, ils se poursuivent et augmentent.

Scénario 2 : Optimisme

C'est le scénario le plus optimiste. Le modèle de la cinquième vague ressemble à celui de la quatrième vague.

Les facteurs qui pourraient conduire à ce scénario seraient une vaccination qui se généralise dans le monde entier alors qu'elle réduit d'une manière ou d'une autre les infections. Nous avons également un impact très positif sur les infections de la troisième dose ou dose de rappel dans les pays qui, jusqu'à présent, étaient largement responsables des infections et de la létalité. (Tal Patalon et al., "Odds of Testing Positive for SARS-CoV-2 Following Receipt of 3 vs 2 Doses of the BNT162b2 mRNA Vaccine“, JAMA Intern Med. Publié en ligne le 30 novembre 2021, doi:10.1001/jamainternmed.2021.7382). Enfin, le variant Omicron, bien que très contagieux, a conduit à réintégrer de la raison et du bon sens dans diverses politiques et dans les comportements. En conséquence, nous nous trouvons dans une situation assez proche de celle de la quatrième vague.

La cinquième vague du scénario 2 ressemble beaucoup à la quatrième. Elle n'est que très légèrement plus forte pour tenir compte du variant Omicron.

Scénario 2 : Optimisme - Estimations du nombre de personnes souffrant de COVID long chaque jour dans le monde jusqu'à la fin de la cinquième vague de la pandémie de COVID-19

Quotidiennement, vers la fin du mois de décembre 2021, le nombre de personnes dans le monde qui souffrent de COVID long semble se stabiliser et même diminuer très légèrement pour atteindre environ 107 millions de cas. Ce nombre reste énorme, mais, au moins, il n'augmente plus. La vie reste particulièrement difficile pour ces 20 millions de personnes et leurs familles, qui ne peuvent absolument pas assumer leurs activités quotidiennes.

Les coûts pour les individus, les familles, les entreprises, les secteurs et les pays qui ont commencé à apparaître précédemment se poursuivent. Toutefois, la stabilisation, même à un niveau élevé, permet un minimum d'adaptation. Certes, les secteurs qui ont été perturbés ne pourront pas vraiment revenir immédiatement à ce qu'ils étaient avant la pandémie, mais les solutions alternatives qui ont été imaginées pourraient être suffisantes. Bien sûr, cela signifie que ces solutions devront durer au moins quelques mois de plus.

Scénario 3 : Le prix de l'ignorance

Ce scénario est probablement le plus inquiétant. Le schéma de la cinquième vague d'infections ressemblerait à celui de la première vague : les infections mondiales augmenteraient pour atteindre un nouveau plateau plus élevé.

Ce scénario repose sur un changement de priorités, la préoccupation première, au niveau mondial, étant le retour à un système économique similaire ou le plus proche possible de ce qui existait avant la pandémie. La vaccination diminue fortement le nombre de formes graves de COVID-19 nécessitant une hospitalisation, ainsi que la mortalité. Ainsi, les cas de COVID-19 qui subsistent, malgré la charge quotidienne de décès et de souffrances, sont considérés comme acceptables pour la conservation du système socio-politico-économique existant. Dans la plupart des pays, les politiques et les comportements visent donc, autant que possible, à ignorer la pandémie qui se poursuit. Ainsi, les infections augmentent, mais ne déclenchent pas le type de réponses qui seraient nécessaires pour arrêter la contagion mondiale.

L'arrivée du variant Omicron, passé les premières semaines de retour à la prudence, ne change pas les politiques et les comportements. Sous la pression des instances onusiennes et de divers acteurs, les entraves aux déplacements et les quelques fermetures de frontières qui avaient été temporairement rétablies sont abandonnées. Et ce, avant même que l'on puisse évaluer avec certitude la gravité des formes de COVID-19 déclenchées par le variant Omicron et bien avant que l'on puisse établir et comprendre le lien ou l'absence de lien avec le COVID Long. Ceci est fait même si le fort pouvoir infectieux du variant Omicron est confirmé.

Par conséquent, la cinquième vague ressemble à la première, mais à un niveau beaucoup plus élevé. Dans notre horizon temporel (quatre mois), elle ne cesse de monter. Elle continuera probablement à monter jusqu'à ce que de nouvelles politiques plus adéquates soient conçues, ou jusqu'à ce que le SRAS-CoV-2 et le COVID-19 disparaissent ou deviennent bénins.

Scénario 3 : le prix de l'ignorance - Estimations du nombre de personnes souffrant de COVID long chaque jour dans le monde jusqu'à la fin de la cinquième vague de la pandémie de COVID-19

Le nombre de personnes dans le monde qui, quotidiennement, souffrent d'un COVID long semble ne jamais cesser d'augmenter. Certes, il augmente moins vite que les infections, mais il atteint chaque jour de nouveaux sommets, jusqu'à près de 140 millions de cas à la fin du mois de février 2022. La vie reste particulièrement difficile pour ces 26 millions de personnes et leurs familles qui ne peuvent absolument pas assumer leurs activités quotidiennes.

Les coûts pour les individus, les familles, les entreprises, les secteurs et les pays qui ont commencé à apparaître précédemment continuent à augmenter. Les perturbations qui découlaient en partie de l'augmentation de cas de COVID long s'intensifient. Étant donné que le COVID long n'est pas surveillé et qu'il a augmenté sans que l'on s'en rende compte et sans que l'on s'en préoccupe, les perturbations éclatent au hasard et s'accumulent. La production, la logistique et les services sont touchés et de nouvelles solutions doivent être trouvées. Les effets en cascade ne peuvent pas toujours être arrêtés. Au contraire, les effets dominos augmentent à mesure que de plus en plus de personnes deviennent la proie du Covid long.

La consommation est également touchée. En effet, les personnes en difficulté et en souffrance, ainsi que leurs familles, ont non seulement moins de revenus disponibles mais révisent également leurs priorités et sont moins enclins à consommer (p. ex. Patrick W. Watson "L'économie du "long COVID“, Forbes, 14 juin 2021 en utilisant un commentaire de David R. Kotok, "Vélocité M2, Fed et années de vie perdues (YLL)", Cumberland Advisors, 27 avril 2021).

La Chine, qui bénéficie aujourd'hui pleinement de son insistance sur une politique de COVID zéro, est presqu'exempte, relativement, des effets désastreux du COVID long (par exemple, Hélène Lavoix, "Comment la Chine pourrait gagner la guerre contre la pandémie de Covid-19“, The Red Team Analysis Society, 18 janvier 2021). Les pays comme l'Australie ou la Nouvelle-Zélande, qui ont également gardé leurs frontières fermées pendant longtemps, tirent profit de leur politique prudente.

Dans le contexte difficile de la lutte et de la concurrence entre grandes puissances qui se déroule à l'échelle internationale, la Chine, ne ployant pas sous le poids du COVID long, jouit d'un très grand avantage relatif, directement et indirectement, puisqu'elle peut faire valoir sa clairvoyance et sa perspicacité. D'un autre côté, l'Europe et les États-Unis doivent maintenant supporter le poids toujours croissant du COVID long. Au pire et sur le long terme, si l'Europe et les États-Unis n'agissent pas et donc s'ils continuent à laisser les infections se propager et le COVID long régner, la Chine aura gagné la compétition internationale simplement par défaut de ses adversaires.

Conclusion

Malgré les nombreuses incertitudes et limites mises en évidence, il est clair que l'impact réel de la pandémie de COVID-19 doit absolument et impérativement prendre en compte le COVID long. Plus le monde en général, ou un pays en particulier, est la proie des infections, plus sa charge en termes de souffrances, coût économique et financier, et perturbations sera élevée. Pour les pays, à ces fardeaux déjà immenses, il faut ajouter la perte de pouvoir, absolue et relative.

Des recherches supplémentaires seraient nécessaires pour estimer plus finement les impacts possibles, notamment par des comparaisons avec les pandémies précédentes. Quelle est la capacité de résistance des différents systèmes dans lesquels nous vivons, lorsqu'ils sont confrontés à ce genre de poids écrasant ?

Le COVID long est fondamentalement perturbateur, notamment en raison de la pénurie de données et de l'absence de compréhension auxquelles nous sommes confrontés. Il faut recueillir des données, accumuler des connaissances, trouver des traitements et, en attendant, imaginer des solutions. Des politiques prenant en compte le COVID long doivent être conçues et mises en œuvre.

Le prix à payer pour vivre avec le COVID-19 sans envisager le COVID long pourrait bien être beaucoup trop élevé à payer.

Notes

*Nous avons utilisé l'ensemble des données pour le 30 novembre 2021 (Our World in Data utilisant le COVID-19 Data Repository by the Center for Systems Science and Engineering (CSSE) at Johns Hopkins University.). Il est probable que la légère baisse des infections mondiales en fin de période soit due aux États-Unis et à l'absence de tests et de données pendant la période de Thanksgiving, du jeudi au dimanche.

**Compte tenu du manque de connaissances et de données sur les COVID longs, du nombre d'estimations et d'approximations, sans oublier l'incohérence découverte, nous ne donnons pas de probabilités pour chacun de ces scénarios, qui ne sont, à ce stade, que des indications visant à cadrer la question.

Publié par Dr Helene Lavoix (MSc PhD Lond)

Dr Hélène Lavoix est présidente et fondatrice de The Red Team Analysis Society. Elle est titulaire d'un doctorat en études politiques et d'une maîtrise en politique internationale de l'Asie (avec distinction) de la School of Oriental and African Studies (SOAS), Université de Londres, ainsi que d'une maîtrise en finance (major de promotion, Grande École, France). Experte en prospective stratégique et en alerte précoce, notamment pour les questions de sécurité nationale et internationale, elle combine plus de 25 ans d'expérience en relations internationales et 15 ans d'expérience en prospective stratégique et en alerte. Elle a vécu et travaillé dans cinq pays, effectué des missions dans quinze autres et formé des officiers de haut niveau dans le monde entier, notamment à Singapour et dans le cadre de programmes européens en Tunisie. Elle enseigne la méthodologie et la pratique de la prospective stratégique et de l'alerte précoce, travaillant dans des institutions prestigieuses telles que le RSIS à Singapour, SciencesPo-PSIA, ou l'ESFSI en Tunisie. Elle publie régulièrement sur les questions géopolitiques, la sécurité de l'uranium, l'intelligence artificielle, l'ordre international, la montée en puissance de la Chine et d'autres sujets liés à la sécurité internationale. Engagée dans l'amélioration continue des méthodologies de prospective et d'alerte, Mme Lavoix combine expertise académique et expérience de terrain pour anticiper les défis mondiaux de demain.

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