(Conception artistique : Jean-Dominique Lavoix-Carli)
Comment les individus et les dirigeants de petites entreprises peuvent-ils se protéger contre les crises et les bouleversements qui semblent leur être imposés ? Peuvent-ils tirer parti d'outils géneralement réservés aux acteurs étatiques, et plus particulièrement aux forces de sécurité, ainsi que parfois aux grandes entreprises ? Un tel outil, l'alerte précoce, peut-il être utile pour les individus et et dirigeants de petites entreprises, et comment ? Comment faire bénéficier tout le monde de l'alerte précoce ?
Comment réduire la détresse à laquelle tant de personnes sont confrontées en raison de l'augmentation constante des prix de l'énergie et de l'électricité, par exemple en Europe ? Comment pouvons-nous atténuer les effets négatifs résultant d'autres problèmes et défis, tels que le changement climatique, la guerre, la pénurie d'eau et de ressources, etc.
La réponse à ces questions clés réside dans l'utilisation non seulement de l'alerte précoce mais aussi et surtout de l'alerte précoce exploitable. Nous expliquons d'abord ce qu'est l'alerte précoce exploitable (en anglais, "actionable warning").
- Cinquième année de formation avancée sur les systèmes d'alerte précoce et les indicateurs - ESFSI de Tunisie
- Vers une renaissance nucléaire américaine ?
- AI at War (3) - L'hyper-guerre au Moyen-Orient
- L'IA en guerre (2) - Se préparer à la guerre entre les États-Unis et la Chine ?
- Niger : une nouvelle menace grave pour l'avenir de l'énergie nucléaire française ?
- Revisiter la sécurité de l'approvisionnement en uranium (1)
- Le futur de la demande d'uranium - La montée en puissance de la Chine
Nous nous tournons ensuite vers une composante essentielle du processus d'alerte précoce, l'action. À l'aide de l'exemple de l'insécurité énergétique et plus particulièrement de la hausse des prix de l'électricité, nous montrons que l'alerte précoce exploitable ne doit pas seulement se tourner vers l'extérieur, mais aussi vers l'intérieur, vers les capacités de réponse. Nous insistons sur le fait que l'inspiration et la redécouverte d'un sentiment de puissance (au sens propre du terme, pouvoir faire quelque chose - périphrase pour traduire l'anglais "empowered") par les individus et dirigeants de petites entreprises est un élément clé de la réussite d'un processus d'alerte précoce applicable à tous. Nous comparons deux cas pour pouvoir en tirer des leçons pratiques : les boulangers en proie au désastre et le fabricant de laine qui a réussi.
Dans la troisième partie, nous présentons une feuille de route pour une utilisation réaliste et pratique de l'alerte précoce par et pour les individus et les petites entreprises et nous soulignons l'importance de l'intégrer au niveau local.
Qu'est-ce qu'une alerte précoce exploitable ?
L'alerte précoce, à quoi cela sert-il ?
L'alerte précoce (ou mieux la prospective et l'alerte stratégiques) est l'art et la science d'éviter les surprises, notamment les plus désagréables. Elle se définit comme suit :
"Un processus organisé et systématique (incluant l'analyse, le renseignement) qui vise à réduire l'incertitude inhérente à l'avenir" (Fingar, 2009).
"Son but et son essence sont de permettre aux décideurs de prendre leurs décisions suffisamment tôt pour que ces décisions soient mises en œuvre de la meilleure façon possible." (Davis, Grabo, Knight)
L'alerte précoce, pour qui ?
La plupart du temps, lorsque nous concevons un système d'alerte précoce ou que nous effectuons une analyse d'alerte précoce, nous le faisons pour des agences de l'État et autres organismes internationaux, pour des gouvernements et des fonctionnaires, ou pour des entreprises relativement importantes.
Pourtant, tout être humain, toute organisation doit faire face à l'incertitude inhérente à l'avenir, et prendre des décisions pour régir sa propre vie et son activité, afin de vivre le mieux possible et finalement survivre.
Ainsi, si la pratique et la méthodologie actuelles ont été développées et affinées pour les acteurs étatiques, le plus souvent dans les affaires militaires et la sécurité internationale, en réalité, tout le monde pourrait et devrait utiliser l'alerte précoce.
Liens connexes
- “Communication de la prospective stratégique et de l'alerte précoce", mis à jour le 3 mars 2021
En effet, souvent sans le savoir, nous utilisons déjà, en tant qu'individus, des systèmes d'alerte précoce. Lorsque nous tenons compte des prévisions météorologiques pour choisir nos vêtements ou mettre en oeuvre nos activités, nous utilisons l'alerte précoce. De même, lorsque nous regardons et prenons en compte les prévisions météo ou celles ayant trait à la circulation, nous utilisons des systèmes d'alerte précoce.
L'alerte précoce s'adresse donc à tout le monde, même si elle n'est utilisée sciemment, la plupart du temps, que par des acteurs spécifiques. Pourtant, elle est diffère également en fonction de l'utilisateur de l'alerte. Pourquoi et comment ?
La promesse d'une alerte précoce exploitable
Il ressort clairement de la définition ci-dessus que l'alerte précoce doit être pratique ou plutôt exploitable ("actionable" en anglais).
En d'autres termes, elle doit conduire à la possibilité d'actions. Lorsque l'on reçoit une alerte, il faut être en mesure d'agir pour prévenir ou atténuer l'impact négatif de l'objet d'alerte ou, au contraire, pour tirer parti des conséquences positives.
Par exemple, si une personne reçoit une alerte en ce qui concerne de fortes pluies pour l'après-midi, elle peut décider de prendre un parapluie si elle doit sortir, ou de reporter sa sortie si possible. Si l'appareil antiterroriste d'un État reçoit une alerte concernant une attaque terroriste, il déploiera sa stratégie antiterroriste en menant une opération antiterroriste et en mettant en œuvre des mesures de protection des citoyens. Maintenant, si une alerte concernant une attaque terroriste parvient à un individu, par exemple par le biais du système d'alarme d'un État, alors l'individu suivra uniquement les instructions de l'État, en restant éventuellement chez lui, en étant extrêmement prudent lors de ses déplacements, en faisant attention aux objets abandonnés, etc. Il ne pourra cependant pas - ni n'aura le droit - d'effectuer la plupart des réponses antiterroristes tentées par un État.
Ce que ces courts exemples mettent en évidence, c'est que les types de réponses résultant d'une alerte précoce changent en fonction du type de personne ou d'acteur qui reçoit l'alerte. Par conséquent, une alerte doit également tenir compte de la gamme de réponses disponibles. Ainsi, le processus d'alerte précoce, s'il veut être exploitable, doit prendre en compte les capacités et les possibilités de réponses et d'actions.
La responsabilité d'alerter
La responsabilité d'alerter, et donc de la mise en place et et en oeuvre du processus d'alerte précoce, et donc du choix de ce processus, varie également en fonction des acteurs et de leurs devoirs normatifs au sein de leur société (en anglais "polity", entité politiquement organisée). Par conséquent, si l'alerte précoce s'adresse fondamentalement à tous, les questions auxquelles on prête attention en matière d'alerte varient. Ces questions dépendent du contrat social qui existe entre les autorités politiques et ceux qu'elles gouvernent, ainsi que de la capacité desdites autorités politiques à assurer la sécurité de leurs citoyens conformément au contrat social.
Dans un Etat ("polity") idéal, légitime et efficace, les autorités politiques sont chargées de protéger les gouvernés contre les ennemis étrangers, d'assurer la paix civile et l'ordre à l'intérieur du pays, ainsi que les conditions de la sécurité matérielle, y compris la sécurité coutumière.(1). Dans ce cas idéal, les autorités politiques sont en effet celles qui sont chargées d'alerter sur les questions qui constituent leur mission fondamentale, c'est-à-dire les différents aspects de la sécurité.
Cependant, pour de nombreuses raisons, qui dépassent le cadre de cet article, nous vivons dans des "polities" qui sont loin d'être idéales. Dans ce cas, les individus, ceux qui sont gouvernés, auront peut-être aussi à commencer à élargir le domaine auquel ils doivent appliquer leurs propres systèmes d'alerte précoce. Ils devront aussi se pencher sur la sécurité, de la géopolitique à la pénurie de ressources en passant par le changement climatique. Lorsque la survie est en jeu, il est encore plus important d'être en mesure d'effectuer ce type de transition - passer d'attendre que les autorités politiques mettent en œuvre toutes les alerte précoce exploitables à une mise en œuvre personnelle de l'alerte précoce - le plus rapidement possible.
Dans ce cas, comment les particuliers et les dirigeants de petites entreprises peuvent-ils mettre en oeuvre des processus d'alerte précoce exploitable, notamment en matière de sécurité conventionnelle et non conventionnelle ?
La clé est l'action
Les deux faces indispensables de l'alerte précoce exploitable
Si nous considérons le rôle et la promesse de l'alerte précoce exploitable, si nous pensons aux actions qui doivent être faites par rapport à des événements futurs possibles, cela signifie que l'alerte précoce exploitable doit avoir deux composantes : une qui regarde vers l'extérieur du monde vers ces événements à venir et une qui regarde vers l'intérieur afin d'identifier la capacité d'action de chacun.
Regarder vers l'extérieur, vers le monde et la réalité
La première composante d'un processus d'alerte précoce exploitable est probablement la plus évidente et la plus connue. Elle implique de regarder le monde extérieur et de porter des jugements sur l'avenir, lequel résulte des dynamiques futures des événements mondiaux. Ceci est vrai quel que soit le sujet de préoccupation.
Par exemple, si l'on considère la guerre en Ukraine et les réponses à celle-ci décidées par les États-Unis, l'Union européenne et ses États membres, une alerte précoce, encore générique, donnée à la fin du mois de février 2022, aurait pu être :
“Considérant la tentative de transition vers des ressources renouvelables, les effets croissants du changement climatique, le besoin international d'énergie, le contexte international tendu et la guerre en Ukraine ainsi que les réponses qui y sont apportées, il est presque certain que les prix de l'énergie en général et de l'électricité en particulier vont monter en flèche au cours des douze prochains mois, notamment en Europe, laquelle est pauvre en énergie, et que ces prix très élevés vont le rester au moins pendant les mois d'automne et d'hiver 2022-2023, et possiblement pendant plus longtemps.“.
Pour que l'alerte précoce puisse être suivie d'effet, il faudrait ensuite affiner cette déclaration encore générale. Il faudrait notamment donner une idée de la hausse des prix de l'énergie et de l'électricité à laquelle on peut s'attendre, d'un début plus précis de la hausse des prix de l'énergie, puis de sa durée, en fonction de différentes variables et donc de scénarios.
À partir d'au moins décembre 2021, nous trouvons dans les médias et la littérature une abondance relativement élevée d'alertes concernant les prix de l'énergie du fait d'une guerre en Ukraine (par exemple, Tom Wilson et Neil Hume, "UK and European gas prices rise on Russia-Ukraine concerns“, FT, 14 décembre 2021 ; James McBride, "Russia’s Energy Role in Europe: What’s at Stake With the Ukraine Crisis“, CFR, publié le 28 janvier 22, dernière mise à jour le 22 février 2022 ; Jeff Tollefson, "What the war in Ukraine means for energy, climate and food“, Nature,, 5 avril 2022 ; Banque mondiale, "Food and Energy Price Shocks from Ukraine War Could Last for Years", 26 avril 2022 ; Jakob Feveile Adolfsen, Friderike Kuik, Eliza Magdalena Lis et Tobias Schuler, "L'impact de la guerre en Ukraine sur les marchés de l'énergie de la zone euro", BCE, numéro d'avril 2022 ; ).
Ces alertes ont été faites de manière plus ou moins spécifique et donc utile. En effet, pour être réellement utile, donc actionnable, l'alerte précoce doit également tenir compte d'une deuxième composante, l'éventail des actions possibles.
Regarder vers l'intérieur, vers l'éventail des réponses possibles
Imaginons que la personne recevant une alerte similaire à celle présentée ci-dessus soit un individu ou le propriétaire ou le gérant d'une très petite entreprise comme une boulangerie ou une entreprise de 10 employés dans n'importe quel domaine, ou encore, un artisan. Lorsque ces personnes prennent connaissance de l'alerte, elles peuvent soit la prendre en considération, soit la refuser. Nous ne nous pencherons pas sur ce deuxième cas, car nous avons déjà exploré les différents cas possibles de non prise en compte des alertes précoces.
Imaginons donc que ces personnes décident de tenir compte de l'alerte. L'alerte ne peut véritablement devenir exploitable que si ceux qui y prêtent attention peuvent envisager des réponses et mettre ces dernières en œuvre.
Si, par exemple, elles ne pensent qu'à une solution diplomatique à une crise, la réponse possible apparaît comme tellement éloignée de ce qu'elles peuvent réellement faire, que l'alerte sera complètement inutile.
Liens connexes
- “Pourquoi le messager se fait-il tuer et comment éviter ce sort“, , RTAS, 14 avril 2021
- “De la malédiction de Cassandre au succès de la Pythie“, RTAS, 18 mai 2021
- Du voyant au roi - Réussir grâce à la prospective stratégique et à l'alerte, RTAS, 14 juillet 21 2021
Nous avons donc besoin d'une relation entre l'alerte précoce et les réponses possibles. Il faut donc des décideurs, ici des individus et des chefs de petites entreprises, qui non seulement reçoivent les alertes et y prêtent attention, mais qui sont également conscients d'un éventail de réponses possibles qu'ils peuvent imaginer et mettre en œuvre.
Inspirer et rendre leur puissance aux individus et chefs d'entreprise
Le pouvoir des individus
Si vous êtes un individu, votre capacité d'action, en fait votre pouvoir ou puissance, est très faible par rapport à un État. Pourtant, elle n'est pas inexistante.
À première vue, dans le cas de l'exemple que nous utilisons pour cet article, il semble qu'un individu n'ait pas beaucoup de pouvoir pour faire cesser la guerre en Ukraine, ni pour influencer un gouvernement ou un organisme supranational afin qu'il change ses politiques et ses actions. Le contexte apparaît comme assez figé et très extérieur à la personne. Ainsi, il semble que, en tant qu'individu, vous devez prendre comme une contrainte inéluctable cette hausse des prix de l'énergie et de l'électricité qui arrive, ou vu de janvier 2023, qui est sur nous et qui a de fortes chances de durer, malgré des baisses éventuellement temporaires (comme celle qui a commencé fin décembre 2022).
Cela signifie que, apparemment, les seules actions à votre disposition sont de faire de votre mieux pour réduire vos factures d'énergie en général, et plus particulièrement vos factures d'électricité. En outre, dans certains pays et certaines zones géographiques, vous devrez peut-être vous préparer à faire face à des pénuries.
En fonction de la proximité de votre "polity" avec une "polity" idéale, vous aurez également tendance à attendre de vos autorités politiques qu'elles agissent de manière à vous protéger de cette hausse. Pourtant, le fait même que vous deviez faire face à une telle augmentation des prix de l'énergie remet en question la qualité idéale du système dans lequel vous vivez.
En réalité, votre pouvoir est plus complexe et plus fort que ce que vous pensez. La puissance d'un individu, la plupart du temps, dépend de ses revenus, de ses biens matériels, de son statut, de son réseau social de soutien, ainsi que de ses connaissances, de sa perspicacité, de son imagination, de sa force et de sa foi, ces dernières pouvant être considérées comme des biens immatériels. Ces différents éléments sont souvent liés, mais pas toujours, et pas toujours de façon idéale et logique.
Ce sont donc toutes ces dimensions de sa puissance qu'un individu peut utiliser et combiner pour répondre à une menace ou, plus largement, à des incertitudes futures.
Parallèlement, l'objectif qui doit être atteint grâce aux réponses apportées pour éviter la menace - initialement la surprise - est également plus complexe que la simple réduction de la consommation d'énergie et donc des factures énergétiques en général. Et c'est en considérant la complexité que peuvent résider les solutions. Ce que l'individu doit faire, c'est réduire le coût de son mix énergétique, directement et indirectement, en développant un ensemble d'actions connexes à court, moyen et long terme.
Parce que maintenant nous avons aussi une meilleure perception de la puissance disponible d'un individu, nous pouvons ajouter que la réduction du coût du mix énergétique doit être accomplie par des actions faites en fonction des différents éléments de la puissance disponible de l'individu sur différents horizons de temps.
Cela peut signifier, par exemple, changer de domicile et de région, profiter du travail à domicile et négocier pour que votre employeur paie votre facture d'énergie. Cela peut également signifier rejoindre des associations de consommateurs, des lobbies, des communautés d'intérêts et des organisations politiques, assumer de nouveaux rôles au sein de votre communauté, etc. Par exemple, chercher des moyens de produire de l'énergie en rejoignant des réseaux collectifs et des communautés agissant dans ce sens peut aussi devenir une voie intéressante pour faire face à la précarité énergétique. On peut penser à la production de biogaz par des collectivités, qui pourraient aussi envisager d'impliquer les individus en tant que producteurs (par ex, GRDF, "Du gaz vert produit directement par les habitants de Lamotte-Beuvron", 22 février 2022). Vaincre la précarité énergétique impliquera de mixer différentes solutions en fonction de votre puissance.
Dans tous les cas, cela implique que vous devez d'abord être conscient du pouvoir dont vous disposez, tout en comprenant mieux la ou les menaces, ainsi que les objectifs pour réduire cette menace. Le pouvoir vient en premier car, sans la conscience de ce que vous pouvez faire, aucune réponse ne peut être imaginée et aucune solution ne peut apparaître.
Le pouvoir des petites entreprises et de leurs dirigeants
Si vous êtes le dirigeant d'une petite entreprise, le tableau est assez similaire, mais vous avez plus de pouvoir qu'un individu.
Vous disposez d'un réseau de relations plus large constitué par vos employés éventuels, vos clients et fournisseurs, les différentes personnes avec lesquelles vous interagissez au niveau politique local et au sein de l'administration, auxquels s'ajoutent différents réseaux sociaux clés tels que, par exemple, les chambres de commerce, de métiers et d'industrie, c'est-à-dire les dirigeants d'autres petites entreprises similaires à la vôtre.
Cependant, parce que vous êtes un professionnel, vous pouvez également être confronté à un impact plus large et plus important de la hausse des prix de l'énergie et de l'électricité. Dans le pire des cas, cet impact peut se traduire par une cessation d'activité rapide, qui se traduira à son tour par des répercussions au niveau individuel.
Comme dans le cas d'un individu, vous devez d'abord prendre conscience de votre pouvoir et donc de votre capacité de réponse ainsi que de l'éventail des actions que vous pouvez faire, pour pouvoir imaginer et mettre en œuvre ces réponses. Sans cette prise de conscience, les alertes ne vous seront d'aucune utilité car elles ne pourront pas être traduites en actions.
Examinons maintenant deux cas différents afin d'en tirer des leçons pour une alerte précoce exploitable.
Deux cas : les boulangers brisés et le fabricant de textiles prospère
Les deux cas que nous examinons ci-dessous illustrent deux manières de faire face à la nouvelle insécurité énergétique pour les industries utilisant l'énergie de manière assez intensive.
Malheureusement, l'énergie étant au cœur de notre modèle de développement, voire indispensable à toute évolution et à la survie, la plupart des activités humaines sont énergivores d'une manière ou d'une autre, directement ou indirectement (Thomas Homer Dixon), The Upside of Down: Catastrophe, Creativity, and the Renewal of Civilization, Random House Canada, 2006).
Liens connexes
- “Vers un modèle permettant de comprendre ce qui rend des technologies clés" dans Helene Lavoix, "Les technologies clés du futur (1)", RTASle 7 juin 2021, et
- “Les technologies clés du futur (2) - Evolution“, RTAS, 14 juin 2021
Ainsi, la nouvelle insécurité énergétique touche et touchera tout le monde, individus et entreprises, grandes et petites.
En effet, après les premières alertes génériques produites, initialement avant le début de la guerre en Ukraine, puis au début du printemps 2022, les organismes industriels ont tiré la sonnette d'alarme (ce qui n'est pas du tout la même chose que de communiquer une alerte précoce). Par exemple en France, ils ont souligné que "150 000 entreprises sont en danger de mort", ils ont appelé à "sauver l'industrie française", et, au niveau européen, ils ont mis en avant un risque de désindustrialisation en Europe au profit des États-Unis (Franceinfo, “Prix de l'énergie : "150 000 entreprises sont en danger de mort", alerte la Confédération des petites et moyennes entreprises", 15 octobre 2022 ; Barthélémy Philippe, "Prix de l'énergie : l'appel de huit associations pour sauver l'industrie française“, Europe 1, 14 décembre 2022 ; Paul Marion, "Risque de désindustrialisation en Europe : une " urgence absolue ", alertent le Medef et les industriels“, La Tribune, 6 décembre 2022).
Nos deux cas montreront, tout d'abord, qu'une situation et éventuellement une fin catastrophique ne sont pas une fatalité. En opposant deux façons d'agir face à la nouvelle insécurité énergétique, ils nous aideront à déterminer ce qu'il faut faire en termes de réponse et donc d'alerte précoce.
Les boulangers brisés
Au cours de l'été 22, dans toute l'Europe, de multiples cas de boulangers faisant faillite à cause de la flambée de leurs factures d'énergie sont apparus.
En juillet 22, par exemple au Royaume-Uni, l'efficacité énergétique a été mise en avant comme un moyen de lutter contre la hausse des coûts de l'énergie (par exemple, Jerome Smail, "Burning up: how oven efficiency can help bakers beat soaring energy costs“, Boulanger britannique, 4 juillet 2022).
En août, l'ensemble de l'industrie de la boulangerie en Écosse était considérée comme menacée en raison de la multiple flambée des coûts, non seulement du gaz et de l'électricité, mais aussi de la farine et des autres ingrédients, sans oublier les assurances.
En septembre, la situation critique des boulangers s'était répandue en Europe et allait durer. Chaque pays documente des faillites de boulangeries, de très petites entreprises mais aussi de plus grandes, d'anciennes maisons mais aussi de nouvelles : par exemple, nous avons des cas aux Pays-Bas (Charlotte van Campenhout, "Dutch bakeries face threat of closure as energy costs surge, industry bodies say", le 6 septembre 2022 et "Bread sales can’t cover energy bill at family-run Dutch bakery", 22 septembre, Reuters), en Allemagne (The North German Innungsbäcker turn off the light!: "Le 8 septembre, les boulangeries du nord de l'Allemagne lancent la campagne "Nous allons perdre la lumière - aujourd'hui la lumière et demain le four ?"", Nuran Gunduz, "''.Closed’: German bakeries go bust due to climbing costs amid Ukraine war", TRTWorld, 5 décembre 2022), en Belgique (“Une boulangerie obligée de fermer après une augmentation de 500% de ses factures d'énergie“, The Brussels Times, 28 septembre 2022), en Grèce (Apostolos Staikos, Mario Bowden, "Greek bakers struggle with soaring energy bills with many bakeries facing closures", Euronews, 8/11/22), en Italie, en Roumanie (Hans von der Brelie, "Rising production costs puts the squeeze on Europe’s bakers“, Euronews18/11/2022), en France (par exemple, Thibaut Gagnepain, "Crise énergétique : " J'ai eu droit à zéro aide "... Ce boulanger a fermé boutique assommé par ses factures d'électricité“, 20 minutes4 janvier 2023), etc.
Chaque fois, l'histoire est la même. Les boulangeries ont une très forte consommation d'énergie pour la cuisson et la réfrigération. En 2022, elles ont vu leur facture énergétique exploser, étant multipliée jusqu'à 10 ou 12 fois par rapport à 2021.
Dans l'exemple donné ci-dessous d'un boulanger français, en supposant que sa consommation d'électricité soit restée la même pour octobre et décembre 22, le prix de l'électricité, hors taxes, est passé de 0,112 € par kWh (837,35/ 7456) le 24 octobre à 1,372 € par kWh (10735,48/ 7456) le 24 décembre 2022 (CNews, 2 janvier 2023).
Parallèlement, les boulangers doivent également faire face à l'augmentation du coût des ingrédients qu'ils utilisent.
Dans le même temps, ils ne peuvent pas augmenter proportionnellement les prix du pain. En effet, les personnes et les familles qui achètent du pain et des produits connexes doivent également faire face à l'inflation et à l'augmentation des prix de l'énergie. Donc, ils n'achèteraient pas du pain à un prix élevé, par exemple 3 euros la baguette en France (vidéo ci-dessous, InfoFrance2, "Un boulanger de l'Oise ne peut plus payer ses factures", 3 janvier 23) ou 5 euros pour un pain normal aux Pays-Bas (Reuters, “Bread sales can’t cover energy bill at family-run Dutch bakery”, ibid). Le pain deviendrait un produit de luxe et la baisse de la quantité vendue compenserait la hausse du prix.
En conséquence, les boulangers ont essayé diverses stratégies pour atténuer la hausse des prix de l'énergie, de la renégociation individuelle de leurs contrats avec les fournisseurs d'énergie aux protestations, manifestations et actions par le biais d'interviews dans les médias pour obtenir l'aide des gouvernements.
Par exemple, en France, les boulangers et les très petites entreprises ont fini par obtenir un prix plafond moyen de l'électricité pour 2023 limité à 280 € par MWh, soit 0,28 € par kWh (ex. Reuters, “Les TPE obtiennent un tarif garanti de l'électricité à €280/MWh en 2023", 6 janvier 2023 ; gouvernement français, "Électricité : plafond garanti à 280 euros/Mwh en 2023 pour les TPE", le 9 janvier 2023). Par rapport aux prix d'octobre 2022, cela correspond tout de même à une augmentation de 2,5. Notre boulanger peut s'attendre à une facture hors taxes qui s'élèvera à environ 2085 €.
La façon dont chaque industrie et chaque entreprise pourra faire face à cette hausse substantielle dépendra de son mix énergétique, de la part de l'énergie dans ses coûts de production, de sa taille, de sa trésorerie, d'autres mesures gouvernementales d'atténuation, etc.
Qui plus est, cet enchaînement d'événements se déroule dans le cadre de l'idéologie de la croissance infinie - initialement une approche financière et spéculative, omniprésente dans une grande partie du monde occidental. Selon cette idéologie, il faut non seulement réaliser un profit suffisant pour que le propriétaire d'une entreprise vive confortablement de son métier et de son travail, et donc avoir une activité durable, mais il faut aussi augmenter ces profits de façon permanente et faire en sorte qu'il y ait une croissance infinie de la croissance des profits. Par conséquent, d'un point de vue idéologique, les entreprises telles que les petits boulangers qui devraient s'adapter à une activité "seulement" durable pourraient rechigner et se percevoir comme étant dans des conditions pires que celles dans lesquelles elles se trouvent réellement. Elles pourraient également rencontrer des problèmes avec d'autres acteurs car leur activité ne suit pas ou plus l'idéologie normative de la croissance infinie.
Par conséquent, au niveau national, les entreprises vont probablement essayer de répercuter la plus grande partie possible de la hausse des prix de l'énergie et des ressources sur l'acheteur, qui, au final, sera le consommateur final, c'est-à-dire les particuliers. Au niveau national, nous nous trouvons donc confrontés à la spirale de l'inflation ajoutée à une dette nationale en constante augmentation - pour payer le prix du MWh offert par les gouvernements.
Au niveau international, les petites entreprises qui exportent tenteront également de répercuter leurs coûts sur leurs acheteurs, mais là, elles perdront très probablement des marchés, car d'autres pays, notamment en Asie, mais aussi les États-Unis, n'ont pas eu à faire face aux mêmes coûts. Et si elles ne répercutent pas les coûts, elles auront moins de moyens pour investir et deviendront donc également moins compétitives (si aucune autre mesure n'est prise). Par conséquent, au niveau national, les exportations diminueront. Ainsi, la balance commerciale diminuera également. Tous ces éléments conduiront à une contraction des comptes courants et donc, en fin de compte, à une diminution des revenus de chaque pays, voire à une involution.
Liens connexes
Pour en savoir plus sur les conséquences au niveau national, consultez notre expérience de prospective stratégique sur l'avenir de l'État moderne : Les chroniques d'Everstate.
Lire notamment :
Le fabricant de textiles en plein essor
En revanche, une entreprise fabriquant des pulls en laine, des chaussettes et d'autres articles similaires dans le Sud-Ouest de la France - L'Atelier Missègle - semble connaître un sort très différent (BFM TV spécial crise énergétique7 décembre 2022).(2) Avec 42 employés en 2021, contre 10 en 2007, et un chiffre d'affaires de 8 millions d'euros, cette entreprise n'est pas qualifiée de TPE, mais elle reste une petite entreprise. "Missègle Hitoire; La Dépèche, “Castres. Missègle double sa surface avec un bâtiment conçu comme "un lieu de vie".“, 21/09/2021).
La crainte d'une pénurie d'électricité en France en 2022-2023, ajoutée à la période hivernale, a d'abord dopé les ventes de l'entreprise et donc sa production, de 30% à 40% (BFM TV spécial crise énergétique, (Ibid.). Cela a conduit l'entreprise à embaucher 30 salariés supplémentaires, soit une augmentation saisonnière de 66% de ses effectifs (Ibid.).
En période d'insécurité énergétique, une telle évolution aurait pu avoir un impact catastrophique sur la trésorerie et les finances de l'entreprise.
Cependant, la fondatrice de l'entreprise croit réellement en l'économie durable et a réellement placé le respect de l'environnement au cœur de la philosophie de l'entreprise depuis sa création en 1983 (Missègle, engagements). Ainsi, depuis 2007, elle a investi dans l'énergie solaire en vue d'une indépendance énergétique respectueuse de l'environnement (Ibid.).
En 2021, la société a déployé sa nouvelle centrale solaire en toiture de 100kWp, une extension supplémentaire de 53kWc étant prévue (Communiqué de presse du groupe Sirea5 octobre 2021). Ainsi, avec son parc de panneaux photovoltaïques de 1000 mètres carrés, la société vise à atteindre une autosuffisance de 70% pour sa production et à vendre de l'électricité au réseau national pendant les week-ends (La Dépèche, “Castres. Missègle...) . Par ailleurs, ses bâtiments sont non seulement respectueux de l'environnement mais aussi conçus pour permettre un espace de vie et de travail véritablement convivial (Ibid.).
Nous sommes loin de l'écoblanchiment qui se répand avec tant de cynisme dans le monde des affaires.
Il est donc fort probable que la nouvelle précarité énergétique ne touche pas Missègle de manière négative (pour autant que sa centrale solaire résiste aux événements climatiques extrêmes par exemple). L'augmentation du chiffre d'affaires permettra très probablement non seulement de compenser la hausse du coût de l'électricité - pour la partie qu'elle ne produit pas - mais aussi de poursuivre son développement et sa prospérité.
La façon dont diverses entreprises, notamment agricoles, parviennent à inclure avec succès et sans conséquences imprévues la production de biogaz dans leurs activités traditionnelles, tout en réduisant autant que possible leur empreinte carbone, pourrait également être considérée comme une façon innovante et intéressante de surmonter la précarité énergétique globale, la transformant même en une opportunité (par exemple GRDF, "Les retours d'expérience de producteurs de biométhane", 2020 ; Daria Sito-sucic, "Bosnian dairy farm makes electricity from organic waste", Reuters, 21 Janvier 2023, Pauline Verge, "Energie : 5 questions sur la méthanisation, le traitement des déchets qui fait polémique“, Les Echos, 9 novembre 2021). Là encore, le tissu social de la région où est produit le biogaz est impacté positivement.
Par ailleurs, pour le pays, des entreprises comme Missègle ne pèsent pas sur la véritable richesse nationale - qui inclut les richesses de la nation en termes de nature. Au contraire, par les impôts, l'emploi, la production d'électricité et l'implication constructive dans le tissu social local, ces entreprises contribuent à augmenter la richesse nationale.
Les enseignements des deux cas
Quelles leçons pouvons-nous tirer de nos deux cas ?
D'un côté, nous avons des entreprises qui n'ont pas eu de démarche prospective. Elles n'ont manifestement pas non plus utilisé d'alerte précoce exploitable. L'alerte précoce aurait dû, au pire, être reçue et prise en compte par les décideurs de ces entreprises en mars 2022, ou, mieux, en novembre/décembre 2021.
Au lieu de cela, ces chefs d'entreprise ont attendu que la crise éclate et ont ensuite commencé à agir de manière plutôt classique, en s'efforçant de forcer leurs autorités politiques à les aider à faire face aux conséquences des décisions de gouvernance prises par ces mêmes autorités politiques. Il s'agit en effet, comme nous l'avons vu, d'une réaction appropriée dans un système politique idéal. Pourtant, les décisions mêmes que les multiples autorités politiques européennes ont prises, notamment en ce qui concerne la guerre en Ukraine, manifestement sans prévoir les multiples conséquences que leurs propres citoyens auraient à subir, soulignent le fait que nous ne sommes pas dans un système politique idéal. Les entreprises et les individus doivent donc tenir compte de ce fait s'ils veulent minimiser l'impact négatif des décisions de gouvernance sur leur vie et leur survie.
Ces chefs d'entreprise ne bénéficiaient ni d'inspiration ni de la redécouverte de leur puissance et, par conséquent, ne pouvaient envisager que des moyens classiques d'actions d'un type adéquat pour une "polity" idéale.
Si une majorité d'individus et d'entreprises se comportent comme dans notre premier cas, les résultats collectifs au niveau des pays peuvent être désastreux, menant tout droit, comme le prévient le Medef, à la désindustrialisation européenne et, comme souligné plus haut, à l'involution. Notons qu'en termes d'ordre mondial, les Etats-Unis pourraient ainsi se retrouver avec des alliés fortement affaiblis, ce qui pourrait avoir pour conséquence de favoriser le renforcement de l'ordre même que l'Amérique veut soumettre (voir Hélène Lavoix, "L’intérêt national américain“, The Red Team Analysis Society, 22 juin 2022).
Par conséquent, les perspectives des boulangers, des petites et grandes entreprises et des particuliers situés dans les pays touchés par l'insécurité énergétique, comme les pays européens, s'assombrissent avec le temps. En effet, notre sort dépend aussi de la puissance relative de notre pays dans l'ordre international. Un cercle vicieux pourrait s'installer.
D'autre part, nous avons une entreprise qui a tenu compte des conditions mondiales et de la longue urgence qu'est et sera le changement climatique et le dépassement des limites planétaires (voir James Howard Kunstler, The Long emergency, 2005 ; Jean Michel Valantin, "The Anthropocene Era and Economic (in)Security – (1)“, The Red Team Analysis Society, 2016 ; Helene Lavoix, "Changement climatique, limites planétaires et enjeux géopolitiques“, The Red Team Analysis Society, 2022).
Elle a ainsi pleinement intégré la prospective stratégique - consciemment ou non, formellement ou non - sur un enjeu majeur dans sa gestion. Par sa stratégie d'indépendance énergétique, elle a montré qu'elle était consciente que nous ne vivons pas dans un monde idéal. Elle a courageusement assumé la responsabilité de son destin, en augmentant son autonomie vis-à-vis des autorités politiques mondiales qui sont manifestement incapables de gérer efficacement la crise climatique et environnementale (Ibid.). Elle s'est sentie suffisamment inspirée et puissante pour agir. En outre, elle l'a fait de manière constructive et positive, en s'intégrant dans le tissu social au niveau local et national (par le biais du réseau électrique et des taxes).
Une fois la crise des prix de l'énergie et de l'électricité survenue, cette entreprise - et d'autres comme elle - peut alors tirer parti des nouvelles conditions, en utilisant - même à son insu - une alerte précoce exploitable pour s'adapter, afin de produire et de vendre davantage. Entre-temps, elle a également les moyens d'adapter davantage son mix énergétique afin de compenser les effets négatifs de la crise énergétique, transformant cette dernière, au contraire, en opportunité.
De l'extérieur, dans le second cas, nous ne savons pas dans quelle mesure l'utilisation de la prospective stratégique et de l'alerte précoce était formelle, consciente ou inconsciente. La méthodologie de la prospective stratégique et de l'alerte précoce peut très bien ne jamais avoir été mise en œuvre, et l'intuition et la conviction peuvent avoir présidé à une gestion réussie. Et c'est là que réside l'une des forces de la prospective stratégique et de l'alerte précoce exploitables : elles nous donnent la possibilité de tirer systématiquement parti de ce qui, sans alerte précoce exploitable, ne peut être réalisé qu'au hasard de l'intuition. Elles nous aident à compléter, vérifier et améliorer l'intuition et la perspicacité naturelles.
Dans le premier cas, la plupart des entreprises et des individus ont très peu de moyens d'action, et donc peu de pouvoir. En outre, ils limitent leur pouvoir en n'utilisant pas d'outils tels que la prospective et l'alerte précoce et en utilisant un cadre de référence inadéquat (en pensant qu'ils se trouvent dans un État idéal).
Dans le second cas, la prospective et l'alerte précoce sont rendues possibles parce que les moyens d'action sont disponibles. Ces moyens ont été créés bien avant la crise par une anticipation adéquate, en osant regarder la réalité et en évitant de s'enfermer dans une vision utopique et optimiste. L'ensemble de la démarche s'est également appuyé sur des convictions fortes, cohérentes avec la démarche prospective de l'entreprise, et l'engagement qui en découle. Nous assistons donc à la mise en place d'un cycle vertueux entre l'anticipation et l'action, un modèle sur lequel nous pouvons construire un cycle vertueux similaire avec une prospective stratégique et une alerte précoce exploitables et organisés, et les réponses qui en résultent.
Le pouvoir dont disposent les entreprises et les individus qui appartiendraient au deuxième type d'acteurs est bien plus important que celui dont disposent les acteurs du premier type. Et ce pouvoir va s'accroître tant en termes absolus que relatifs, car les acteurs qui réussissent à anticiper peuvent mieux résister aux menaces et aux catastrophes et parfois les transformer en opportunités.
Feuille de route pour une utilisation réaliste de l'alerte précoce exploitable pour les individus et les petites entreprises
Comme nous l'avons vu plus haut, l'alerte précoce utilisable par les individus et les petites entreprises devra impérativement se tourner à la fois vers l'extérieur, vers le monde réel, pour les questions liées à la sécurité, y compris la géopolitique, et vers l'intérieur, vers les capacités de réponse de chacun.
Les alertes délivrées devront absolument tenir compte des actions possibles pour être véritablement exploitables.
L'inspiration et la redécouverte de sa puissance ("empowerment") devra également être un aspect essentiel du processus d'alerte précoce. Elles pourront être obtenues, par exemple, par l'identification de nouvelles possibilités de réponses, ainsi que par la réintégration des personnes dans leur communauté, ce qui à son tour renforce le tissu social.
Il est évident que dans de nombreux cas, si ce n'est dans la majorité des cas, les individus et les petites entreprises ne peuvent pas se permettre le coût d'un expert en alerte stratégique spécialisé dans la sécurité conventionnelle et non conventionnelle (en moyenne environ 1500 € à 2000 € par jour hors taxes et frais de déplacement, variant largement en fonction de la durée de la mission, des experts et de leur niveau d'expérience et d'éducation, des sociétés fournissant le conseil... et des budgets disponibles).
Cependant, des solutions mutualisées au niveau de la gouvernance locale et par l'intermédiaire des chambres de commerce et d'industrie et des réseaux de pairs peuvent être conçues pour permettre à tous de bénéficier de prospective stratégique et d'alerte précoce exploitables. En outre, l'inspiration et la redécouverte de la puissance devraient également résulter d'une réflexion collective, puis de l'action. L'intégration du processus de prospective stratégique et d'alerte précoce exploitables au niveau local, impliquant les acteurs locaux, des habitants et entreprises aux responsables de la gouvernance locale, devrait également être bénéfique en soi, car elle renforcera le tissu social et rendra ainsi les communautés plus fortes et plus résilientes.
Il sera utile et pratique de commencer par une question spécifique qui intéresse les parties prenantes. Ensuite, une fois les premiers résultats concrets obtenus, le processus peut être élargi à d'autres questions pertinentes pour la communauté d'intérêt.
Le processus de prospective et d'alerte précoce exploitables devra commencer le plus tôt possible, afin de s'assurer que les surprises sont évitées. Même si la crise a déjà frappé, il sera toujours bénéfique, et même nécessaire, de mettre en place un processus d'alerte précoce. En effet, c'est le seul moyen de s'assurer que les décisions actuelles sont correctes et que d'autres surprises désagréables seront évitées. En général, plus le processus d'alerte précoce commence tôt, mieux c'est : plus d'actions sont disponibles, et finalement moins de pouvoir doit être utilisé. Néanmoins, peut-il parfois être trop tard pour une alerte précoce exploitable ? Oui, et c'est une raison de plus pour commencer le plus tôt possible.
Grâce à l'utilisation de la prospective et de l'alerte précoce exploitables adaptées à la réalité des acteurs, un cycle vertueux peut être déclenché. Ce cycle ne sera pas seulement protecteur mais renforcera également les parties prenantes, tandis que les effets d'entraînement profiteront aussi à l'ensemble de l'État, de la nation et de la société.
(1) Pour ce dernier point : " La troisième obligation du souverain est de se comporter de manière à contribuer à la sécurité matérielle... des sujets. ... la sécurité contre les menaces surnaturelles, naturelles et humaines qui pèsent sur l'approvisionnement en nourriture et les autres supports matériels de la vie quotidienne habituelle. " Barrington Moore, Injustice: Social bases of Obedience and Revolt, (Londres : Macmillan, 1978 : 21-22) ; pour en savoir plus sur le thème des gouvernants, de leurs obligations, du contrat social, etc. voir également et notamment Max Weber, Le savant et le politique(Paris : 10/18, 1963) à l'origine " Wissenschaft als Beruf " & " Politik als Beruf " 1919 ; John S. Migdal, Strong societies and weak states : state-society relations and state capabilities in the Third World (en anglais) (Princeton : Princeton University Press, 1988) ; John Nettl, "The state as a conceptual variable," Politique mondiale, vol. XX, N° 4, juillet 1968, pp. 559-592 ; Thomas Ertman, Birth of the Leviathan: Building States and Regimes in Medieval and Early Modern Europe. Cambridge, UK ; New York : Cambridge University Press, 1997 ; Helene Lavoix, "Identifier L'État Fragile Avant L'Heure : Le Rôle Des Indicateurs De Prévision", volume édité, Etats et Sociétés fragiles (Agence Française de Développement et Ministère français des Affaires Etrangères) - janvier 2007.
(2)Nous n'avons aucune affiliation ni aucun lien d'aucune sorte avec les entreprises mentionnées dans cet article. Les entreprises et les sociétés ne sont mentionnées qu'à titre d'exemple.