(Direction artistique Jean-Dominique Lavoix-Carli)

Frontières du Belarus : théâtre d'opérations

(Traduction française par IA) Depuis juillet 2021, le gouvernement biélorusse projette littéralement des migrants aux frontières de la Pologne, de la Lettonie et de la Lituanie. Ces personnes viennent de Syrie, d'Irak, du Liban, d'Iran, du Kurdistan, d'Afghanistan, d'Algérie, du Maroc, de la République du Congo, du Cameroun et du Venezuela (Yuras Karmanau, "Explainer : Ce qui se cache derrière la crise frontalière entre le Belarus et la Pologne ?", AP,, 11 novembre 2021).

Ces migrants viennent tous de pays ravagés par la guerre, la crise économique, la pandémie de Covid-19 et le changement climatique. Le gouvernement biélorusse les équipe pour franchir les clôtures de la frontière.

Entre autres réponses, la Pologne, la Lettonie et la Lituanie construisent actuellement des murs et des clôtures géantes sur leurs frontières communes avec le Belarus. Ils reçoivent également l'aide et le soutien de l'UE, de l'OTAN et de l'Ukraine. Le gouvernement polonais mobilise plus de 15.000 hommes des forces de police et des unités spéciales à sa frontière ("La Pologne commence à construire une clôture frontalière de 350 millions de dollars avec le Belarus”, Euronews avec AFP, 26/01/2022).

Par cette "offensive migratoire", les autorités biélorusses déclenchent une crise politique interne massive dans ces pays ainsi que dans l'Union européenne et avec l'OTAN. Cela se produit dans le contexte plus large des tensions de la crise énergétique entre la Russie, l'Ukraine, l'OTAN et l'Union européenne (Hélène Lavoix, "Dossier sur la crise ukrainienne - Comprendre les racines de la crise”, The Red Team Analysis Society).

En outre, cette situation stratégique extrêmement étrange doit être comprise comme un signal de l'émergence de nouvelles manières de faire la guerre. En effet, ce nouvel "art de la guerre" est inhérent aux conséquences géopolitiques de la condition planétaire actuelle connue sous le nom d'Anthropocène.

Dans cet article, nous verrons comment les stratèges de Minsk conçoivent et instrumentalisent une "polycrise" qui est tout à fait inhérente aux conditions de l'Anthropocène.

Armement de la guerre et de la crise climatique du Moyen-Orient

Migration des ingénieurs

En 2020, l'UE, le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis ont refusé de reconnaître la (sixième) réélection du président biélorusse Loukachenko. Après la répression des manifestations politiques à Minsk en 2021, l'UE a imposé des sanctions économiques au Bélarus. Dans un mouvement inverse, le gouvernement biélorusse a lancé un flux constant de migrants aux frontières de la Pologne, de la Lettonie, de la Lituanie, tous membres de l'UE (Karmanau, ibid).

Ce flux soudain de migrants vise très probablement à déstabiliser l'UE. En effet, depuis 2015 et l'afflux d'un million de réfugiés, les questions migratoires déclenchent de violents débats politiques entre les États membres (Aida Sanchez Alonso et Christopher Pitchers, "La migration revient au premier plan de la politique européenne en 2021”, Euronews avec AFP, 29/12/21).

Pont aérien

Depuis juin 2021, le gouvernement biélorusse a lancé une offensive médiatique, notamment sur les réseaux sociaux. Son objectif est d'attirer en Biélorussie des personnes originaires du Moyen-Orient, du Maghreb, d'Afrique, d'Asie centrale et d'Amérique latine. Ces publicités promettent d'offrir des moyens d'entrer dans l'UE. Par exemple, selon le récit de la publicité, les migrants pourraient demander le statut de réfugié ou atteindre l'Allemagne pour y trouver du travail ("2021-2022 Crise frontalière entre le Belarus et l'Union européenne”, Wikipedia).

Au cours des semaines et des mois suivants, le nombre de vols de compagnies aériennes biélorusses, syriennes et irakiennes en provenance du Moyen-Orient, d'Afrique et d'Asie centrale a nettement augmenté. Près de 17 000 personnes originaires de ces régions sont arrivées dans des camps forestiers en Biélorussie. De là, elles ont tenté d'infiltrer l'UE.

Pendant ce temps, les forces de police polonaises, lettones et lituaniennes les traquent en. A partir du 21 novembre, une étrange et longue guérilla s'est déroulée dans les forêts des frontières. Celles-ci sont devenues un théâtre d'opérations, où les forces polonaises, lettones et lituaniennes bloquent et traquent les migrants. Ces forces frontalières utilisent des drones, des gaz lacrymogènes, des barrières, des canons à eau pour les empêcher d'atteindre le territoire de l'UE (Wikipedia, ibid).

Importer la crise géopolitique et climatique

La guerre et le changement climatique en tant que biens communs

Cependant, cela pose la question de savoir ce qui motive les personnes venant d'un autre continent à accepter de prendre de tels risques. Pour répondre à cette question, nous devons comprendre les conditions qui façonnent leur décision. Par exemple, dans le cas des Syriens, Irakiens, Iraniens, Kurdes et Libanais, ils partagent l'expérience collective de la guerre et des conséquences du changement climatique.

En effet, l'ensemble de la région du Moyen-Orient et de l'Asie centrale est en train de s'aérer (Jean-Michel Valantin, "Y aura-t-il des guerres civiles climatiques ?”, The Red Team Analysis Society30 novembre 2021). En outre, en 2021, la Syrie, l'Irak et l'Iran ont dû subir une "nouvelle" sécheresse historique ("Le réservoir de la Syrie s'assèche pour la première fois”, Phys.org, 11 novembre 2021).

Cette super sécheresse fait suite aux autres cycles "historiques" précédents de 2006 et 2016. Pour rappel, le cycle de sécheresse de 2006-2012 a contribué à ravager les campagnes syriennes. Il se trouve que les raisons de cette vulnérabilité à la sécheresse prennent racine dans la politique agricole du régime Assad depuis les années 1990. (Aden W. Hassan et alii, "L'impact des politiques alimentaires et agricoles sur l'utilisation des eaux souterraines en Syrie", Journal of Hydrology, 29 mars 2014).

À cette époque, le régime a développé par la force la culture du coton pour l'exportation vers le marché international. La culture du coton est très gourmande en eau. Ainsi, le nombre de puits a doublé entre 1998 et 2006, surexploitant ainsi les réserves d'eau syriennes plutôt limitées (Asan, ibid). Ainsi, la Syrie souffrait déjà d'un manque d'eau aigu lorsque la longue sécheresse de 2006 a commencé.

La prolifération de la super sécheresse

Face à cette catastrophe, l'État syrien et ses autorités politiques étaient fondamentalement impuissants. Cette crise était d'autant plus profonde qu'elle s'est déroulée dans le contexte plus large du lien climat-politique des printemps arabes de 2011. Ainsi, la guerre civile et internationale qui a suivi s'est déroulée dans un contexte d'épuisement et d'aridification de l'eau. Pendant ce temps, les infrastructures de base syriennes ont été mises à mal par la guerre.

Ainsi, lorsque les sécheresses de 2016 et 2021 ont touché la Syrie, l'Irak et le Kurdistan, elles ont profondément blessé des pays que la guerre avait déjà affaiblis.

Bienvenue dans l'Anthropocène

En l'occurrence, le double renforcement de l'aridification du Moyen-Orient et la multiplication des cycles de super-sécheresse sont un signal fort de l'évolution des paramètres géophysiques.

Les moteurs de cette altération planétaire sont les formes modernes du développement humain. Ainsi, ce processus et cette période géophysique sont qualifiés d'"ère de l'Anthropocène". (J.R McNeil, Peter Engelke, La grande accélération, une histoire environnementale de l'anthropocène depuis 1945, Belknap Press, 2016).

Les pays du Moyen-Orient sont déjà littéralement "immergés" dans les nouvelles conditions géophysiques défavorables qui les assaillent. (Jean-Michel Valantin "Hyper siège : Changement climatique et sécurité nationale des États-Unis”, The Red Team Analysis SocietyLe 31 mars 2014, et Clive Hamilton, Terre de défi, Le sort des humains dans l'Anthropocène, 2017).

Dégradation et désespoir

Au Moyen-Orient, les conséquences du changement climatique et du dérèglement du cycle de l'eau s'aggravent à cause des stratégies turques. En effet, Ankara utilise ses barrages en amont pour abaisser les débits en aval du Tigre et de l'Euphrate, ainsi que leurs réseaux de rivières de surface.

Cette rétention d'eau fait partie de la guerre menée par Ankara en Syrie contre les Kurdes. Par conséquent, depuis 2003 et l'invasion américaine de l'Irak, la dégradation des conditions de vie en Syrie, en Irak, en Iran et dans les zones kurdes entraîne une crise des réfugiés de grande ampleur.

En d'autres termes, les conditions de vie dans cette partie du monde sont à la limite d'une transition de phase vers des conditions de mort (Jean-Michel Valantin, "Vivrons-nous ou mourrons-nous sur notre planète en mutation ?”, The Red Team Analysis SocietyLe 11 février 2019 et Harald Welzer, Les guerres du climat : ce pourquoi les gens seront tués dans le 21e sièclest siècle, 2015).

Dans la seule région kurde d'Irak (KRI), un million de personnes sur les 6 millions que compte la région sont des réfugiés qui ont fui l'Irak entre 1991 et les attaques chimiques de Saddam Hussein et 2014 et la menace d'ISIS. Parmi eux, au moins 4.000 à 8.000 font partie des 17.000 migrants que le Belarus projette aux frontières européennes.

Ils tentent de fuir vers l'Europe via la Biélorussie afin d'avoir une chance d'échapper aux conditions de mort qui bouleversent leur existence. (Benas Gerdziunas, "Interview : Pourquoi de nombreux Kurdes sont-ils allés en Biélorussie ?", Euractiv, 4 janvier 2022 et Bekir Aydogan, "Pourquoi les Kurdes irakiens cherchent-ils refuge en Europe ?", Amjjaj Media, 23 novembre 2021).

Hybridation de la guerre hybride

Offensive hybride

En d'autres termes, l'armement des réfugiés du Moyen-Orient contre l'Europe par les autorités politiques biélorusses révèle une imbrication profonde entre les stratégies géopolitiques et le changement planétaire. En effet, la stratégie biélorusse apparaît comme une "offensive hybride" contre l'Union européenne.

Les moyens de ce nouveau mode de guerre sont la "continuation de la politique" par l'utilisation stratégique de moyens non militaires, tels que la diplomatie, le droit, les médias, l'économie... Dans le cas de la Biélorussie, c'est le mélange de l'utilisation des médias sociaux et de l'importation-exportation de réfugiés (Lawrence Freedman, L'avenir de la guerre : une histoire, 2017). Ce " mix " constitue alors les voies et moyens utilisés pour déclencher une crise politique dans l'Union européenne.

Armement du désespoir et de la migration

Cependant, l'efficacité même de cette stratégie réside dans les conséquences de la combinaison de la guerre et des signaux de l'Anthropocène au Moyen-Orient. C'est à cause de la catastrophe géopolitique-géophysique que, au milieu de la pandémie de Covid-19, les gens sont suffisamment désespérés pour devenir des "réfugiés de guerre et climatiques" en Biélorussie.

Là, ils deviennent des éléments de " l'arme de la migration massive " que le régime vise aux frontières de l'UE (Kelly M. Greenhill, "Armes de migration massive, Déplacement forcé comme instrument de coercition”, Aperçus stratégiques, vol.9, numéro 1, printemps-été 2010).

Stratégie d'hybridation et l'Anthropocène

En d'autres termes, Minsk peut développer son offensive grâce aux conséquences sociales des guerres du Moyen-Orient et des catastrophes climatiques. Ainsi, ils "hybrident" leur "offensive hybride" avec les conditions inhérentes à l'ère de l'Anthropocène.

Nous devons maintenant voir comment cette situation est liée à la crise actuelle autour de l'Ukraine impliquant les États-Unis, l'UE et l'OTAN d'une part, et la Russie d'autre part.

Publié par Dr Jean-Michel Valantin (PhD Paris)

Le Dr Jean-Michel Valantin (PhD Paris) dirige le département Environnement et Sécurité du Red Team Analysis Society. Il est spécialisé dans les études stratégiques et la sociologie de la défense avec un accent sur la géostratégie environnementale. Il est l'auteur de "Menace climatique sur l'ordre mondial", "Ecologie et gouvernance mondiale", "Guerre et Nature, l'Amérique prépare la guerre du climat" et de "Hollywood, le Pentagone et Washington".

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