Les technologies intensément clés du futur (3) - Environnements extrêmes

Permettre les actions humaines dans un environnement modifié

Ce troisième article est la dernière partie de notre "équation" visant à identifier les technologies clés de l'avenir.

Nous avons commencé, avec le premier article, en établissant qu'il ne suffisait pas de dresser des listes de nouvelles technologies pour identifier les technologies clés de l'avenir. Il nous faut davantage : un système expliquant la logique qui sous-tend le succès des technologies. Nous avons donc développé un modèle schématique décrivant les raisons de l'utilisation des technologies, tant au niveau individuel que collectif.

Ensuite, avec la deuxième partie, nous avons trouvé les conditions qui font que les technologies deviennent essentielles. Ainsi, les technologies qui contribuent à permettre une ou plusieurs des actions nécessaires à la satisfaction des besoins individuels et sociaux, et les conditions de ces actions, deviennent clés. De plus, comme notre modèle autorise une vision évolutive des technologies dans le temps, ce dernier est capable d'identifier les technologies clés du futur.

Nous devons maintenant nous pencher sur la manière dont ces futures technologies clés potentielles fonctionnent dans leur environnement. En effet, elles ne peuvent être clés que si elles remplissent leur fonction adéquatement dans un certain environnement.

Nous soulignons donc, tout d'abord, les nombreuses façons dont notre environnement se dégrade, conduisant de plus en plus souvent à des environnements extrêmes. Qui plus est, cette dégradation de nos écosystèmes nous oblige également à utiliser de plus en plus des milieux naturellement extrêmes.

Nous nous concentrons ensuite sur la manière dont les technologies clés du futur devront être résilientes dans ces conditions extrêmes. Nous expliquons que les technologies clés devront permettre des actions dans ces environnements extrêmes, avec des exemples liés aux grands fonds marins et au sous-sol profond. Nous explorons également les boucles de rétroaction possibles entre l'utilisation d'environnements extrêmes et l'altération de l'environnement, en utilisant le cas des maladies et l'émergence croissante d'environnements contaminés.

Enfin, nous soulignons que certaines technologies ne seront pas seulement essentielles au futur mais aussi pour le futur, si elles peuvent atténuer les dommages faits ou, mieux encore, guérir notre environnement altéré.

Un environnement altéré

Notre environnement a changé par rapport au passé. Ce sera encore plus le cas demain, si l'on considère les tendances linéaires. Nos écosystèmes vont changer d'une manière essentiellement négative ou menaçante pour la survie des individus et des sociétés. Plusieurs forces destructrices sont à l'œuvre.

Des forces défavorables modifient notre environnement

De nombreuses forces défavorables, qui interagissent souvent par le biais de boucles de rétroaction positive, modifient notre environnement. Nous avons notamment :

  • Le changement climatique (C02 dans l'atmosphère en particulier) ;
  • La surpopulation ;
  • La perte de la biodiversité ;
  • Les espèces envahissantes ;
  • L'augmentation des maladies, épidémies et pandémies (découlant notamment des deux facteurs précédents) ;
  • Les accidents industriels, chimiques et nucléaires ;
  • L'urbanisation ;
  • L'agriculture intensive ;
  • L'activité spatiale et les débris correspondants ;
  • Etc.

Vers des environnements extrêmes

L'environnement modifié dans lequel nous vivons, en tant qu'individus et sociétés, aura tendance à devenir extrême. Cela se produira soit parce que les forces altérantes transforment l'environnement lui-même, soit parce que le nouvel environnement altéré nous pousse à découvrir de nouveaux environnements qui étaient auparavant laissés de côté parce qu'ils étaient hors de portée ou difficiles, et parce que nous n'en avions pas besoin.

Nous nous appuyons ici sur l'idée originale d'" environnements extrêmes " développée par le Centre de développement, de concepts et de doctrine (DCDC) du ministère de la Défense britannique dans Global Strategic Trends – Out to 2040 (Tendances stratégiques mondiales - jusqu'en 2040) (2010). Dans cet ouvrage, la raréfaction très probable des ressources devait conduire à un intérêt renforcé pour ce que le DCDC a dénommer les "environnements extrêmes" - c'est à dire les grands fonds marins, l'espace, l'Arctique, l'Antarctique et le sous-sol profond - ainsi qu'à leur exploitation. Le DCDC a ensuite abandonné cette idée, malgré sa puissance.

Nos futurs environnements extrêmes seront :

  • Le grand froid : L'Arctique et l'Antarctique notamment ;
  • Le très chaud (avec une augmentation des températures en raison du changement climatique) et la nécessité d'utiliser tous les espaces terrestres, comme les déserts. Nous pouvons aussi envisager plus tard la nécessité de devoir se déplacer vers des endroits très chauds sur d'autres planètes ;
  • Les phénomènes météorologiques extrêmes qui affectent les écosystèmes de façon relativement imprévisible ;
  • Les zones contaminées : pandémies, risques industriels, radiations ;
  • L'espace
  • Les grands fonds marins
  • Le sous-sol profond et l'activité souterraine
  • Les environnements numériques et de plus en plus virtuels : ils sont extrêmes pour l'être humain car de dernier doit s'y adapter extrêmement vite - y compris physiologiquement - alors que ces environnements nous sont totalement étrangers.

(Photo Pandémie en Inde par Gwydion M. Williams, 2020_05_300100 - CC BY 2.0 ; Deep Earth : Professeur Dale Russell , "L'avenir des villes", Samsung KX50: The Future in Focus, 29 août 2019, autres images comme sur la diapositive et Public Domain)

Les technologies clés du futur et les environnements extrêmes

Les technologies clés que nous avons identifiées devront donc impérativement prendre en compte ces environnements extrêmes.

La résilience extrême, une condition impérative pour les technologies clés du futur

Les technologies clés du futur devront impérativement fonctionner dans des environnements modifiés, qui deviennent ou sont de plus en plus extrêmes.

Quelle que soit l'importance d'une technologie et la façon dont elle pourrait contribuer à satisfaire les besoins humains et sociaux, si cette technologie est fragile et ne peut pas faire face à des environnements extrêmes, elle sera inutile. Elle ne sera donc pas une technologie clé de l'avenir.

Par exemple, les éoliennes devront être capables de résister à des ouragans et à des tornades de plus en plus puissants et fréquents (par exemple, Office of Energy Efficiency & Renewable Energy, "Wind Turbines in Extreme Weather: Solutions for Hurricane Resiliency", 23 janvier 2018).

Les ordinateurs et, plus largement, tout ce qui est lié au monde numérique, y compris l'IA, devront fonctionner dans des conditions météorologiques extrêmes et sous des températures extrêmes. Ils devront faire face à d'éventuelles perturbations ou à des choix difficiles en termes d'énergie. Par conséquent, les technologies liées à l'énergie deviendront encore plus importantes. Par exemple, le matériel informatique photonique, comme les puces LightOn est un candidat sérieux pour devenir une technologie clé de l'avenir.

Ici, pour identifier précisément les technologies clés du futur, nous devrons ajouter à notre modèle schématique général une cartographie analytique précise pour chaque technologie (ou famille de technologies). Nous devrons nous assurer que toutes les forces et leurs interactions sont prises en compte (cf. Online course on analytical modeling - EN). Il faudra également veiller à ce que certaines vulnérabilités ne soient pas négligées. Il sera crucial d'analyser ainsi chaque technologie avant de décider de leur utilisation, au cas où des investissements substantiels soient exigés. Une telle analyse sera d'autant plus importante que le rôle prévu ou existant pour ladite technologie est crucial au sein de l'entreprise ou organisation. Imaginez que vous investissiez des millions, voire des milliards, dans l'intégration d'un système technologique, pour découvrir quelques mois ou années plus tard que cette technologie, qui est désormais au cœur de votre système, connaît des défaillances répétées ou pire encore. Cette situation est bien sûr encore plus grave pour les gouvernements et les organismes publics, ainsi que pour les infrastructures de gouvernance, car des pays entiers pourraient alors être confrontés à d'immenses perturbations, avec des effets négatifs en cascade.

Si vous investissez dans le développement de nouvelles technologies, que ce soit par le biais d'un portefeuille sur les marchés ou directement en tant qu'entreprise ou agent de l'État en soutenant telle ou telle industrie, telle ou telle utilisation, alors vous devrez, de même, vérifier l'"extrême résilience" des technologies que vous soutenez. Imaginez ce qui pourrait arriver si vous faisiez un mauvais choix.

En résumé, une sine qua non condition sine qua non pour qu'une technologie soit clé dans le futur est qu'elle ait comme caractéristique une résilience extrême.

Les technologies clés du futur devront nous aider à accéder et à fonctionner dans des environnements extrêmes

Les technologies clés de l'avenir devront nous aider à accéder et à fonctionner dans des environnements extrêmes.

Les environnements extrêmes sont, par définition, les environnements qui ne sont pas favorables aux sociétés humaines. Par conséquent, il est toujours difficile de survivre dans ces environnements et le plus souvent difficile d'y accéder.

Même dans le cas des environnements numériques et virtuels, il existe des impacts négatifs et jusqu'à présent inconnus sur les êtres humains (par exemple Matt Southern, "Study Finds 4 Negative Effects of Too Much Video Conferencing“, SEJ, 27 février 2021 ; Cheryl Roy, "What are the harmful effects of virtual reality?“, Law Technology today, 21 janvier 2021 ; Lavoie, Main, King, et al. Virtual experience, real consequences: the potential negative emotional consequences of virtual reality gameplayVirtual Reality 25, 69-81, 2021, etc.). Parallèlement, il est impossible de ne vivre que par et à travers la réalité numérique et virtuelle. Enfin, les innombrables entreprises qui s'occupent de cybersécurité, ainsi que de la construction et du développement des environnements numérique et virtuel, témoignent de la difficulté d'accès à ce type de monde et de fonctionnement en son sein.

Des études détaillées pour chaque environnement extrême seront nécessaires pour déterminer les conditions d'accès et d'exploitation. En attendant, et à titre d'exemple, nous allons nous pencher ici sur des cas de nouvelles technologies qui nous aident à accéder aux "mondes du dessous", c'est-à-dire aux milieux des grands fonds marins et des sous-sol profonds.

Les grands fonds marins

Les grands fonds marins sont un environnement extrême qui devient de plus en plus crucial pour l'avenir (voir Helene Lavoix, "Dossier sur les ressources des grands fonds marins“, The Red Team Analysis Society, mise à jour janvier 2018, première édition 2012). Ils doivent être compris notamment dans le contexte des besoins en ressources, dont l'énergie, de la protection des écosystèmes fragiles. Qui plus est il faut prendre en compte, stratégiquement la révision des frontières réelles des États. Notons que ce dernier élément, pourtant fondamental, ne semble pas avoir déjà imprégné la conscience mondiale.

La Chine est très avancée dans le développement et l'utilisation des technologies des grands fonds, comme le souligne Liu Feng, secrétaire général de l'Association chinoise de recherche et de développement des ressources minérales océaniques (COMRA) (Interview par Wang Yan, "China’s deep-sea mining, a view from the top“, China Dialogue18 octobre 2019). Sur le plan stratégique, elle s'implique également activement auprès des autorités internationales correspondantes. En octobre 2019, par exemple, la Beijing Pioneer Hi-Tech Development Corporation et l' International Seabed Authority / Autorité internationale des fonds marins (ISA) ont signé un contrat d'exploration des nodules polymétalliques dans l'océan Pacifique occidental (Communiqué de presse de l'ISA, 24 octobre 2019). Le 9 novembre 2020, l'ISA et la Chine ont lancé un centre commun de formation et de recherche (Communiqué de presse de l'ISA, 9 novembre 2020).

La Chine a le plus grand nombre de contrats d'exploration des fonds marins avec l'ISA (carte 22 avril 2021 ISA - cliquez sur l'image pour accéder à l'original sur le site web de l'ISA).

Sur le plan technologique, la Chine a notamment mis au point un submersible sans équipage, Qianlong 3, qui a effectué sa première plongée à 3500 mètres de profondeur en avril 2018 (Global Times). Son submersible habité Fendouzhe a terminé une mission en eaux profondes dans la fosse des Mariannes, dans le Pacifique, et a atteint une profondeur de plus de 10 000 mètres en novembre 2020. Il s'agit de la deuxième plongée la plus profonde après un record américain établi en 2019 ("New Chinese submersible reaches Earth’s deepest ocean trench“, Phys.org, novembre 2020).

Les sous-sols profonds et le monde du souterrain

La DARPA a lancé un Défi Souterrain (Subterranean challenge) en décembre 2017 pour "développer des technologies innovantes qui augmenteraient les opérations sous terre". Le programme devrait prendre fin en 2021.

Pendant ce temps, des futuristes, comme le professeur Dale Russell, imaginent une vie sous terre (“The Future of Cities” dans Samsung KX50: The Future in Focus, 29 août 2019).

Certaines technologies quantiques, par exemple les gravimètres quantiques, pourraient devenir essentielles pour cartographier le monde souterrain (voir par exemple le Dr Nicole Metje et le Dr Michael Holynski, "How can Quantum Technology make the underground visible?" Université de Birmingham, 2016 ; Geoff Zeiss, "Applying quantum effects to detecting underground infrastructure“, Between the Poles, 8 février 2021). Grâce à elles, les aménagements souterrains sont et seront probablement plus faciles à mettre en œuvre, ce qui sera très probablement clé à mesure que les environnements terrestres profonds prendront de l'importance. L'observation de ces constructions sera également cruciale en termes de sécurité (Ibid.).

Énergie géothermique

L'énergie géothermique est également un exemple intéressant d'utilisation des profondeurs de la terre (par exemple, John W. Lund, "Énergie géothermique“, Encyclopedia Britannica, 30 avril 2018 ; Julia Rosen, "Supercharged geothermal energy could power the planet“, New Scientist, 17 octobre 2018). Il s'agit d'une énergie de l'environnement extrême souterrain. Bien qu'elle soit utilisée depuis des millénaires par le biais de ses sorties naturelles facilement accessibles comme les sources chaudes, les technologies permettant une utilisation plus systématique et plus profonde sont plus récentes et évoluent au fur et à mesure que profondeur et chaleur extrêmes peuvent être atteintes et que leur canalisation devient possible.

Ces technologies sont à la fois essentielles en termes d'énergie et en terme d'accès à et d'utilisation des environnements extrêmes. Elles pourraient également avoir de graves impacts délétères, participant ainsi, à leur tour, à l'altération de l'environnement.

L'énergie géothermique pourrait également changer la donne pour certains pays, comme en témoignent les efforts du Salvador pour coupler l'énergie géothermique de ses volcans et le bitcoin, ce dernier système ayant été jusqu'ici peu respectueux de l'environnement. En outre, ici, la coordination sociale, par le biais des autorités politiques via la monnaie, est également impactée (Reuters, “Does money grow on volcanoes? El Salvador explores bitcoin mining", 10 juin 2021).

Les technologies liées à l'énergie géothermique font donc très probablement partie des technologies clés de l'avenir. Elles doivent pour le moins faire l'objet d'une veille active.

L'émergence extrême des maladies : des sous-sols profonds aux environnements contaminés

L'utilisation des environnements terrestres profonds peut également avoir des conséquences inattendues et involontaires. L'utilisation d'un environnement extrême a le potentiel de créer une boucle de rétroaction croissante avec d'autres environnements extrêmes.

Examinons un cas qui peut nous aider à commencer à comprendre ce qui pourrait se passer. Même si la mine de Mojiang à Kunming, en Chine, est une mine de cuivre abandonnée et ne fait donc probablement pas partie de ce que nous appellerions l'environnement terrestre profond, nous pouvons néanmoins utiliser cet exemple pour imaginer les impacts possibles des activités terrestres profondes - et moins profondes.

À la suite de la maladie et du décès de mineurs travaillant dans la mine abandonnée en 2012, un nouveau virus venant des rongeurs - virus henipa-like - a été identifié dans la mine, tandis que 293 coronavirus ont été échantillonnés dans et autour de la mine, parmi lesquels "huit sont des coronavirus de type "SRAS"" (Zhiqiang Wu et al., "Novel Henipa-like Virus, Mojiang Paramyxovirus, in Rats", China, 2012, Emerg Infect Dis. 2014 Jun ; 20(6) : 1064-1066 ; David Stanway, "Explainer: China’s Mojiang mine and its role in the origins of COVID-19“, Reuters, 9 juin 2021).

Si de nouveaux virus et de nouveaux hôtes possibles apparaissent, de nouvelles maladies potentiellement pandémiques pourraient suivre. Le cas de la mine de Mojiang pourrait donc être un exemple de la manière dont de nouvelles épidémies pourraient émerger des interactions entre les êtres humains et des environnements jusqu'ici vierges. Ainsi, l'environnement extrême lié à la contamination pourrait être activé.

Si nous suivons ce raisonnement et l'appliquons à l'année 2021, la question clé n'est pas de savoir si la Chine est coupable ou non d'être à l'origine de la pandémie de COVID-19, laquelle pourrait avoir pour origine la mine de Mojiang. La véritable question cruciale pour l'avenir est de savoir combien de nouvelles activités humaines dans des environnements extrêmes, rendues possibles par la technologie, pourraient déclencher des pandémies et comment atténuer ce risque.

Tous les lieux entourant des environnements extrêmes (à savoir les grands fonds marins, le sous-sol profonds et le monde du souterrain, le grand froid et le grand chaud, l'espace - pouvant provenir d'autres planètes - le virtuel - par extension les "cybervirus") devraient être étroitement surveillés pour détecter l'apparition de ces nouveaux virus et autres organismes susceptibles de provoquer une contamination. Les bactéries et les virus qui émergent de la fonte du permafrost sont un autre exemple de cette menace possible (voir par exemple Jasmin Fox-Skelly, "Long-dormant bacteria and viruses, trapped in ice and permafrost for centuries, are reviving as Earth’s climate warms“, BBC, 4 mai 2017). Les technologies permettant de surveiller ces risques, et celles qui sont permettront d'accéder aux environnements extrêmes sans déclencher de contamination, deviendraient clés.

Pour résumer, ces technologies, suffisamment résilientes pour fonctionner dans des conditions extrêmes, qui nous permettent d'accéder à des environnements extrêmes et de rendre ces derniers habitables et exploitables par les êtres humains et les sociétés, seront très probablement essentielles dans le futur.. Entre-temps, de nouvelles altérations possibles de notre environnement pourraient apparaître, entraînant des boucles de rétroactions croissantes et délétères.

Cette éventualité fâcheuse met à son tour en évidence un nouveau besoin auquel la technologie devra répondre, comme nous allons le voir maintenant.

Les technologies intensément clés pour l'avenir

Compte tenu de notre environnement modifié, nous pouvons envisager deux autres fonctions que la technologie pourrait jouer et qui en feraient des éléments clés, voire vitaux.

Les technologies pourraient atténuer les altérations et les impacts négatifs sur l'environnement, générés par l'activité humaine - et naturelle - antérieure.

De manière encore plus positive, nous pouvons imaginer des technologies qui pourraient réparer les dommages causés et soigner l'environnement.

Ces technologies de réparation et de guérison sont plus que nécessaires. Nous pouvons les considérer non seulement comme des technologies clés de l'avenir, mais aussi comme des technologies ultimes pour notre avenir.

Conclusion

En résumé, les technologies clés du futur sont celles qui contribuent à satisfaire une ou plusieurs des actions et conditions essentielles à la satisfaction des besoins individuels et sociaux en constante évolution. Ces technologies peuvent notamment contribuer à répondre aux besoins en matière d'énergie, de défense et d'attaque. Elles peuvent également intervenir dans trois types d'actions et de tâches : le mouvement et le transport de charges, l'artisanat et les différents types de mise en œuvre, et enfin toutes les tâches liées au calcul, à la mémoire, à la connaissance, à la compréhension et à la transmission.

Pour être véritablement essentielles dans le futur, et pas seulement potentiellement, ces technologies devront être suffisamment résilientes pour fonctionner dans un monde de plus en plus altéré et notamment dans des environnements extrêmes.

En outre, les technologies qui permettront d'accéder à ces environnements extrêmes et d'y mener des actions humaines seront également essentielles dans le futur.

Enfin, les technologies qui permettront d'atténuer les dommages antérieurs causés à notre environnement, au sens large du terme, ou même de soigner cet environnement, seront non seulement essentielles dans le futur, mais aussi essentielles pour le futur.

Bibliographie

DARPA, Défi Souterrain (Subterranean challenge), 2017.

Communiqué de presse de l'ISALe 24 octobre 2019

Communiqué de presse de l'ISALe 9 novembre 2020

Lavoie, Main, King, et al. Virtual experience, real consequences: the potential negative emotional consequences of virtual reality gameplayVirtual Reality 25, 69-81, 2021

Lund, John W.. "Énergie géothermique". Encyclopédie Britannica, 30 avril 2018.

Metje Nicole, et Michael Holynski, "How can Quantum Technology make the underground visible?" Université de Birmingham, 2016 ;

Phys.org, “New Chinese submersible reaches Earth’s deepest ocean trench", novembre 2020

Roy, Cheryl, "What are the harmful effects of virtual reality?“, Law Technology today, 21 janvier 2021 ;

Russell, Dale, "L'avenir des villes" dans Samsung KX50: The Future in FocusLe 29 août 2019.

Southern, Matt, "Study Finds 4 Negative Effects of Too Much Video Conferencing“, SEJ, 27 février 2021 ;

Stanway, David, "Explainer: China’s Mojiang mine and its role in the origins of COVID-19“, Reuters, 9 juin 2021.WuWu

Wu, Zhiqiang et al, "Novel Henipa-like Virus, Mojiang Paramyxovirus, in Rats", China, 2012, Emerg Infect Dis. 2014 Jun ; 20(6) : 1064-1066 .

Yan, Wang, Interview "China’s deep-sea mining, a view from the top“, China DialogueLe 18 octobre 2019

Zeiss, Geoff, "Applying quantum effects to detecting underground infrastructure“, Between the Poles, 8 février 2021.

Les technologies clés du futur (2) - Evolution

Pour être clés, les technologies doivent faciliter et améliorer les actions humaines.

Dans la première partie de cette série, nous avons constaté que se contenter de dresser des inventaires à la Prévert des nouvelles technologies était insuffisant pour identifier les technologies clés de l'avenir. L'utilisation de classifications inadéquates aggrave la situation. Il nous faut davantage : un système expliquant la logique qui sous-tend le succès des technologies. Nous avons donc développé un modèle schématique décrivant les raisons de l'utilisation des technologies, au niveau individuel et collectif.

Dans ce deuxième article, nous appliquons progressivement notre modèle schématique pour identifier plus précisément les technologies clés du futur. En utilisant la logique que nous avons mise en évidence, nous commençons par faire le lien entre la technologie et les actions humaines mises en œuvre pour répondre aux besoins des individus et de la société. Ensuite, nous vérifions que notre modèle nous permet effectivement de considérer l'évolution et les dynamiques, car celles-ci sont cruciales si l'on veut se projeter dans l'avenir. Cela nous donne les premières conditions ou règles que les technologies doivent remplir pour être essentielles dans le futur.

Les technologies clés permettent les actions et leurs conditions

Pour rappel, nous disposons d'un modèle qui rend explicite la logique sous-tendant la raison pour laquelle nous avons besoin de technologies et les utilisons (cf. partie 1 pour une explication).

Maintenant, nous examinons à nouveau ce modèle du point de vue des types de tâches et d'actions que nous devons effectuer pour nous assurer que les besoins individuels et sociaux sont satisfaits.

Les besoins individuels et sociaux (à gauche) sont satisfaits grâce à des "tâches et actions" (la main du milieu) rendues possibles par des technologies qui permettront également de réunir les conditions d'une action réussie.

Les technologies clés sont donc ces technologies qui participent à :

  • Faciliter trois types d'actions
    • le mouvement, le transport de charges, ainsi que la force connexe ;
    • métiers de fabrication et les différents types de mise en œuvre, ainsi que la force connexe ;
    • toutes les tâches liées au calcul, à la mémoire, à la connaissance, à la compréhension, à la transmission, etc.
  • Aider à remplir les conditions de l'action
    • Énergie : a sine qua non condition de l'action - et de la vie. En effet, sans énergie, rien n'est possible, comme l'a montré Thomas Homer Dixon (The Upside of Down: Catastrophe, Creativity, and the Renewal of Civilization, Random House Canada, 2006).
    • "Défense et attaque" : par rapport à l'énergie, les capacités de "défense et d'attaque" n'ont pas besoin d'être toutes exercées en permanence. La volonté de les exercer, cependant, doit être permanente. C'est la conscience de l'existence d'une volonté inébranlable d'exercer la défense et l'attaque qui rendra cet exercice discontinu et temporaire.
      Un exemple de ce phénomène est la dissuasion nucléaire (par exemple, Alexey Arbatov, "Nuclear Deterrence: A Guarantee or Threat to Strategic Stability?“, Carnegie Moscow Centre, 22 mars 2019). Un autre exemple est l'internalisation des normes et du système moral connexe qui permet à une société de fonctionner (par exemple, Boyd & Richerson, "Culture and the Evolution of the Human Social Instincts", dans Roots of Human Sociality, 2006). Un troisième exemple clé est le monopole légitime de la violence, lorsque les autorités rationnelles et la légitimité permettent que le monopole de la violence soit réellement utilisé le moins possible (par exemple, Moore, Injustice: The Social Basis of Obedience and Revolt, 1978, 440-449)

Les technologies qui permettent de réaliser une ou plusieurs de ces actions et les conditions de ces actions deviennent également fondamentales pour répondre aux besoins individuels et sociaux. Par conséquent, elles deviennent des technologies clés.

Les technologies clés évoluent avec le temps : Vers une phylogénie des technologies ?

Examinons maintenant ces technologies habilitantes d'un point de vue dynamique. Notre modèle schématique permet-il une évolution dans le temps ?

Ce que nous cherchons à établir ici, ce sont les relations évolutives entre la satisfaction des besoins individuels et sociaux et les actions facilitées par les technologies. Ainsi, en empruntant aux sciences naturelles, où la Phylogénie est la science/étude des relations évolutives entre les organismes, nous posons les premières pierres d'une phylogénie des technologies ("Taxonomy and Phylogeny,” Biology Library, Projet LibreTexts, 2019).

Exemple d'une phylogénie, ici pour le SARS-CoV2 (GISAID). Cette approche pourrait être adaptée pour suivre l'évolution des technologies et détecter les futures technologies clés.

Dans cet article, à titre de test et de premiers pas, nous resterons à un niveau schématique, car notre objectif est de créer un modèle-cadre qui pourra ensuite être appliqué à des technologies spécifiques. Il est évident qu'une phylogénie développée devrait détailler précisément l'évolution historique de chacune des technologies habilitantes que nous utilisons comme exemples ci-dessous. Pour l'instant, une esquisse, même imparfaite, est suffisante pour notre objectif. Ce que nous voulons, c'est tester la logique qui sous-tend le modèle.

Des technologies en évolution qui permettent de créer les conditions de l'action

Technologies liées à l'énergie

Les technologies liées à l'énergie ont évolué avec le temps. Nous avons d'abord connu une situation où aucune technologie ou presque n'était utilisée, où le soleil (et probablement la foudre) ainsi que la chasse et la cueillette - la nourriture étant l'énergie fondamentale de l'être humain comme le souligne Homer Dixon (Ibid.) - étaient la seule source d'énergie. Nous sommes ensuite passés à une époque où la "technologie", alors plutôt primitive, a commencé à être impliquée dans la découverte du feu, et l'utilisation du vent et de l'eau.

En avançant dans le temps, nous avons eu les technologies incluses dans l'agriculture sédentaire et celles qui ont permis ou facilité les découvertes liées à l'énergie, par exemple les technologies liées à l'énergie tirée du bois, puis du charbon et du pétrole ou plus largement à l'énergie extraite des combustibles fossiles. Puis les technologies ont participé à l'agriculture intensive, à l'énergie nucléaire, à la transformation en électricité. Enfin, nous avons l'utilisation technologique supérieure ou plus complexe des forces naturelles comme l'hydroélectricité, les panneaux solaires, l'éolienne, l'agriculture de précision, etc.

Technologies liées à la défense et à l'attaque

Les technologies de défense et d'attaque sont passées de l'absence d'armes, où seul le corps humain était utilisé, à l'utilisation d'outils comme armes et de grottes comme habitations. Nous avons ensuite connu le développement du métal et des armes connexes, du tir à l'arc, des armes de siège, des arbalètes, alors que murs, camps, mottes castrales et forteresses, étaient progressivement développées, etc.

Nous eûmes ensuite les armes modernes, l'extension des théâtres d'opérations et les systèmes de défense correspondants permis notamment par la poudre à canon et le moteur à vapeur. Les technologies permettant l'aviation furent ensuite ajoutées.

Nous nous dirigeons maintenant vers des armes et une défense de haute technologie (par exemple, voir les articles relatifs à la sécurité et à la géopolitique dans notre section sur l'IA).

Des technologies évolutives au service de l'action

Technologies liées au mouvement

Les technologies liées au mouvement ont évolué de l'utilisation d'animaux jusqu'aux moyens de transport modernes tels que les voitures, les camions, les avions, les trains, les navires, les navettes spatiales, les "unités" nanotechnologiques, etc.

Technologies liées à la manufacture et à la mise en œuvre

Les technologies liées à la manufacture, à l'artisanat, permirent, par exemple, de passer du nouage de matériaux de base et de peaux puis de tissus, à la coupe et à la couture avec du fil et une aiguille, tandis que les métiers à tisser devenaient de plus en plus mécanisés. Maintenant nous voyons apparaître les tissus intelligents et les textiles programmables ainsi que la capacité de les fabriquer au mieux.

Technologies liées à la cognition, à la perception et à la transmission

Les technologies liées à la cognition peuvent également être considérées comme évoluant avec le temps. Par exemple, pour le calcul, nous sommes passés du boulier aux ordinateurs de plus en plus puissants, puis aux ordinateurs quantiques. Un exemple de ce phénomène est aussi ici le développement de l'intelligence artificielle restreinte (voir L'intelligence artificielle au service de la géopolitique - Présentation de l'IA).

Compte tenu des connaissances et des recherches actuelles, nous devons ici nous pencher à la fois sur la cognition et la perception (par exemple, voir l'article d' Alexandra Michel, basé en partie sur un symposium de science intégrative lors de la Convention internationale des sciences psychologiques 2019 (ICPS) à Paris: Alexandra Michel, "Cognition and Perception: Is There Really a Distinction?", Association for psychological science, 29 janvier 2020). Nous nous sommes fait l'écho de cette perspective lorsque nous avons souligné l'importance des capteurs pour l'IA, les actionneurs en ce qui concerne l'IA n'étant rien d'autre que la possibilité de réaliser actions et tâches (voir notre article correspondant dans la section sur les capteurs et actionneurs pour l'IA, en commençant par Insérer l'intelligence artificielle dans la réalité).

L'importance de la perception et des capteurs nous dit aussi quelque chose de plus.

Elle nous rappelle que l'utilisation évolutive des technologies a lieu dans le monde. La perception doit avoir quelque chose à percevoir. Les capteurs doivent avoir quelque chose à détecter. Pendant ce temps, les actions et les tâches rendues possibles par les technologies agissent quelque part et sur quelque chose.

Ainsi, toutes ces technologies, que nous avons identifiées comme clés, ne sont en fait que potentiellement clés dans le futur. Les conditions qui les ont défini comme clés sont nécessaires, mais non suffisantes.

Les technologies ne peuvent être clés dans le futur (et le présent d'ailleurs) que si elles fonctionnent, si elles remplissent leurs fonctions, dans un environnement donné.C'est ce que nous allons voir dans la dernière partie.


Bibliographie

Images en vedette : Vaisseau spatial et planète par Reimund Bertrams d' Pixabay  / Public domain ; ferme hydroponique par iamareri d' Pixabay  / Domaine public.


Arbatov, Alexey, "Nuclear Deterrence: A Guarantee or Threat to Strategic Stability?“, Carnegie Moscow CentreLe 22 mars 2019.

Bibliothèque de Biologie, "Taxonomy and Phylogeny”, Projet LibreTexts, 2019.

Boyd, R. & Richerson, Peter. (2006). Culture and the Evolution of the Human Social Instincts. Roots of Human Sociality.

Dixon, Thomas Homer, The Upside of Down: Catastrophe, Creativity, and the Renewal of Civilization(Random House Canada, 2006).

GISAID

Michel, Alexandra, "Cognition and Perception: Is There Really a Distinction?", Association for psychological science, 29 janvier 2020.

Moore, B., Injustice: Social bases of Obedience and Revolt(Londres : Macmillan, 1978).


Les technologies clés du futur (1)

Nous vivons dans un monde où les nouvelles technologies sont de plus en plus nombreuses et considérées comme cruciales pour notre avenir. Celles-ci ne sont pas seulement nouvelles, elles sont aussi censées révolutionner nos vies pour le meilleur. Le progrès ne peut être imaginé sans la technologie. La technologie est censée nous sauver tous. La rapidité avec laquelle la bio-technologie a contribué à développer des vaccins efficaces contre le COVID-19, tel que déclenché par les premiers variants du SRAS-CoV2, illustre la fonction salvatrice de la technologie.

Pendant ce temps, les acteurs, tant publics que privés, doivent constamment innover et financer les bons programmes de recherche scientifique et technologique. Ils doivent investir dans la prochaine technologie clé et l'adopter suffisamment tôt pour s'assurer de ne pas prendre de retard dans la course technologique.

Nous devons donc suivre l'innovation et les évolutions technologiques. Mais ceci n'est qu'un prérequis. Nous devons également être capables de faire le tri parmi ces nombreuses "nouvelles technologies" et identifier, le plus tôt possible, celles qui seront essentielles pour l'avenir. Si nous investissons dans la mauvaise technologie, de la mauvaise manière ou au mauvais moment, les conséquences risquent d'être négatives.

Avec cette série d'articles, nous répondrons à la première de ces préoccupations : quelles nouvelles technologies pourraient être clés pour le futur ?

Comme nous sommes à un niveau générique, nous ne préciserons pas, pour l'instant, exactement "quand dans le futur".

Comment pouvons-nous identifier les nouvelles technologies qui deviendront essentielles dans le futur ?

Avec ce premier article, nous allons construire un modèle schématique qui nous permettra de comprendre pourquoi nous avons besoin de technologies. En effet, ce n'est que si nous pouvons trouver une logique derrière le succès ou l'échec des nouvelles technologies que nous pouvons espérer identifier les technologies clés de demain.

Nous commençons par examiner un scan déjà disponible, de qualité, des nouvelles technologies actuelles, et nous l'utilisons comme étude de cas. Nous testons ensuite la capacité de ce scan à identifier les futures technologies clés et nous mettons en évidence les difficultés qui lui sont liées. Ainsi, nous soulignons ce qui manque dans cette approche pour nous permettre de répondre à notre question. Enfin, sur la base de ces résultats, nous commençons à construire un premier modèle schématique qui nous permettra d'identifier les futures technologies clés.

Un scan complet classique

Munich-Re, en collaboration avec ERGO IT Strategy, nous fournit un scan annuel très utile, le Tech Trend Radar (ci-après "Radar"), qui vise à sensibiliser aux " tendances clés " du secteur des nouvelles technologies. Les auteurs se concentrent sur les technologies qui sont particulièrement pertinentes pour le secteur de l'assurance. Néanmoins, étant donné l'ampleur des intérêts des compagnies d'assurance, leur scan est pertinent pour de nombreux secteurs et excellent pour un aperçu général et complet des nouvelles technologies actuelles.

De plus, la célèbre compagnie de réassurance a commencé son tech scan en 2015 et dispose donc d'une collection de 6 radars annuels, lesquels pourraient donc nous donner de la profondeur si jamais nous avions besoin de profondeur historique.

La méthodologie utilisée pour le "Radar"est fondée sur la compilation de tendances, lesquelles sont ensuite passées au crible selon quatre règles "pour définir les tendances les plus pertinentes classées en quatre domaines primaires" (Tech Trend Radar 2020, p.62). Ces règles sont notamment inspirées une méthode de management, le modèle "Run-Grow-Transform" (RGT) (Ibid., modèle RGT adapté à l'informatique par Hunter et al, Gartner Research, 2008).

Tout d'abord, Munich-Re et Ergo Tech Trend Radar 2020 présentent leurs résultats triés selon "quatre champs de tendances" (Tech Trend Radar 2020 et 2019):

  • Centricité de l'utilisateur ;
  • Monde connecté ;
  • Intelligence artificielle ;
  • Tech "habilitantes" (Enabling tech), ex-disruptive tech dans l'édition 2019.

(Cliquez sur l'image pour accéder au document de Munich-Re)

Munich-Re et Ergo trient ensuite les champs de tendances en fonction de la maturité/du degré d'adoption de chaque technologie, ce qui leur permet de donner des conseils détaillés sur ce qu'il convient de faire avec cette technologie.

Nous avons donc 52 technologies d'intérêt, dont 10 sont considérées comme nouvelles pour 2020.

Mais quelles sont celles qui seront clés dans le futur ?

Peut-on utiliser cette approche pour la prospective ?

Parmi ces 52 technologies, quelles sont ou plutôt seront les technologies clés ou les plus importantes dans le futur ? Comment pouvons-nous le savoir ?

En outre, comment pouvons-nous être certains que toutes les futures technologies clés sont présentes ? Pourrait-il nous manquer une technologie clé, ou plusieurs technologies clés ?

Le cas de l'agriculture de précision

Par exemple, l'"agriculture de précision" - également appelée "agriculture intelligente" - est une nouveauté pour le Radar 2020 et ne figurait pas dans la version 2019 (Ibid.).

Pourtant, une entreprise comme Deere & Company a déjà commencé à se préparer à l'agriculture intelligente au moins en 2017 (Hélène Lavoix, L'intelligence artificielle, l'internet des objets et l'avenir de l'agriculture : Sécurité de l'agriculture intelligente ? partie 1 et partie 2, The Red Team Analysis Society, 2019). L'intérêt et les investissements dans ce domaine ont augmenté en 2018, puis en 2019 (Ibid.). Ainsi, le "Radar"a trois ans de retard. Si nous avions utilisé le "Radar" de 2019, nous serions passés entièrement à côté d'une technologie, probablement clé pour l'avenir.

Le cas du "Deep Fake", issu des réseaux adversaires génératifs (GAN)

De même, "DeepFake Defence" entre dans le "Radar"en 2020, dans le domaine "Centricité de l'utilisateur".

Cependant, le nom de "deep fake" est apparu en 2017 pour exprimer la préoccupation concernant les falsifications impliquant l'intelligence artificielle (IA) (Laurie A. Harris, "Deep Fakes and National Security“, Congressional Research Service, mis à jour le 7 mai 2021, 3ème version). L'agence américaine Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) dispose de deux programmes axés sur la lutte contre les Deep Fakes. Le premier, Media Forensics (MediFor) a débuté en 2016 et le second Semantic Forensics (SemaFor) en 2019.

Ainsi, là encore, le "Radar" est en retard, pour notre objectif d'identification d'une tendance clé.

Pendant ce temps, les Deep Fakes sont le plus souvent fondés sur les réseaux antagonistes génératifs (generative adversarial networks - GANs), effectivement identifiés dans le "Radar", en IA cette fois. Les GANs sont entrés dans le "Radar"en 2019 (Ibid.)

Le réseau antagoniste génératif (generative adversarial network - GAN) a été inventé en 2014.
Les GANs font partie de l'apprentissage non supervisé (Unsupervised Learning - UL) : la capacité d'une machine à trouver des structures sous-jacentes à partir de données non étiquetées.

Les GANs regroupent, seuls, des objets, trouvant des "concepts" : des pixels arbres avec des pixels arbres, des portes avec des portes, etc. (par exemple, Gan Paint).

L'incroyable qualité des images générées, qui n'existent pas dans la réalité, ouvre la porte à des possibilités inimaginables auparavant. Ces images peuvent avoir des applications négatives, pour la falsification par exemple. Elles peuvent aussi déboucher sur des usages constructifs pour de nombreuses autres activités, comme l'urbanisme, l'architecture, le cinéma, la mode, etc. (voir aussi Hélène Lavoix, Insérer l'intelligence artificielle dans la réalité, The Red Team Analysis Society, janvier 2019).

L'identification des GANs aurait donc dû conduire à s'intéresser à leur utilisation, bonne et mauvaise, dès la découverte de la nouvelle technologie GAN. En outre, la classification de deux "tech" apparentées dans des catégories différentes - même si ces catégories sont appelées "domaines" - peut créer des problèmes, comme nous le verrons plus loin.

Bien sûr, seuls ceux qui ne font rien ne font pas d'erreurs. Pourtant, si certaines technologies ont été détectées tardivement, alors une méthodologie similaire à celle employée pour le "Radar" pourrait nous conduire à manquer maintenant une autre technologies pour le futur ?

Quelle pourrait être la nouvelle technologie importante oubliée ? Nous pourrions changer nos sources, et en choisir de meilleures et plus étendues. Mais, cela serait-il suffisant ? Comment le saurions-nous ?

Pouvons-nous identifier ce qui manque ou ce qui peut être amélioré lorsque nous utilisons une approche telle que celle utilisée pour la "Radar“?

Le problème des listes à la Prévert

Le "Radar"que nous utilisons ici comme étude de cas, nous présente une longue liste de technologies classées dans des catégories appelées "domaines de tendance". Mais nous ne savons pas exactement comment et pourquoi ces "domaines de tendances" sont choisis.

Catégories

Les catégories sont utilisées dans le processus de classification et en résultent, la classification étant une fonction cognitive fondamentale pour le cerveau (Fabrice Bak, 2013 : 107-113). En effet, " la catégorisation est un processus par lequel les gens donnent un sens aux choses en élaborant sur des similarités et des différences " (McGarty, Mavor, & Skorich, 2015). Le plus haut niveau de catégorisation est hiérarchique (organisé comme un arbre) et appelé taxonomie ou classification hiérarchique. En termes classiques, les catégories doivent être clairement définies (quels critères sont nécessaires pour qu'un élément fasse partie ou non de la catégorie), mutuellement exclusives (un élément ne peut appartenir qu'à une seule catégorie) et totalement exhaustives (toutes les catégories ensemble représentent l'ensemble pour lequel les catégories sont construites) (OCDE,"Classification", utilisant le “United Nations Glossary of Classification Terms” prepared by the Expert Group on International Economic and Social Classifications; unpublished on paper).

L'exemple archétypal d'une taxonomie est la classification des plantes, des animaux et des minéraux par Linné (Regnum AnimaleRegnum Vegetabile et Regnum Lapideum), selon différentes classes, un travail qu'il commença avec son Species Plantarum, publié en 1753 et qui se poursuivi tout au long de sa vie (cf. sa bibliographie). En s'appuyant sur les travaux de Linné, les organismes sont maintenant organisés selon les taxonomies inclusives suivantes, c'est à dire du plus inclusif au moins inclusif : Royaume, Phylum, Classe, Ordre, Famille, Genre, Espèce et Souche.

Pas de vraies catégories

Maintenant, si nous regardons les "champs de tendance" utilisés dans le "Radar", ce que nous observons, c'est qu'ils ne respectent aucune des spécificités qu'une catégorie devrait avoir :

1- Ils ne sont pas bien définis. Il n'existe pas de critère permettant de classer facilement un élément dans un "champ de tendances" ou un autre. Par exemple, les différents types d'AI ne sont-ils pas également des technologies habilitantes ?

2- Ils ne s'excluent pas mutuellementEn d'autres termes, certains éléments peuvent appartenir à deux ou plusieurs "champs de tendances" : La 5 G est habilitante et fait également partie du monde connecté ; les textiles intelligents appartiennent au champs "centricité de l'utilisateur" et peuvent être considérées comme faisant partie des matériaux programmables; l'IA est essentiellement "enabling" en ce qui concerne les "choses autonomes" et l'agriculture de précision comme nous l'avons vu, etc.

3- Ils ne sont probablement pas exhaustifs, ce qui crée le problème de ne pas savoir si nous n'avons pas manqué quelque chose.

Les quatre "champs de tendances", ici, semblent être principalement des habitudes de pensée, des noms existants ou des catégories disparates, qui permettent aux lecteurs et aux utilisateurs d'identifier rapidement et facilement les nouvelles technologies sélectionnées par le "Radar". 

Catégories statiques

Dans notre étude de cas, Munich-Re et Ergo trient ensuite la première "proto-catégorisation" en fonction d'une deuxième catégorisation : la maturité/le degré d'adoption de la technologie.

Cette seconde catégorisation semble correcte en termes des règles devant être respectées pour obtenir la qualité de catégorie. Pourtant, les critères utilisés pour construire la seconde catégorie restent tournés vers l'intérieur. Il manque un élément explicatif dynamique lié à notre préoccupation. Nous ne pouvons pas savoir ce qui va fonctionner ou non, car nous ne disposons pas d'une logique qui explique le succès futur des technologies.

Vers un modèle permettant de comprendre ce qui rend des technologies clés

Ce dont nous avons besoin, c'est d'un modèle qui explique schématiquement le but des technologies, pourquoi nous les utilisons, pourquoi elles sont importantes pour nous, êtres humains. Si nous comprenons, même schématiquement, cette logique, nous pouvons alors envisager les technologies qui seront essentielles dans le futur.

Racontons l'histoire - ou une histoire - des êtres humains et des technologies.

Nous avons une planète, peuplée d'individus.

Chaque individu vivant sur la planète Terre a des besoins, comme l'explique Maslow (Abraham Maslow, Motivation et personnalité, 1954, 1987).

En fait, sur la planète, nous avons des foules d'individus, vivant dans différents types d'habitations. Chaque foule est organisée en société.

Une société implique que la coordination sociale doit fonctionner. La coordination sociale s'exprime selon trois composantes (Barrington Moore, Injustice: Social bases of Obedience and Revolt, 1978):

  1. la question de l'autorité,
  2. la division du travail pour la production de biens et de services,
  3. et la distribution de ces biens et services.

Pour satisfaire les besoins de coordination sociale, certaines tâches ou actions doivent être réalisées.

Ces tâches ou actions seront impactées, rendues possibles ou non, facilitées ou non, par certaines conditions et par l'environnement.

C'est là que naissent les technologies, pour faciliter et améliorer toutes ces actions.

Ainsi, nous pouvons supposer que les technologies qui seront essentielles pour l'avenir seront toutes celles qui nous aideront efficacement à satisfaire les besoins des individus et des sociétés. Au cours du temps, les actions requises pour satisfaire ces besoins deviennent de plus en plus complexes, et ce, en raison des actions précédentes - y compris la création et l'utilisation des technologies précédentes - et de leur impact sur l'environnement, et donc sur les conditions de ces actions. L'évolution des besoins résultant de ce processus contribue également à rendre les actions et les tâches plus complexes.

Nous disposons désormais d'un modèle qui nous permettra de déterminer quelles technologies sont les plus susceptibles de devenir clefs dans le futur, comme nous le verrons dans la partie suivante.


Bibliographie

Images en vedette : Vaisseau spatial et planète, et Safe by Reimund Bertrams de Pixabay  / Domaine public.


Chappellet-Lanier, Tajha, "La DARPA veut s'attaquer aux "deepfakes" grâce à la criminalistique sémantique“, FedscoopLe 7 août 2019.

Diamond, Jared Armes à feu, germes et acier : Le destin des sociétés humaines(W. W. Norton : 1997) ;

Goodfellow, Ian ; Pouget-Abadie, Jean ; Mirza, Mehdi ; Xu, Bing ; Warde-Farley, David ; Ozair, Sherjil ; Courville, Aaron ; Bengio, Yoshua, "Réseaux adversariaux génératifs“, Compte rendu de la Conférence internationale sur les systèmes de traitement de l'information neuronale (NIPS), 2014.

Harris, Laurie A., "Deep Fakes and National Security“, Congressional Research Service, mis à jour le 7 mai 2021, 3ème version

Hunter R. et al., "A Simple Framework to Translate IT Benefits into Business" (Un cadre simple pour traduire les avantages des technologies de l'information en activités commerciales).
Value Impact", Gartner Research, 16 mai 2008.

Lavoix, Hélène, Insérer l'intelligence artificielle dans la réalité, The Red Team Analysis Societyjanvier 2019.

McGarty, Craig, et al, "Social Categorization", in Encyclopédie internationale des sciences sociales et comportementales, décembre 2015, DOI : , 10.1016/B978-0-08-097086-8.24091-9

Maslow, Abraham, Motivation et personnalité, (Londres, Harper & Row, 1954, 1987) ;

Moore, B., Injustice: Social bases of Obedience and Revolt(Londres : Macmillan, 1978).

Munich-Re et ERGO IT Strategy, Tech Trend Radar 2020 et 2019.


La Chine antarctique (1) : Stratégies pour un endroit très froid

                                               

Vers le sud

Alors qu'il est soumis à la pression croissante du changement climatique, l'Antarctique attire l'attention stratégique de la Chine. Depuis 1983, la Chine est membre du traité international de 1959 sur l'Antarctique. Ce traité international définit l'Antarctique comme une réserve scientifique et interdit toute activité militaire sur le continent (Le traité sur l'Antarctique). Les seules activités extractives sont menées à des fins scientifiques. Plus de 13 pays sont représentés sur le continent par des bases scientifiques. Le traité sera renégocié en 2048. Cette échéance crée déjà de nouvelles tensions internationales.

Cependant, dans l'Antarctique, il semble que les activités de la Chine s'intensifient, tant sur le continent que sur l'océan (Craig Hooper, "La nouvelle stratégie polaire doit se concentrer sur la longue marche de la Chine vers l'Antarctique”, Forbes, 2021/01/10).

Cette activité croissante se déroule sur un continent entièrement recouvert de glace et d'un océan glaciaire que le changement climatique altère rapidement (Julie Brigham-Grette, Andrea Dutton, "L'Antarctique se dirige vers un point de basculement climatique d'ici 2060, avec une fonte catastrophique si les émissions ne sont pas réduites rapidement”, The Conversation, 17 mai 2021).

Entre-temps, les besoins chinois en minéraux et en produits biologiques ne cessent de croître. Par conséquent, il est maintenant temps de comprendre la conception stratégique de Pékin pour l'Antarctique. Pourrions-nous assister à quelque chose de similaire à la stratégie de la Chine dans la région arctique (Jean-Michel Valantin, (Jean-Michel Valantin, "Vers une guerre entre les États-Unis et la Chine ? (1) et (2) : Tensions militaires dans l'Arctique”, The Red Team Analysis SocietyLe 16 septembre 2019) ?

Identifier la présence croissante de la Chine dans l'Antarctique

Installation de la carte Go

En fait, de 1985 à aujourd'hui, la présence de la Chine en Antarctique a été assez faible. Par exemple, il n'existe que quatre petites bases chinoises qui, ensemble, ne peuvent accueillir que 180 travailleurs. En comparaison, il existe 22 bases antarctiques américaines qui accueillent 1400 travailleurs tout au long de l'année, et 450 travailleurs et chercheurs dans les 11 bases chiliennes (Craig Hooper, "Avec de nouveaux équipements et de nouvelles bases, la Chine commence à jouer la carte de la domination dans l'Arctique.”, Forbes, 2020/12/23).

Cependant, depuis 2014, les activités chinoises sur le continent et sur l'océan Antarctique ont connu une augmentation significative.

La Chine renforce sa présence, par la construction d'une cinquième base qui pourrait ouvrir en 2022. Elle construit également une piste permanente, qui établira une ligne directe entre la nouvelle base et la Chine continentale. Une extension de la base de Great Wall est en cours, tandis qu'une entreprise chinoise construit une piste d'atterrissage près de la station de Zongshan, toutes deux faisant partie des premières bases chinoises. Depuis 2010, les autorités chinoises installent des dispositifs de communication et de télémétrie par satellite dans leurs différentes exploitations en Antarctique (Craig Hooper, "With new Gear...", ibid).

Pendant ce temps, le brise-glace chinois Xuelong approvisionne la station Zongshan. Depuis 2013, le Xuelong (" Snow Dragon ") a également effectué de nombreuses tournées arctiques. En outre, depuis 2019, un autre brise-glace, le Xuelong 2, a commencé à naviguer à la fois dans l'Arctique et dans l'Antarctique ("MV Xue Long 2”, Wikipedia).

En 2020, Pékin a également exigé la souveraineté chinoise sur une zone de 20 000 kilomètres carrés autour de la région de Kunlun. Cela équivaut à la création d'une zone de souveraineté aérienne et spatiale. Cette zone créerait une discontinuité territoriale entre la base américaine Amundsen et la future base australienne Davis (Craig Hooper, "New polar Strategy...", ibid).

La pêche extrême

Dans la même dynamique, depuis 2015, la Jiangsu Shen Lan Distant Water Fishing Company construit deux navires modernes de pêche au krill géant. Le premier, le Shen Lan, a été mis à l'eau en mai 2020. Ce navire, et son jumeau à venir, ainsi que les quatre autres navires de pêche au krill chinois déjà existants transforment la Chine en une puissance de récolte massive de krill (Mark Godfrey, "Un nouveau navire prestigieux à la tête de l'incursion chinoise dans la pêche au krill de l'Antarctique”, SeaFoodSource, 19 juin 2020).

Le krill est un crustacé microscopique qui vit en très grands bancs. Un mètre cube d'eau de mer peut contenir jusqu'à 20.000 individus. Le krill est la base même de toute la vie halieutique, mammifère et aviaire de l'Antarctique. En vertu du traité sur l'Antarctique, il n'est possible de récolter qu'un total de 620 000 tonnes métriques de krill par an (Godfrey, ibid).

La demande chinoise de viande et d'huile de krill augmente rapidement, en raison de ses qualités sanitaires. Et en plus des Shen Lan 1 et 2, deux ou trois autres navires chinois de pêche au krill sont actuellement construits ou dessinés. Cela signifie que la limite du total admissible des captures pour la Chine sera soumise à une pression croissante. Et cette pression pourrait bien s'accentuer à l'approche de 2048, date limite de l'actuel traité sur l'Antarctique.

Satellites pour l'Antarctique

Au sol, la Chine installe son système Beidou en Antarctique. Beidou, le GPS chinois, est un système spatial à double technologie, c'est-à-dire civil et militaire, pour la navigation aérienne, spatiale et maritime. Il est donc également capable de surveiller et de soutenir les systèmes d'armes aériens et spatiaux. En 2010, Pékin a installé un système Beidou dans les stations de la Grande Muraille et de Zongshan et, en 2013, dans la station éloignée du Dôme A de Kunlun (Peter Wood, Alex Stone, Taylor E. Lee, "Le segment spatial terrestre de la Chine, la construction des piliers d'une grande puissance spatiale”, Rapport de Blue Path Labs pour l'Institut d'études aérospatiales de Chine, Université américaine de l'air.1er mars 2021).

Beidou fera également partie intégrante de l'équipement de la cinquième station chinoise de 2022. (Anne-Mary Brady, "La Chine et la Russie poussent le rival du GPS en Antarctique”, L'Australie, 6 septembre 2018).

L'observation aérienne australienne dispose également de systèmes d'antennes à la station de Taishan (Jackson Gothe-Snape "La Chine incontrôlée en Antarctique”, ABC News, 12 avril 2019). Selon Eric Chol, ces antennes pourraient être des dispositifs infrarouges utilisés pour suivre le lancement des satellites (Eric Chol, Il est Midi à Pékin, 2019).

Le haut du panier : stratégie, stratégies

Brise-glace

Il est intéressant de noter que les différentes manières dont la Chine s'installe en Antarctique rappellent étroitement ses stratégies en matière d'Arctique, d'accès aux fruits de mer et d'espace.

En effet, comme en Arctique, la marine chinoise apprend à utiliser ses navires brise-glace Xuelong et Xuelong 2 dans l'océan Antarctique. Les difficultés de navigation rencontrées par le Xuelong en 2014 ne sont que des étapes dans l'apprentissage de son équipage. Cette expérience de la navigation sera importante pour assurer une liaison régulière, voire permanente, entre les stations et la Chine continentale ("Sauvetage en Antarctique : Le brise-glace chinois Xue Long "coincé dans la glace".””, BBC News, 4 janvier 2014).

Convergence avec l'initiative "Belt & Road

L'installation des systèmes Beidou s'inscrit dans le cadre des stratégies de l'Arctique, de l'espace et de la Ceinture et la Route (Toru Tsunashima, "Le Beidou chinois éclipse le GPS américain”, Nikkei AsiaLe 25 novembre 2020). En effet, les stations des systèmes Beidou sont systématiquement installées dans les pays membres de la Ceinture et la Route. C'est également le cas en Suède et en Norvège, même s'ils ne sont pas officiellement membres de l'initiative Belt& Road (B&R) (Wood, Stone et Taylor, ibid).

Or, ces deux pays se trouvent à l'extrémité européenne de la route russe de la mer du Nord, qui s'étend du détroit de Béring à l'Atlantique depuis les côtes de la mer de Barents et de la Norvège. L'installation de systèmes Beidou est donc très utile pour le nombre croissant de navires chinois qui empruntent la route de la mer du Nord / "route de la soie polaire".

Les effets du réchauffement climatique sur l'océan Arctique sont la condition de base pour l'ouverture de cette route. De plus, comme les cargos chinois utilisent de plus en plus fréquemment cette route, Pékin en fait la "route de la soie polaire", c'est-à-dire le segment arctique de la B&R (Jean-Michel Valantin, "L'Ouest est-il en train de perdre le réchauffement de l'Arctique ?”, The Red Team Analysis Society, 7 décembre 2020).

La sécurité alimentaire à partir du froid

Il faut également noter que les moteurs de l'intérêt de Pékin pour l'Antarctique semblent être les mêmes que pour les autres zones, à savoir l'accès aux ressources, le renforcement de la sécurité alimentaire et l'accroissement de l'influence géographique. Par exemple, la stratégie de sécurité alimentaire de la Chine se révèle par ses capacités et sa dimension de (sur)pêche (Jean-Michel Valantin, "La flotte de pêche chinoise, influence et les guerres de la faim”, The Red Team Analysis SocietyLe 20 avril 2021.) Le nouveau navire de pêche au krill et son jumeau à venir font partie de la gigantesque flotte chinoise de navires de pêche en eaux lointaines.

L'objectif de cette flotte est de positionner ses "escouades" de navires en position dominante. Ce faisant, ils peuvent exploiter les ressources biologiques des océans. Et ils le font de la mer de Chine méridionale au golfe de Guinée et à la zone économique exclusive de la Bolivie (Valantin, ibid).

Il apparaît que Pékin est également de plus en plus actif, aux côtés de la Russie, pour contester et bloquer les avenants au traité sur l'Antarctique. Par exemple, au cours des cinq dernières années, les deux pays ont systématiquement refusé de valider la création de trois zones de protection marine. Ainsi, de factoles zones concernées restent potentiellement ouvertes à l'exploitation de la pêche (Alvaro Etchegaray, "Le nuage grandissant de la Chine en Antarctique”, SupChina, 3 novembre 2020).

Ainsi, dans l'Antarctique, le navire Shen Lan commence ses activités tandis que les entreprises chinoises déclarent leur intention de pêcher deux à trois millions de tonnes de krill par an. Soit un total bien plus important que celui autorisé par le traité sur l'Antarctique (Mark Godfrey, ibid).

Ainsi, les modalités de la présence croissante de la Chine en Antarctique pourraient donc être une extension et une transposition des différents autres segments de la grande stratégie de l'"Empire du Milieu".

Projection du "besoin chinois en Antarctique".

Ainsi, Pékin accroît sa présence terrestre et océanique en Antarctique. Dans la même dynamique, elle met sous pression les normes qui définissent le statut international du continent du pôle sud (Alexander B. Gray, "Le prochain objectif géopolitique de la Chine : dominer l'Antarctique”, L'intérêt national20 mars 2021). Et ce, pour les mêmes raisons qu'ailleurs. Le gouvernement et les entreprises chinoises doivent trouver des ressources pour satisfaire les immenses besoins qui alimentent la croissance de la Chine.

La construction de bases, le développement d'infrastructures terrestres et spatiales ultramodernes et l'augmentation des capacités maritimes nécessitent une incitation d'une ampleur unique. Cette incitation est le "pouvoir du besoin" chinois. Nous entendons par là l'énorme besoin qui motive le développement économique et matériel de l'"Empire du Milieu", fort de 1,4 milliard d'habitants.

Dans les années 1980, une classe moyenne chinoise émergente de 300 millions de personnes a commencé à découvrir le consumérisme. Pendant ce temps, des centaines de millions d'autres Chinois ont échappé aux griffes de la pauvreté et de la faim (Jean-Michel Valantin, "La Chine et la nouvelle route de la soie, des puits de pétrole à la lune... et au-delà”, The Red Team Analysis Society6 juillet 2015).

Ainsi, le "pouvoir du besoin" chinois est le besoin immense et permanent de différents types de ressources et de produits. Ceux-ci sont nécessaires pour répondre aux besoins fondamentaux et en développement d'un pays géant qui traverse un triple cycle de croissance économique, de consommation et d'urbanisation très rapide (Loretta Napoleoni, Maonomics, 2011).

Prendre de la hauteur sur une planète qui se réchauffe

Déstabilisation

Comme dans l'Arctique, ce renforcement de la présence chinoise dans l'Antarctique s'inscrit dans le contexte de la compétition mondiale pour les ressources minérales, énergétiques et biologiques sur une planète qui se réchauffe. En effet, l'Arctique et l'Antarctique, qui se réchauffent, sont des environnements extrêmes, qui subissent des modifications profondes et rapides en raison du changement climatique.

Contrairement à l'Arctique, l'Antarctique se réchauffe à cause de l'océan, et non à cause du réchauffement de l'atmosphère. Ce processus déstabilise les énormes glaciers continentaux. Les fluctuations thermiques pourraient avoir des conséquences désastreuses sur le niveau global des océans au cours des prochaines décennies (Alexandra Witze, "L'Antarctique oriental perd de la glace plus vite qu'on ne le pensait”, Nature,, 10 décembre 2018, Sarah Sloat, "Une énorme cavité dans un glacier de l'Antarctique abrite une menace dangereuse », Inverse quotidien, le 1er février 2019 et Chelsea Gohd, " Plus d'un tiers de la plate-forme de glace de l'Antarctique pourrait s'effondrer en raison du réchauffement de la planète dû au changement climatique », Espace.com, 11 avril 2021).

Ces modifications commencent déjà à ouvrir des pans de terrain à l'"exploration géologique". Il est intéressant de noter qu'un phénomène similaire se produit au Groenland. Et que des entreprises chinoises tentent également d'exploiter les nouvelles terres libres de glace du Groenland (Jean-Michel Valantin "La Chine Arctique: vers de nouvelles guerres du pétrole dans un Arctique en réchauffement?“, The Red Team Analysis Society, 14 septembre 2021 et Mark O'Neill, "Le vote de la Chine nuit aux projets de la Chine en matière de terres rares”, Ejinsight, 15 avril 2021) .

La course commence

En d'autres termes, le développement de la Chine dans l'Antarctique projette la gigantesque "puissance de besoin" chinoise dans tout le continent de glace et son océan.

Ainsi, la Chine installe des infrastructures qui vont permettre d'"importer" de plus en plus de capacités en Antarctique. Pendant ce temps, le besoin en ressources va devenir toujours plus important. Et d'un point de vue stratégique, l'Antarctique pourrait bien être un gigantesque gisement de ressources.

Nous devons maintenant explorer les conséquences géopolitiques gigantesques de la stratégie chinoise en Antarctique, à l'échelle indo-pacifique et mondiale.


Image en vedette : Antarctique par Sarah N à partir de Pixabay


De la malédiction de Cassandre au succès de la Pythie

(Conception artistique : Jean-Dominique Lavoix-Carli)

Lorsque nous diffusons des alertes précoces, sommes-nous condamnés à ne jamais être crus, à partager le même sort que Cassandre, le personnage tragique de la mythologie grecque ? Ou, au contraire, pouvons-nous espérer connaître le même succès que la Pythie, prêtresse de l'oracle d'Apollon à Delphes ?

Cassandre, son don de prophétie devenant une malédiction, doit vivre trois fois chaque tragédie : une fois lorsqu'elle la prévoit, une fois lorsqu'elle échoue à convaincre ceux qui pourraient empêcher le désastre à venir et enfin une fois lorsqu'elle-même subit les événements funestes qu'elle prévoit. Elle endure la chute de Troie, est enlevée et violée, emmenée en captivité puis assassinée (The Editors, "Cassandra“. Encyclopedia Britannica, 14 février 2019 ; Seth L. Schein, "The Cassandra Scene in Aeschylus’ ‘Agamemnon’“, Greece & Romevol. 29, n° 1, avril 1982, p. 11-16).

En revanche, la Pythie, la célèbre prêtresse de l'oracle d'Apollon à Delphes, était une institution qui connut un tel succès qu'elle dura d'environ 800 avant J.-C. à 390/91 après J.-C. (Julia Kindt, "Les femmes cachées de l'histoire : la prêtresse Pythie de l'oracle de Delphes, qui disait la vérité au pouvoir“, The Conversation, 22 janvier 2019). Ses prédictions étaient recherchées tant par les rois et que par les gens du peuple, sur des questions tant publiques que privées (Ibid.). Elles étaient crues, se transformaient donc en conseils et étaient richement récompensées (Ibid.).

Dès lors, comment pouvons-nous imiter le destin de la Pythie plutôt que celui de Cassandre ? Nous devons découvrir ce qui peut faire de la prospective stratégique et de l'alerte précoce une activité réussie et non une malédiction, et appliquer nos conclusions à notre travail.

Pour nous aider dans cette démarche, nous nous appuierons notamment sur les recherches de Christopher Meyer sur l'alerte précoce et la prévention des conflits ("Beyond the Cassandra Syndrome: Understanding the failure and success of warnings", King’s College Lecture, 26 février 2014). En effet, Meyer, après avoir mis en évidence les problèmes liés aux alertes et à la prévention, identifie trois éléments clés qui font le succès d'une alerte, du point de vue de la prévention (Ibid.). Il suggère en outre des moyens de combler le " fossé entre l'alerte et la réponse ".

Afin que la prospective et l'alerte précoce stratégiques soient des succès, nous soulignerons tout d'abord qu'une prospective et une alerte stratégiques adéquates doivent, intrinsèquement, être actionnables. Elle doivent également trouver le juste milieu entre utilité pour les décideurs et ingérence. Nous mettrons particulièrement l'accent sur le défi que constitue l'évaluation d'impact et suggérerons qu'un arbre de scénarios approprié est un outil clé pour offrir des alternatives politiques aux décideurs, avec l'implication des décideurs politiques comme parties prenantes au processus d'anticipation. Nous nous pencherons ensuite sur les défis liés à la réception des alertes précoces par les décideurs, tels qu'identifiés par Meyer, et sur les moyens de les surmonter. Enfin, en comparant soigneusement Cassandre et la Pythie, nous dégagerons des clés importantes expliquant pourquoi l'alerte récoce peut être soit une malédiction, soit une activité fructueuse.

Une véritable alerte précoce est actionnable

Non, tout n'est pas une alerte précoce

Bien entendu, pour être en mesure de lancer une alerte précoce efficace, nous devons d'abord nous assurer que nous communiquons bien une véritable alerte, et non une opinion, une idée, n'importe quelle pièce écrite ou une information quelconque.

Comme nous le rappelle Grabo*, en effet :

Une alerte précoce concerne une situation, un objectif, une opportunité, un danger, une menace ou un risque, qui sont spécifiques et définis (la problématique). 
L'alerte précoce porte sur l'avenir. Elle tente d'anticiper et de prédire des dynamiques et des événements qui n'existent pas encore. 
Une analyse expliquant uniquement le passé ou le présent n'est PAS une alerte précoce.
Une alerte précoce n'est pas constituée uniquement de faits, de données et d'informations, mais résulte d'une analyse et d'une synthèse.

Cynthia M. Grabo, Cynthia M., et Jan Goldman. Anticipating Surprise: Analysis for Strategic Warning. Washington, D.C. : Center for Strategic Intelligence Research, Joint Military Intelligence College, 2002, pp. 4-16.

De même, les recherches de Meyer mettent en évidence que tout rapport, tout article, toute information ou même simplement toute opinion, réinterprétée avec le recul, ne constitue PAS une alerte précoce (Ibid). En fait, c'est parce que ces alertes précoces n'existaient pas que nous sommes confrontés à la surprise, ce que nous cherchons à éviter. Même les déclarations génériques faites avant les événements, mais non étayées par une analyse appropriée, ne peuvent être qualifiées d'alertes précoces. Au mieux, elles pourraient être considérées comme des "proto-alertes", mais il faudrait ensuite les étayer et les transformer en une véritable prospective et alerte précoce.

Des alertes précoces appropriés doivent être exploitable ("actionable" en anglais). Cela signifie qu'elles doivent être suffisamment précises pour permettre une action appropriée. Elles doivent être suffisamment détaillées et inclure une évaluation de la probabilité, ainsi qu'une évaluation d'impact.

Si nous utilisons un exemple concret, le début d'une alerte précoce correcte pourrait ressembler à ceci :

Tant que les restrictions de voyage restent en place en raison de la situation du COVID-19, il est très probable que la production et la vente de faux certificats de tests prévaudront. Compte tenu de la généralisation des moyens technologiques disponibles, sous la forme d'imprimantes de haute qualité et de différents logiciels, les fraudeurs sont en mesure de produire des documents contrefaits, falsifiés ou faux de grande qualité.

La "notification d'alerte précoce" d'Europol : La vente illicite de certificats de tests COVID-19 faussement négatifs", février 2021. Je souligne : en gras l'évaluation de la probabilité.

Cette alerte, pour être réellement actionnable et complète, devrait inclure une évaluation d'impact, réalisée en fonction des décideurs recevant l'alerte.

Le problème de l'analyse d'impact

L'évaluation d'un impact peut apparaître à première vue comme quelque chose de relativement facile à faire. Cependant, cette évaluation apparemment simple recèle des pièges cachés.

Si nous y réfléchissons, que devons-nous faire pour évaluer les impacts ? En fait, nous devons fondamentalement juger et évaluer les politiques et les décisions passées et actuelles, ainsi que les politiques futures, qui ont déjà été décidées. C'est ce que Meyer met en évidence lorsqu'il souligne que, dans une évaluation d'impact, il y a un jugement implicite sur les politiques actuelles et sur ce qui devrait être fait (Ibid.). Nous jugeons donc ce que les responsables politiques et les décideurs font, ont fait et semblent être prêts à faire. Cela peut facilement conduire à des tensions avec nos décideurs, car ils peuvent ne pas être prêts pour ce qu'ils peuvent percevoir comme un exercice de critiques négatives.

Ce jugement implicite potentiellement dangereux peut contribuer à expliquer l'absence d'évaluation d'impact dans l'alerte d'Europol. La qualité publique de ces alertes et le caractère multinational de l'agence ne font probablement que renforcer la difficulté de l'évaluation d'impact. Nous pouvons imaginer que les versions classifiées des alertes d'Europol comprennent de telles évaluations d'impact, si les pays membres ont donné les bons signaux pour s'assurer qu'ils les souhaitent.

Qui plus est, les évaluations d'impact "simples", qui se concentrent sur les politiques et les décisions passées et présentes, suscitent également des critiques de la part des décideurs. Ils pourraient se plaindre qu'il est facile de mettre en évidence des problèmes futurs alors qu'aucune autre solution n'est proposée ou suggérée. En effet, Meyer souligne que, souvent, les alertes précoces ne se préoccupent pas de la faisabilité ou de l'existence d'autres pistes d'action, et que c'est un défaut du point de vue de la prévention (Ibid.).

Alternatives politiques, arbre de scénarios et décideurs comme parties prenantes

Arbre de scénarios et décisions clés

Si nous voulons envisager des politiques alternatives, une solution - voire la meilleure solution - est de développer correctement un arbre de scénarios complet et de l'utiliser pour nos alertes précoces. En effet, un arbre de scénarios prend en compte les incertitudes critiques. Cela implique que, la plupart du temps, nous évaluons également une série d'actions possibles avec des points de décision clés. Ainsi, nous examinons d'autres actions possibles, ce qui devrait aider les responsables politiques et les décideurs dans leur tâche. Grâce à un arbre de scénarios approprié, notre prospective et notre alerte stratégiques deviennent vraiment pleinement actionnables pour la prévention.

Toutefois, nous pénétrons alors plus avant dans le domaine de l'élaboration des politiques. Cela pourrait être considéré comme une contradiction, par exemple, avec la position de la communauté du renseignement selon laquelle le domaine de l'action (policy) devrait être complètement séparé de toute analyse de renseignement, y compris les analyses de prospective et d'alertes précoces (par exemple, Fingar 2009, Meyer 2014). Au contraire, les praticiens du domaine de la prévention des conflits et de la gestion des risques ne sont pas aussi catégoriques sur cette séparation (Meyer 2014, ; ISO 31000:2018 ; pour un résumé sur la gestion des risques, Hélène Lavoix, "Quand la gestion des risques ...“, The Red Team Analysis Society, 2019). Ils considèrent même ces deux dimensions comme liées et, pour eux, les options ou alternatives politiques doivent être rattachées aux alertes précoces.

Fondamentalement, tant que la décision concernant les choix politiques reste entre les mains des décideurs, il ne devrait pas y avoir de problème pouvant survenir du fait d'une confusion des responsabilités.

Inclure les décideurs en tant que parties prenantes dans le processus de prospective stratégique et d'alerte précoce.

Qui plus est, dans les dernières étapes de son élaboration, l'arbre de scénario lié à nos alertes pourrait également être réalisé avec des membres de la communauté des décideurs. En faisant de ces derniers des parties prenantes dans l'élaboration des produits finaux de prospective stratégique et d'alerte précoce, nous pourrions créer des conditions favorables à l'acceptation des alertes.

Créer de telles alertes précoces, étayées, précises mais néanmoins globales, comprenant une évaluation de la probabilité et une évaluation d'impact, de préférence sous la forme d'un arbre de scénarios mettant en évidence les principales décisions et impacts possibles, est un exercice éminemment difficile. Cela demande également beaucoup de travail. Ce travail est toutefois réalisable et constitue une condition nécessaire, mais non suffisante, au succès des alertes précoces. En tant que tel, il doit être considéré comme un investissement.

Ainsi, l'une des clés du succès consiste à tenir compte, dès le début du processus, des décideurs et du véritable objet de la prospective et de l'alerte stratégiques, c'est-à-dire les décisions et les actions. Cette approche facilitera les dernières étapes du processus, à savoir la diffusion et la communication des alertes précoces. Cependant, nous devons encore faire face à de nombreux obstacles.

Réception d'alertes précoces

Sur-alerter ou " fatigue quant aux alertes "

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Notes et Bibliographie

Image en vedette - Direction artistique : Jean-Dominique Lavoix-Carli - Photos de Zack Jarosz à partir de Pexels et de PxHere

Notes

* Pour une mise en contexte de l'œuvre séminale de Grabo, voir Hélène Lavoix, Communication de la prospective stratégique et de l'alerte précoce, The Red Team Analysis Society, 2021.

**L'effet Dunning-Kruger : Selon ce biais, "les compétences qui engendrent la compétence dans un domaine particulier sont souvent les mêmes que celles qui sont nécessaires pour évaluer la compétence dans ce domaine" (Kruger et Dunning, "...").Unskilled and Unaware of It…”, 1999). En d'autres termes, moins on en sait sur quelque chose, plus on pense être bon dans ce domaine.


Bibliographie

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Betts, Richard K., Attaque surprise : Leçons pour la planification de la défense, Brookings Institution Press, 1er décembre 2010.

Betts, Richard K., "Surprise malgré l'avertissement : Pourquoi les attaques soudaines réussissent“, Political Science Quarterly, Vol. 95, n° 4 (Hiver, 1980-1981), pp. 551-572

Cancian, Mark, Éviter le site Faire face à la surprise dans les conflits entre grandes puissances, un rapport du programme de sécurité internationale du CSIS, février 2018).

Davis, Jack, "Improving CIA Analytic Performance: Strategic Warning,” The Sherman Kent Center for Intelligence Analysis Occasional Papers: Volume 1, numéro 1, consulté le 12 septembre 2011.

Doyle, Andrea, "Cassandra – Feminine Corrective in Aeschylus’ Agamemnon” Acta Classica, vol. 51, 2008, pp. 57-75.

Fingar, Thomas, ""Myths, Fears, and Expectations", Payne Distinguished Lecture Series 2009 Reducing Uncertainty : Intelligence and National Security, Lecture 1, FSI Stanford, CISAC Lecture Series, 11 mars 2009.

Fingar, Thomas, "Anticipating Opportunities : Using Intelligence to Shape the Future," Payne Distinguished Lecture Series 2009 Reducing Uncertainty : Intelligence and National Security, Lecture 3, FSI Stanford, CISAC Lecture Series, 21 octobre 2009. 

Grabo, Cynthia M., et Jan Goldman. Anticipating Surprise: Analysis for Strategic Warning. [Washington, D.C. ?]: Center for Strategic Intelligence Research, Joint Military Intelligence College, 2002.

ISO 31000:2018 Lignes directrices (révisées par rapport à la version 2009), IEC 31010:2009les techniques d'évaluation des risques, et Guide ISO 73:2009 Vocabulaire.

Kindt, Julia, "Les femmes cachées de l'histoire : la prêtresse Pythie de l'oracle de Delphes, qui disait la vérité au pouvoir“, The Conversation, 22 janvier 2019

Kruger, Justin, et David Dunning, "Unskilled and Unaware of It : How Difficulties in Recognizing One's Own Incompetence Lead to Inflated Self-Assessments (en anglais seulement)“, Journal de la personnalité et de la psychologie sociale, vol 77, no 6, p 1121-1134, American Psychological Association (1999).

Lavoix, Hélène, Pourquoi le messager se fait-il tuer et comment éviter ce sort, The Red Team Analysis SocietyAvril 2021

Lavoix, Hélène, "Communication de la prospective stratégique et de l'alerte précoce“, The Red Team Analysis Society, 3 mars 2021.

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Lavoix, Hélène, "Revisiter l'idée de "temps utile" en prospective, alerte précoce et gestion des risques“, The Red Team Analysis Society, 2018

Lavoix, Hélène, "Ensuring a Closer Fit: Insights on making foresight relevant to policymaking”, Development (2014) 56(4) ;

Lavoix, Hélène, "What makes foresight actionable : the cases of Singapore and Finland", rapport confidentiel commandé par le gouvernement américain, novembre 2010.

Meyer, Christoph O., Beyond the Cassandra Syndrome: Understanding the failure and success of warningsConférence du King's College - 26 février 2014

Schein, Seth L. Schein, "The Cassandra Scene in Aeschylus’ ‘Agamemnon’“, Greece & RomeVol. 29, n° 1, avril 1982, p. 11-16.

Schelling, Thomas, préface à Roberta Wohlstetter, Pearl Harbor : Alerte et décisions (Stanford, CA : Stanford University Press, 1962).


Produits et documents de prospective, d'alerte et de renseignement stratégiques

Vous trouverez ci-dessous des documents et produits publics relatifs à la prospective stratégique, à l'alerte, à l'analyse des risques et au renseignement, publiés par des pays, des organisations internationales et des acteurs privés. Les documents intéressants sont ajoutés au fur et à mesure.

Dernièrement, nous avons ajouté la vidéo qui vient d'être publiée (28 avril 2021) par le Bureau du directeur du renseignement national des États-Unis pour faire la publicité de leur récente publication (8 avril) Global Trends 2040.

Continuer la lecture « Strategic Foresight, Warning and Intelligence Products and Documents »

La flotte de pêche chinoise, influence et les guerres de la faim

(Conception artistique : Jean-Dominique Lavoix-Carli)

La flotte de pêche chinoise est une organisation gigantesque. Elle est composée d'un nombre effarant de navires, "quelque part" entre 2 600 et 17 000 navires de pêche lointaine (M. Guttierez, A. Daniels, G. Jobbins, G. Guttierez Almazor, C. Montengro, La flotte maritime lointaine de la Chine, échelle, impact et gouvernance, ODI, 2020).

Ces myriades de navires opèrent dans les eaux asiatiques, africaines et sud-américaines. Ces multiples opérations déclenchent un nombre croissant d'incidents violents en mer. Ils se produisent lors de rencontres agressives avec d'autres flottes ou avec les gardes-côtes qui tentent de protéger leurs pêcheries nationales (Ian Urbina, "Comment l'expansion de la flotte de pêche chinoise appauvrit les océans du monde entier”, Yale 360le 17 août 2020).

De nombreux analystes et commentateurs se concentrent sur la double dimension, c'est-à-dire civile et militaire, de la flotte de pêche chinoise. Ils observent comment les opérations de pêche sont également mêlées à la "milice de pêche". Cette dernière est l'un des bras de la marine chinoise (D. Grossman et L. Ma, "Une brève histoire de la milice de pêche chinoise et ce qu'elle peut nous apprendre”, Rand Corporation, 6 avril 2020).

Elle transforme la flotte de pêche chinoise, par sa taille et son interconnexion avec l'armée, en un formidable outil d'influence maritime et géopolitique. En l'occurrence, les opérations de pêche chinoises imposent souvent lourdement leur présence dans les zones économiques exclusives. Ces actions maritimes ont pour effet de "marquer" des étendues marines comme étant sous l'influence de la Chine. C'est particulièrement vrai dans la mer de Chine méridionale (Grossman et Ma, ibid).

La taille gigantesque de cette flotte de pêche éclipse celle des flottes américaine, européenne et japonaise (S. Yozell, A Shaver, Faire la lumière : le besoin de transparence dans la pêche en eaux lointaines, The Stimson Centre, 2019). De factoLa flotte chinoise a un caractère unique en raison de sa taille. En comparaison, la flotte de pêche américaine ne compte que 300 navires de pêche lointaine. D'un point de vue géopolitique, cela signifie que la flotte de pêche lointaine chinoise opère à l'échelle mondiale.

Cela soulève une question majeure : à une époque d'épuisement et d'acidification des océans, quelle est la signification stratégique d'une telle capacité de projection de la force de pêche nationale (Ugo Bardi, La mer vide : l'avenir de l'économie bleue, 2021) ? En d'autres termes, la flotte de pêche chinoise est-elle "simplement" un outil d'influence et de développement économique, ou est-elle un signal des "guerres de la faim" à venir ?

Projeter la puissance du besoin

L'ampleur de la flotte chinoise de pêche lointaine est totalement disproportionnée par rapport aux autres flottes de pêche. En 1983, la Chine ne comptait que 13 navires de pêche lointaine. En 2016, la flotte chinoise représente près de 40% du total des activités des 10 premières flottes de pêche lointaine. Elle capture 15,2 millions de tonnes de poissons par an (Gutierrez et al., ibid).

Cela équivaut à peu près à 20% des captures mondiales, alors que la Chine consomme 38% de la production mondiale de poisson (ce qui inclut les produits de l'aquaculture ainsi que les achats étrangers). Cette flotte comprend également des types de navires très différents, des palangriers aux chalutiers, en passant par les jiggers à calmar, et bien d'autres encore (Yozell et Shaver, ibid).

L'Empereur Pêcheur

Top 10 des flottes de pêche en eaux lointaines Proportion de l'effort de pêche
Chine37,99 %
Taïwan21,49 %
Japon10,06 %
Corée du Sud9,96 %
Espagne9,77 %
USA3,33 %
Vanuatu2,59 %
France1,90 %
Russie1,50 %
Autres1,42 %
Source : Flotte de pêche en eaux lointaines de Stimson - (sur la base des données AIS de Global Fisheries Watch, 2016-2017).

Les fruits de mer jouent un rôle fondamental dans la sécurité alimentaire chinoise, compte tenu de la tradition culinaire et de l'économie du pays. Dans les années 1980, les citoyens chinois ont commencé à devenir plus riches. Ils peuvent donc se permettre une plus grande diversité culinaire. L'une des conséquences est que les Chinois consomment plus de 35 kg de poisson par an. Par comparaison, la consommation mondiale moyenne est de 18 kg ("La consommation de poisson et de produits à base de poisson dans la région Asie-Pacifique sur la base d'enquêtes auprès des ménages”, FAO, décembre 2015).

La mer de Chine méridionale joue un rôle majeur en ce qui concerne la sécurité alimentaire de la Chine. Une part importante de la production halieutique chinoise est capturée dans la mer de Chine méridionale. Ses ressources naturelles comprennent également ses pêcheries, avec des conséquences en termes de sécurité alimentaire.

La mer de Chine méridionale est l'un des systèmes écologiques maritimes les plus riches de la planète. On y trouve plus de 3 365 espèces de poissons différentes, des zones de récifs très importantes, ainsi que des palourdes géantes (Rachaele Bale, "L'une des plus grandes pêcheries du monde est sur le point de s'effondrer”, National Geographicle 29 août 2016).

La militarisation de la pêche

Ces ressources biologiques attirent les flottes de pêche de plus de sept nations, dont le Vietnam et les Philippines. À cet égard, la Chine développe notamment un système d'opérabilité conjointe entre sa flotte de garde-côtes et sa flotte de pêche forte de 50 000 hommes, qui mêle des navires de toutes tailles, de tous types et de toutes portées. En revanche, la flotte de haute mer est composée de bateaux capables de naviguer sur des distances internationales.

Cette armada mixte est surnommée la "milice de la pêche" (Megha Rajagopalan, "...").La Chine forme une "milice de pêche" pour naviguer dans les eaux contestées“, Reuters, 30 avril 2016). Il est assez difficile de connaître son nombre exact car de nombreux capitaines éteignent leurs transpondeurs, transformant leurs navires en "navires furtifs" (Christopher Pala, "La flotte de monstres de la Chine”, Politique étrangère, 30 novembre 2020 et Ian Urbina, "Le secret mortel de l'Armada invisible de la Chine”, Nouvelles de la NBC, 22 juillet 2020).

L'épuisement des stocks de poissons près des côtes chinoises pousse la flotte de pêche à s'éloigner de plus en plus dans la mer de Chine méridionale. Cela déclenche souvent des incidents entre les navires de différents pays, en raison des pratiques agressives des navires chinois (Brad Lendon, "Selon les experts, Pékin possède une marine dont il n'admet même pas l'existence. Et elle envahit certaines parties de la mer de Chine méridionale.", CNN, 13 avril 2021).

Parallèlement, le gouvernement chinois soutient fortement la modernisation de la flotte. Cela se fait par le biais de subventions importantes et du remplacement des vieux navires par des nouveaux, avec une coque en acier. Entre-temps, les propriétaires peuvent équiper leurs navires de systèmes Baidu, le système de positionnement global chinois, qui les met en contact direct avec la flotte des garde-côtes (John Ruwitch, "Satellites et fruits de mer : La Chine maintient sa flotte de pêche connectée dans les eaux contestées”, Reuters27 juillet 2014). Les pêcheurs reçoivent également une formation de base de la marine militaire, notamment sur les manœuvres (Ibid).

La puissance maritime sur l'océan de l'Anthropocène

D'où l'ampleur de ce léviathan de flotte, largement supérieur à tout autre concurrent. Cette échelle révèle sa fonction singulière. En l'occurrence, c'est un de facto L'extension de l'énorme besoin qui anime le développement économique et matériel de l'"Empire du Milieu" fort de 1,4 milliard d'habitants. Dans les années 1980, une classe moyenne chinoise émergente de 300 millions de personnes a commencé à découvrir le consumérisme, tandis que des centaines de millions de Chinois échappaient aux griffes de la pauvreté et de la faim.

Le besoin comme pouvoir

En d'autres termes, la flotte de pêche chinoise est un instrument de puissance maritime. Elle projette le gigantesque "pouvoir des besoins" chinois dans tout l'océan. La "puissance du besoin" chinois est le besoin immense et permanent de différents types de ressources et de produits. Ceux-ci sont nécessaires pour répondre aux besoins fondamentaux et en développement d'un pays géant qui traverse un triple cycle de croissance économique, de consommation et d'urbanisation très rapide (Loretta Napoleoni, Maonomics, 2011).

Cette projection déclenche de nombreuses frictions et incidents lorsque les navires chinois commencent à opérer dans les zones économiques exclusives nationales. Ces dernières années, ces incidents ont eu lieu non seulement dans les eaux philippines, nord-coréennes et vietnamiennes, mais aussi dans les eaux camerounaises, péruviennes et boliviennes (Grossman et Ma, ibid). Au Cameroun et en Bolivie, les garde-côtes ont arrêté les équipages entiers de navires chinois pour pêche illégale.

Au Mozambique, au Sénégal, au Nigeria, au Ghana, les navires chinois pratiquent dangereusement la surpêche et épuisent la mer ("La flotte de pêche chinoise pille les eaux africaines”, Portail de l'agriculture, 4 janvier 2019). Ce faisant, ils privent les communautés côtières de leurs sources de nourriture et de revenus (Jean-Michel Valantin, "La piraterie somalienne : un modèle pour la vie de demain dans l'Anthropocène ?”, The Red Team Analysis Society28 octobre 2013).

La flotte de pêche chinoise, une puissance mondiale

La carte de ces tensions et incidents révèle que la flotte de pêche lointaine chinoise est un acteur qui projette le pouvoir chinois d'extraction des produits de la mer au niveau mondial. Cependant, il existe un profond paradoxe à l'œuvre dans cette projection singulière de la puissance chinoise. En effet, elle vise à répondre à la croissance exponentielle de la demande chinoise en produits de la mer. Entre 1990 et 2010, la consommation chinoise de produits de la mer a augmenté à un rythme annuel de 6%. Par conséquent, la Chine est responsable de 34% à 38% de la consommation mondiale de poisson. Ce taux pourrait augmenter de 30% d'ici 2030 (Gutierez et al., ibid).

Cependant, ce fantastique effort de pêche se déroule sur un océan qui se réchauffe, se pollue et s'acidifie. En effet, l'augmentation rapide des niveaux de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, dont le CO2, à l'origine du changement climatique, acidifie également l'eau de mer. ("Indicateurs de changement climatique : Acidité des océans", Agence américaine de protection de l'environnement, 2021).

Zones mortes

Ce processus se combine avec les impacts chimiques et biologiques de la pollution terrestre industrielle et agricole. Cette combinaison met en danger les pêcheries qui sont des composantes essentielles des ressources alimentaires de façades maritimes entières. Ces changements ont des conséquences géopolitiques directes. En effet, ils ont un impact sur les équilibres géophysiques les plus fondamentaux dont dépendent les sociétés humaines et les relations internationales. (Lincoln Paine, La mer et la civilisation, une histoire maritime du monde, 2013)

Un exemple, parmi de multiples autres, est l'océan Indien (Jean-Michel Valantin, "Le réchauffement de l'océan comme menace planétaire”, The Red Team Analysis Society, 2 juillet 2018). Là, une crise mammouth pourrait bien se dérouler actuellement dans le pourtour de l'océan Indien occidental. Une étude montre qu'une perte alarmante de plus de 30% du phytoplancton dans l'océan Indien occidental a eu lieu au cours des 16 dernières années. (Koll Roxy et al., "Une réduction de la productivité primaire marine due au réchauffement rapide de l'océan Indien tropical”, Publications de l'AGU19 janvier 2016).

Cette perte est très certainement due au réchauffement accéléré des eaux de surface, où vit le phytoplancton. Ce réchauffement bloque le mélange des eaux de surface avec les eaux de subsurface plus profondes et plus froides, d'où proviennent les nutriments du plancton - nitrates, phosphates et silicates - qui restent bloqués (K. S. Rajgopal, "Le phytoplancton de l'océan Indien occidental touché par le réchauffement”, L'hindouisme29 décembre 2015).

L'océan et l'ombre du futur

Le problème est que le plancton est la base de toute la chaîne alimentaire océanique (Callum Roberts, L'océan de la vie, le destin de l'homme et de la mer, 2012). Par exemple, en 2012, des recherches ont dévoilé un déclin massif des bancs de poissons près des côtes kenyanes et somaliennes. Ces déclins n'étaient pas uniquement le résultat de la surpêche. Ils étaient aussi les conséquences de la combinaison de la surpêche avec la perte de plancton. (David Michel et Russel Sticklor, "Beaucoup de poissons dans la mer ? La sécurité alimentaire dans l'Océan Indien”, Le diplomate24 août 2012).

Il est très probable que cette tendance se poursuive dans un avenir prévisible. La cause de cette tendance est le réchauffement de l'océan dû au changement climatique (P. Beaumont et G. Readfearn, "Le chauffage global surcharge le système climatique de l'océan Indien”, The Guardian, 19 novembre 2019). Ainsi, cette évolution va modifier l'ensemble de l'océan Indien. Il y a un risque croissant que cet océan biologiquement riche se transforme en un " désert écologique " (Amantha Perera, "Le réchauffement de l'océan Indien pourrait être un "désert écologique", mettent en garde les scientifiques”, Reuters19 janvier 2016).

Si nous transposons ailleurs ce qui se passe dans l'océan Indien et y appliquons les opérations de la flotte chinoise, nous constatons que la flotte de pêche géante chinoise surexploite les ressources d'un océan en mutation et qui s'épuise rapidement. Ce faisant, la flotte chinoise entre également en concurrence avec d'autres pays pour l'accès aux ressources alimentaires.

Cela change la perspective de la flotte de pêche chinoise comme moyen d'influence en termes de jeux de pouvoir classiques pour la position dominante.

Vers des guerres de la faim sur un océan vide ?

La dimension stratégique singulière de cette flotte se révèle à travers l'état de tension qui se dégage de la compétition actuelle entre la flotte chinoise et la quasi-totalité des autres flottes de pêche, ainsi que de ses nombreuses infractions aux zones exclusives économiques. L'objectif final des confrontations systématiques créées par cette flotte géante est l'accès aux produits de la mer sur un océan qui se vide.

De la pêche à la sécurité alimentaire

Ces produits de la mer sont d'abord destinés aux consommateurs chinois. Ensuite, ils sont destinés à être vendus sur le marché international par des entreprises chinoises. Ainsi, ils génèrent des revenus pour le développement de la Chine. En d'autres termes, il y a une demande chinoise et mondiale croissante pour une ressource qui se réduit rapidement (Charles Clover, La fin de la ligne, comment la surpêche change le monde et ce que nous mangeons2006 et Ian Urbina, The Outlaw Sea, Crime and Survival in the Last Untamed Frontier (La mer hors-la-loi, crime et survie dans la dernière frontière sauvage), 2019) .

Ainsi, la flotte chinoise est à la fois un instrument de développement économique et de sécurité alimentaire. Son objectif est d'assurer un approvisionnement constant et croissant de la Chine continentale en produits de la mer, c'est-à-dire en protéines, malgré la concurrence et l'état de l'océan.

Cet objectif stratégique explique pourquoi la flotte de pêche chinoise est une force civilo-militaire. En d'autres termes, la flotte chinoise est une force de sécurité alimentaire qui prépare éventuellement la Chine à des guerres maritimes de ressources alimentaires, c'est-à-dire des "guerres de la faim", à l'échelle mondiale.

Un terrain élevé sur un océan qui se vide

Elle le fait en se prépositionnant sur les eaux restantes, biologiquement riches. Dans la même dynamique, les entreprises alimentaires chinoises développent de multiples infrastructures qui sécurisent l'accès chinois à ces ressources. Ainsi, elles protègent pour elles-mêmes l'ensemble du processus de pêche et de transformation, malgré la présence d'autres acteurs.

Par exemple, les navires de pêche lointaine chinois opèrent dans le Golfe de Guinée. Ils sont attirés par son abondance biologique, alors que les capacités des garde-côtes nationaux des différents États côtiers du Ghana, du Togo, du Bénin, du Nigeria, du Cameroun et du Gabon sont très faibles. Dans le même temps, des entreprises chinoises construisent actuellement le port de pêche et la zone de transformation d'Andoni (Mark Godfrey, "La surpêche chinoise menace le développement du secteur de la pêche en Afrique occidentale”, SeaFoodSource, 26 juin 2020).

Cela permettra aux navires chinois de vendre directement leurs captures à la zone industrielle chinoise locale. Là, elles seront traitées et envoyées en Chine ou vers d'autres destinations. Pendant ce temps, les investissements chinois et la construction d'infrastructures en Afrique sont si nombreux qu'ils font de la Chine un important courtier en puissance dans ces pays (Farming Portal, ibid).

Préparer la guerre de la faim ?

Ainsi, dans le cas de l'installation d'Andoni, nous voyons l'émergence d'une "zone de sécurité d'accès aux fruits de mer" chinoise qui surpasse efficacement ses concurrents locaux grâce à la convergence de la milice de pêche chinoise, des opérations côtières et de l'influence.

À travers cet exemple, nous pouvons observer comment le système chinois de prépositionnement de la pêche et de la transformation peut devenir d'importance stratégique. Ce processus peut maintenir l'extraction des produits de la mer par les acteurs chinois alors que l'épuisement des océans s'accélère au cours des prochaines années. Ce processus est à l'origine de la violence croissante des acteurs non chinois envers les acteurs chinois pour l'accès aux produits de la mer. Cependant, les acteurs chinois sont prêts à défendre leur part principale, notamment grâce à leur prépositionnement civil-militaire mondial.

Par exemple, entre 2015 et 2020, plus de 500 navires nord-coréens ont été retrouvés à la dérive et sans vie dans la mer du Japon par les garde-côtes japonais. Les équipages nord-coréens n'étaient que des cadavres squelettiques, morts de faim. Il se trouve que ces navires ont été repoussés de leurs eaux de pêche par des vagues successives de navires chinois de pêche au calmar.

Ces opérations chinoises ont littéralement vidé les eaux nord-coréennes, autrefois abondantes en calmars. Cela a contraint les équipages nord-coréens à aller de plus en plus loin en mer, où ils sont morts. En d'autres termes, si les "guerres de la faim" sont encore dans le futur, il semble que les "batailles de la faim en mer" soient déjà en cours. ( Ian Urbina, "Le secret mortel de l'armada invisible de la Chine", NBC News, 22 juillet 2020).

En d'autres termes, la façon dont la Chine utilise sa gigantesque "flotte de pêche et sa milice" peut très bien être un moyen d'atteindre, le plus tôt possible, la position dominante pour les prochaines guerres de la faim sur un océan qui se vide rapidement.

Pourquoi le messager se fait-il tuer et comment éviter ce sort

"Tuer le messager" est une métaphore populaire qui souligne que ceux qui alertent sont le plus souvent blâmés, comme s'ils étaient responsables de ce qui a causé l'alerte. De ce fait, les alertes ne sont pas non plus prises en compte.

Cette image souligne que la norme est à l'opposé des objectifs de l'alerte précoce et de la prospective stratégique. De plus, elle montre que nous, praticiens de l'alerte précoce et de la prospective stratégique, pouvons être blâmés. Nous pourrions l'être même si nous avons à cœur d'améliorer la situation et même si nous écouter permettait effectivement de se préparer et de réagir au mieux.

Face à un tel dilemme, comment pouvons-nous améliorer les chances de voir les décideurs prêter attention à nos produits d'alerte précoce et de prévision stratégique. Accessoirement, comment pouvons-nous également nous protéger contre le risque de "se faire tuer" ?

Nous avons vu précédemment que si nous suivions soigneusement les étapes nécessaires à la livraison et communication de nos alertes précoces et de notre prospective stratégique, alors nous améliorions la probabilité de voir les décideurs prendre en compte ces anticipations (Helene Lavoix, "Communication de la prospective stratégique et de l'alerte précoce“, The Red Team Analysis Society, 3 mars 2021).

Nous avons également souligné que ce processus apparemment simple était semé d'embûches. Parmi ces obstacles, nous trouvons les nombreux biais qui peuvent affecter la cognition des décideurs et qui ont potentiellement un impact sur toutes les étapes du processus de diffusion et de communication, voire même sur l'action finale de "livraison" de l'alerte et de la prospective stratégique.

Dans cet article, nous nous concentrons donc sur un biais identifié comme "ignorance motivée" ou "évitement actif de l'information" (Daniel Williams, "Motivated Ignorance, Rationality, and Democratic Politics“, Synthèse, 2020 ; Golman, R.et al. "Information Avoidance“, Journal of Economic Literature, 2017). Ce biais, ainsi que d'autres, pourraient contribuer à faire dérailler l'alerte précoce et la prospective stratégique ou plus largement l'anticipation. En effet, il pourrait même empêcher la livraison et la communication même des produits d'alerte et de prospective. Nous allons d'abord expliquer ce biais et la manière dont il pourrait fonctionner dans notre cas. Puis, en supposant qu'il soit à l'œuvre, nous proposerons des moyens de l'atténuer pour améliorer la diffusion de nos alertes et de nos prévisions.

Qu'est-ce que l'ignorance motivée ?

Quand savoir est ressenti comme trop coûteux

Selon Williams (Ibid), l'"ignorance motivée" signifie qu'un individu refuse délibérément de savoir parce que le coût de la connaissance est trop élevé. Ici, nous nous intéressons à l'acte même d'obtenir et d'accéder à l'information. Ainsi, les exemples d'"ignorance motivée" ou d'"évitement actif de l'information" peuvent être : ne pas ouvrir une lettre, ne pas passer un test, ne pas lire quelque chose, ne pas écouter certains types de nouvelles. Dans certains cas, il peut s'agir de "tuer le messager". Ce refus de savoir ou cette non-action intentionnelle peuvent être à la fois conscients et inconscients (Williams, ibid).

" L'évitement actif de l'information " (Golman et al., 2017, p. 97) doit remplir deux conditions :

"(1) l'individu sait que l'information est disponible, et

(2) l'individu a un accès libre à l'information ou éviterait l'information même si l'accès était libre."

L'objectif des individus pratiquant l'ignorance motivée est de s'assurer qu'ils n'auront pas à tirer certaines conclusions qu'ils perçoivent comme préjudiciables (Williams, Ibid).

Comment Tigrane en est venu à couper la tête du messager.

Dans le cas de l'alerte précoce et de la prospective stratégique, l'ignorance motivée signifierait que les décideurs s'assurent, consciemment ou non, de ne pas écouter ou de ne pas devoir écouter les personnes qui pourraient leur fournir des connaissances, des informations et des analyses qu'ils cherchent à ignorer.

Dans les cas les plus extrêmes, les décideurs pourraient décider de ne pas mettre en place de systèmes d'alerte précoce ou, plus largement, de processus d'anticipation. Si ces systèmes existent déjà, l'ignorance motivée pourrait conduire les décideurs à trouver divers moyens pour ne pas écouter ce qu'ils produisent. Les systèmes d'alerte précoce et les capacités d'anticipation stratégique pourraient même être détruits, soit directement, soit indirectement en faisant en sorte qu'ils ne puissent pas fonctionner correctement.

Plus largement, au niveau de la société, l'ignorance motivée pourrait signifier que ceux qui peuvent être perçus comme détenant des connaissances, une compréhension ou simplement des informations que l'on souhaite éviter seront exclus, quelle que soit la manière de réaliser cette exclusion. De même, les connaissances, la compréhension et les informations produites seront écartées par tous les moyens possibles.

Cela explique en grande partie la "malédiction de Cassandre", ainsi que des métaphores anciennes et populaires telles que "tuer le messager". Nous pouvons rappeler ici ce que le philosophe grec Plutarque nous dit dans sa Vie de Lucullus:

"[XXXVI] Le premier qui vint apporter à Tigrane la nouvelle de l'approche de Lucullus n'eut pas à s'en féliciter ; il la paya de sa tête. Personne depuis n'osa lui en parler ; il resta parfaitement tranquille, ignorant que le feu ennemi l'environnait de toutes parts, et écoutant les propos flatteurs de ses courtisans..."

Plutarque, "Vie de LucullusLes Vies des hommes illustres (Vies parallèles),traduction de Ricard (1863) - https://mediterranees.net/histoire_romaine/plutarque/lucullus/lucullus3.html

L'histoire ne s'arrête pas là. Plutarque nous fait connaître le sort de Tigrane, et de ceux qui ont le malheur de servir de tels souverains, même ceux qui luttent contre l'ignorance motivée de leurs dirigeants avec la meilleure intention possible :

Mithrobazane fut le premier de ses amis qui osa enfin lui dire la vérité ; et il ne fut pas non plus bien payé de sa franchise, car sur-le-champ Tigrane l'envoya contre Lucullus, à la tête de trois mille chevaux et d'un corps nombreux d'infanterie, avec ordre d'amener le général en vie, et de passer sur le ventre à tout le reste. ... Le combat s'étant engagé, Mithrobazane périt, en combattant avec courage ; ses troupes, bientôt mises en déroute, furent taillées en pièces, à l'exception d'un petit nombre qui se sauvèrent.
[XXXVII.] A cette nouvelle, Tigrane abandonne Tigranocerte, ville très considérable, qu'il avait bâtie lui-même, et il se retira sur le mont Taurus, afin d'y rassembler toutes ses forces. ..."

Plutarque, "Vie de LucullusLes Vies des hommes illustres (Vies parallèles),traduction de Ricard (1863) - https://mediterranees.net/histoire_romaine/plutarque/lucullus/lucullus3.html

Répétant plusieurs fois la même erreur, Tigrane est vaincu. Au contraire, Lucullus, aristocrate romain, général et consul, écoute les conseils de ceux qui comprennent la situation et l'alertent, puis en fait la synthèse. Lucullus ajoute ensuite à ces analyses son propre génie et est victorieux.

De notre point de vue, l'histoire que conte Plutarque souligne l'importance d'une alerte précoce appropriée et de la prospective stratégique, par opposition à ce qui se passe si l'ignorance motivée est choisie.

En savoir assez peu pour permettre l'évitement et l'effet Dunning-Kruger

En outre, l'impact délétère de l'ignorance motivée peut s'aggraver et s'enraciner. L'ignorance motivée, en effet, finit par s'auto-favoriser. Voyons comment ce cercle vicieux peut se mettre en place.

Pour pouvoir pratiquer l'ignorance motivée, les individus doivent avoir une idée de ce qu'ils veulent ignorer. Ils doivent en savoir suffisamment pour connaître ce qu'ils veulent éviter. Ainsi, les individus qui pratiquent l'ignorance motivée ont une connaissance et une compréhension générales de la question qui les préoccupe. Pourtant, la plupart du temps, ces connaissances restent génériques et superficielles. S'ils avaient une connaissance spécifique et détaillée, ils ne pourraient pas prétendre être ignorants, ou s'ils le faisaient, nous serions alors dans le domaine du mensonge, ce qui est un phénomène différent.

Par conséquent, dans les cas d'ignorance motivée, un autre biais peut entrer en jeu, l'effet Dunning-Kruger. Selon ce biais, "les compétences qui engendrent la compétence dans un domaine particulier sont souvent les mêmes que celles qui sont nécessaires pour évaluer la compétence dans ce domaine" (Kruger et Dunning, "Unskilled and Unaware of It…”, 1999). En d'autres termes, moins on en sait sur quelque chose, plus on pense être bon dans ce domaine.

L'effet Dunning-Kruger pourrait donc agir comme un facteur renforçant l'ignorance motivée. En effet, en pratiquant l'ignorance motivée, les individus s'assureraient que leurs connaissances restent superficielles et ignoreraient ainsi les vérités qui dérangent tout en renforçant leur croyance en leur supériorité dans ce domaine. Comme une façon d'atténuer l'effet Dunning-Kruger est d'augmenter les connaissances des individus qui en sont victimes, l'ignorance motivée interdirait cette solution.

Faisons-nous donc face à un sort inéluctable ? Ceux qui, comme le Tigrane de Plutarque, s'engagent sur la voie de l'ignorance motivée sont-ils condamnés à rester ignorants et à succomber finalement à leur ennemi ou à toute menace et surprise qu'ils ignorent fièrement ? En tant que praticiens de l'alerte précoce et de la prospective stratégique, sommes-nous condamnés à échouer et à être abattus si le destin ou le manque de chance nous donnent comme décideurs des individus favorisant l'ignorance motivée, ou nous font vivre à une époque et dans une civilisation où règne l'ignorance motivée ?

Explorons davantage l'ignorance motivée, en examinant les causes qui poussent les gens à adopter un tel comportement. Nous pourrons ainsi essayer de concevoir des stratégies pour agir sur les causes. Notez toutefois que, puisque nous sommes confrontés à l'ignorance active, nos moyens de réduire ce biais sont singulièrement faibles. Nous devons certainement veiller à ne pas provoquer l'ignorance motivée pour notre prochaine alerte ou notre prochain produit de prospective, tout en continuant à "dire la vérité au pouvoir" ("speak truth to power"). Mais, la situation ici est plus difficile encore. Si c'est notre activité même qui est activement évitée, alors nous allons devoir contourner l'évitement. Ainsi, ce ne seront pas tant nos produits qui devront avoir des caractéristiques spécifiques, mais d'autres "choses" en dehors d'eux qui devront être mises en place, ces autres choses restant à déterminer en fonction des cas spécifiques. Pour ce faire, nous nous appuierons à nouveau sur les recherches de Williams (Ibid.).

Les raisons de l'ignorance motivée

Comme l'illustre le récit de Plutarque sur la victoire de Lucullus et le sort de Tigrane, l'ignorance motivée est un biais qui peut être extrêmement dangereux en termes de conséquences, tant au niveau individuel que collectif. Pour lutter contre ce biais, nous devons comprendre pourquoi les gens souhaitent ignorer quelque chose, même s'il semble, d'un point de vue extérieur, qu'il serait préférable de savoir et de comprendre.

Éviter les états émotionnels négatifs et stratégies de riposte

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Image en vedette : Photo par Harun Benli via Pexels, libre d'utilisation.

Bibliographie

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André, Christophe, "La sérénité, ça s'apprend", Conférence, MAIF, 12 mars 2015.

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Kruger, Justin, et David Dunning, "Unskilled and Unaware of It : How Difficulties in Recognizing One's Own Incompetence Lead to Inflated Self-Assessments (en anglais seulement)“, Journal de la personnalité et de la psychologie sociale, vol 77, no 6, p 1121-1134, American Psychological Association (1999).

Lavoix, Hélène, "Communication de la prospective stratégique et de l'alerte précoce“, The Red Team Analysis Society, 3 mars 2021.

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Marshall, G., Don’t even think about it: Why our brains are wired to ignore climate change, (New York, Londres : Bloomsbury, 2014).

Nerdahl, Michael, Bowdoin College, Review de Manuel Tröster, Themes, character, and politics in Plutarch’s Life of Lucullus : the construction of a Roman aristocratHistoria. Einzelschriften, Heft 201. Stuttgart : Steiner, 2008, Bowdoin College, Bryn Mawr Classical Review, 2008.

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Williams, Daniel,"To communicate scientific research, we need to confront motivated ignorance“, LSE Impact of Social Sciences blog,, 13 janvier 2021

Systèmes d'alerte précoce et indicateurs - Formation pour l'ESFSI en Tunisie

Nous venons de donner une formation intensive d'une semaine sur les systèmes d'alerte précoce et indicateurs, dans le cadre du programme de cette année sur la "gestion des conflits sociaux" de l'Ecole Supérieure des Forces de Sécurité Intérieure (ESFSI) du Ministère de l'Intérieur de Tunisie. Ce programme est soutenu par le projet européen "Lutte contre le terrorisme en Tunisie" via CIVIPOL. C'est la deuxième fois que nous avons le plaisir et l'honneur de dispenser une formation pour l'ESFSI, la première fois était en août 2020.

Ce fut une semaine formidable, avec des discussions incroyablement riches et intéressantes.

Nous avons pu faire l'ensemble de la formation avec Zoom, des cours classiques aux séances de travaux pratiques et de groupe ainsi que les tutoriels pour logiciels. Tout a parfaitement fonctionné - nous avons même pu recevoir prix et cadeau pour les formateurs - grâce à l'ESFSI, à la formidable équipe opérant pour CIVIPOL à Tunis, et bien sûr, aux fantastiques stagiaires !

Perdre le Texas à cause du changement climatique et du COVID-19 ?

(Conception artistique : Jean-Dominique Lavoix-Carli)

Du Texas au froid

En février 2021, un "vortex polaire" a balayé les États-Unis et déclenché une "tempête (d'hiver) parfaite" qui a ravagé le Texas (Johny Diaz, Guilia Mc Donnell, Nieto del Rio, Richar Faussett, " Au Texas, la vague de froid extrême a tué des habitants dans leur maison, leur voiture et leur jardin.”, Nouvelles du SBS, 20 février 21).

Pendant cette vague de froid intense de deux semaines, plus de 4 millions de foyers, soit 15 millions de personnes, ont été privés d'électricité. Ce même front froid a gelé d'innombrables conduites d'eau collectives et domestiques. Leurs explosions ont déclenché des dizaines de milliers d'inondations domestiques, ainsi que des problèmes de transport d'eau à l'échelle de l'État (Hannah Dellinger, "Les plombiers "n'ont pas encore vu le pire" alors que le froid fait éclater les canalisations au Texas.”, Houston Chronicle, 16 février 2021).

L'événement météorologique extrême de l'hiver 2021 n'est pas un cas isolé. Il appartient à la chaîne des conséquences de l'hyper siège climatique qui martèle les conditions de vie même du Texas. Ce front froid fait lui-même partie des effets en cascade de la déstabilisation du jet stream polaire, résultant du réchauffement rapide de l'Arctique (Jeff Berardelli, "Changement climatique et front froid : ce qui se cache derrière l'extrême arctique au Texas”, CBS News, 20 février 2021).

Ainsi, cette catastrophe très étrange révèle la probabilité croissante que le Texas devienne progressivement inhabitable. Cela pourrait résulter des interactions cumulées entre les infrastructures, les conditions de vie et le changement climatique dans cet État. L'événement extrême Hiver 2021 a également des conséquences internationales importantes, car le Texas joue un rôle majeur dans la géopolitique énergétique.

Un hiver de destruction massive

Transformer la maison en piège

Depuis la préhistoire, le caractère déterminant d'une maison, le lieu où vit la famille, est la chaleur artificielle et la protection. Le feu génère de la chaleur. Les murs offrent une protection, tout en conservant une partie de la chaleur à l'intérieur. Ces deux conditions constituent le système de survie de base des familles sédentaires (Jared Diamond, Les armes, les germes et l'acier, les destins des sociétés humaines, 1999).

La vague de froid extrêmement violente qui a frappé le Texas en février 2021 bouleverse profondément cet ordre des choses multimillénaire. La vague d'air arctique qui a traversé les États-Unis et qui a gelé le Texas était si froide que des millions de maisons, construites pour le climat chaud du Texas, ont consommé beaucoup plus d'électricité pour se chauffer.

Cette ponction collective sur le réseau a généré d'immenses pannes de courant. Le froid glacial a également affecté les conduites de gaz qui alimentaient plusieurs centrales électriques, les mettant hors service. Cela a augmenté la pression sur le réseau électrique et a eu un effet multiplicateur sur les pannes, qui ont empêché le chauffage des maisons.

En conséquence, des millions de maisons sont devenues des pièges à froid pour leurs habitants (Benjamin Storrow, "Pourquoi le gel a provoqué des coupures de courant au Texas ?”, Scientifique américain(18 février 2021). Les températures négatives ont également gelé l'eau de la plomberie de la maison. Les explosions des tuyaux ont déclenché d'innombrables inondations intérieures, transformant les maisons en pièges glaciaires et inondés (Laetichia Beachum, "Le Texas a désespérément besoin de plombiers. Deux beaux-frères ont conduit plus de 20 heures d'affilée pour aider...”, Le Washington Post26 février 2026).

Le développement comme vulnérabilité

En d'autres termes, la "Suburbia" texane est devenue un gigantesque piège en raison de sa vulnérabilité fondamentale à un événement climatique extrême glacial.

Cela signifie que le paradigme même du développement urbain américain induit un très grand nombre de vulnérabilités "invisibles", telles que la destruction massive, à l'échelle de l'État, de la plomberie et du chauffage.

Mon royaume pour un plombier

En outre, cet événement de destruction massive domestique devient un problème à plus long terme et de plus grande envergure.

Par exemple, tout d'abord, il a entraîné un besoin massif de plombiers au Texas, avec des conséquences ailleurs.

Le gouvernement texan a fait appel à des travailleurs qualifiés de tous les États-Unis. Le gouvernement a même accéléré la validation des documents de candidature des plombiers hors de l'État (Tyler Durden, "Le Texas recherche désespérément des plombiers de l'étranger dans un contexte de rupture de canalisation.”, Zero Hedge, 26 février 2021).

C'était d'autant plus urgent que la crise de la plomberie se transformait rapidement en une crise de l'eau massive et durable. Il se trouve que des millions de citoyens texans ont ainsi été privés d'accès à l'eau douce pour les usages domestiques et sanitaires quotidiens.

Cependant, le fait d'attirer des milliers de plombiers de tous les États-Unis est également susceptible de déclencher une tension nationale dans le domaine de la plomberie. Lorsque les plombiers quittent leurs propres villes et États, les réparations nécessaires seront retardées et s'aggraveront donc (Chaffin Mitchell, "Accuweather estime que l'impact économique des tempêtes hivernales avoisine les 50 milliards d'euros", Accuweather, 18 février 2021) . Cela aura un impact sur les compagnies d'assurance.

Puis, de retour dans le Texas glacé, la consommation d'électricité domestique a explosé. La conséquence directe a été une augmentation rapide et brutale des prix de l'électricité, en raison de la demande croissante sur un marché énergétique déréglementé. Puis, à cause des paiements automatisés, les gens ont perdu des centaines ou des milliers de dollars en quelques jours.

Le procureur général du Texas poursuit même la compagnie d'électricité Griddy, LLC pour "violation de la loi sur les pratiques commerciales trompeuses du Texas par des pratiques publicitaires et commerciales fausses, trompeuses et mensongères". En effet, les prix de l'électricité de la compagnie d'électricité Griddy sont passés de 50$ à 9000$ par mégawatt (Communiqué de presse, Protection des consommateurs/Scams, AG Paxton poursuit Griddy, LLC Compagnie d'énergie : Des clients frappés par des factures d'énergie exorbitantes, 01 mars 2021 ; Tyler Durden, "Le procureur général du Texas accuse le fournisseur d'électricité Griddy de "pratiques trompeuses".””, Zero Hedge, 01 mars 2021).

En d'autres termes, en quelques jours, des millions de personnes ont perdu leur logement, leur eau et leur sécurité financière à cause d'un jet d'air arctique. En outre, le bilan financier va certainement s'aggraver, car les propriétaires vont devoir payer les réparations, alors que leur propriété perd de la valeur. Dans le même temps, beaucoup d'entre eux vont devoir continuer à rembourser leur hypothèque.

Dans le même temps, les compagnies d'assurance vont également devoir payer pour les dommages.

Dans l'ensemble, ces dynamiques montrent que la crise texane de la plomberie, de l'eau et de la maison se propage littéralement dans tous les États-Unis. Des sections entières du réseau urbain et suburbain américain ressentiront l'impact de la vague de froid de février 2021 au Texas.

Texas Hyper Siege

D'un point de vue stratégique, cette séquence hivernale s'inscrit dans la continuité de "l'hyper siège" que le changement climatique impose au Texas. Cela signifie que le Texas est littéralement " immergé " dans les nouvelles conditions géophysiques défavorables qui l'assiègent. (Jean-Michel Valantin "Hyper siège : Changement climatique et sécurité nationale des États-Unis”, The Red Team Analysis SocietyLe 31 mars 2014, et Clive Hamilton, Terre de défi, Le sort des humains dans l'Anthropocène, 2017).

La géophysique sous stéroïdes

Cette nouvelle condition a été mise en évidence, par exemple, en 2017, lorsque le titanesque ouragan Harvey a déferlé sur le Texas. Du 29 août au 5 septembre 2017, l'ouragan Harvey a déversé 22 kilomètres cubes d'eau de pluie sur le littoral sud-est des États-Unis, inondant également la côte et l'arrière-pays du Texas.

Le simple poids de la quantité d'eau pouvait créer une dépression de deux centimètres sur la région touchée. Il a fallu plus de cinq semaines pour que toute cette eau supplémentaire s'écoule vers la mer (Mark Lynas, Notre dernier avertissement : 6 degrés d'urgence climatique, 2020).

Un déluge a des coûts

Cet événement extrême a imposé des coûts économiques immenses, en raison des dommages directs aux infrastructures, aux villes, aux habitations, aux champs et aux industries. A ces coûts, il faut ajouter ceux des réparations et de l'interruption des activités. En effet, par exemple, beaucoup d'opérations d'extraction et de transaction de pétrole ont été suspendues par l'ouragan, avec un impact sur les entreprises liées (Matt Egan et Chris Isidore, "La tempête tropicale Harvey menace le centre énergétique vital du Texas”, CNN Moneyle 26 août).

Ensuite, il y a eu les coûts de la désintoxication nécessaire en raison des déversements massifs de produits chimiques industriels et d'eaux usées. (Erin Brodwin et Jake Canter, "Une usine chimique a explosé à deux reprises après avoir été inondée par Harvey - mais ce n'est pas encore fini”, Initié aux affaires30 août 2017).

Si l'on ne considère que les comtés de Harris et Galveston au Texas, par exemple, on constate que "L'ouragan Harvey a endommagé au moins 23 milliards de dollars de biens..." (Reuters, Fortune, 30 août 2017). 26% de cette somme est la valeur foncière, le reste étant constitué par des dizaines de milliers de maisons, bâtiments et infrastructures. Cela signifie que, potentiellement, des millions de personnes se sont retrouvées brutalement projetées dans des situations très précaires.

En d'autres termes, les conditions de vie mêmes du Texas deviennent le support de la vulnérabilité au changement climatique. Cela a de profondes implications géopolitiques, en raison de l'importance du Texas sur les marchés internationaux de l'énergie, dans un monde Covid-19.

Le Texas et la révolution du pétrole de schiste dans un monde Covid-19

Une peste au Texas

La transformation des infrastructures et du développement urbain texans en support de vulnérabilités sociales se combine à d'autres effets en cascade, ceux de la pandémie de Covid-19. Depuis mars 2020, 44.000 des 29 millions de Texans sont morts du Covid-19. L'attitude du gouvernement texan est passée de la délégation des décisions concernant les masques et le confinement aux conseils municipaux à des mesures du gouvernement de l'État, souvent inversées. Cependant, chaque assouplissement des mesures sanitaires a induit un pic de contamination.

Dans le contexte de la pandémie mondiale et, comme le dit Hélène Lavoix, de l'émergence de l'ordre international Covid-19 (Hélène Lavoix, "L'émergence d'un ordre international Covid-19”, The Red Team Analysis Society15 juin 2020), le Texas s'installe dans le Monde Covid-19.

Cela a un impact direct sur l'économie. En conséquence, le taux de chômage atteint 8%. Le ralentissement de l'économie altère aussi profondément les activités de commerce et de services. Cette situation déclenche de nombreuses manifestations publiques anti-masques et anti-blocage.

Ceux-ci résultent certainement de la combinaison de l'angoisse économique et sociale collective propre à l'économie pandémique et de la culture farouchement individualiste et libérale du "Lonely Star state" (David R. Baker, Brian Heckhouse, David Wette, "La Californie et le Texas se sont battus contre Covid, ils ont souffert de la même manière.”, Bloomberg Business Week, 18 janvier 2021).

Les malheurs économiques du Texas ont une couche plus profonde. Ils sont liés aux conséquences de la pandémie de Covid-19 sur la "renaissance" énergétique du Texas par l'extraction du pétrole et du gaz de schiste.

Toutes les révolutions se terminent

Depuis le début des années 2000, le Texas est le centre de la révolution du pétrole et du gaz de schiste non conventionnels aux États-Unis. Cette révolution est rendue possible par la percée technologique du fracking. Ainsi, l'exploitation de l'immense bassin permien est passée d'un dérisoire 850.000 barils en 2007 à 2 millions de barils de production en 2014. Cela représentait alors près de 25% de la production américaine de pétrole brut (Daniel Yergin, La nouvelle carte, l'énergie, le climat et le choc des nations, 2020).

Depuis 2014, le Texas est un important producteur de pétrole et de gaz. Les deux champs géants de Spraberry et Wolfcamp, dans le bassin permien, font partie des cinq premiers champs pétroliers au monde. La révolution du schiste a transformé à nouveau les États-Unis en un producteur net et majeur de pétrole et de gaz, comme ils l'étaient jusqu'à la fin des années 1970. (Michael Klare, Sang et pétrole, les dangers et les conséquences de la dépendance croissante de l'Amérique à l'égard du pétrole importé, 2004). Les États-Unis se retrouvent ainsi à la table des producteurs de pétrole et de gaz, aux côtés de l'OPEP et de la Russie. Cette résurgence du pétrole et du gaz américains génère également des tensions importantes sur le marché international de l'énergie (Yergin, ibid).

Cependant, avec le COVID-19, les prix du pétrole et du gaz ont connu une contraction brutale durant le printemps 2020. Ils ont même plongé à -37$ pendant quelques heures en avril 2020. Depuis, l'industrie américaine du pétrole et du gaz de schiste est en grande difficulté. En effet, ses coûts massifs et ses faibles bénéfices la rendent très sensible aux prix bas de l'énergie ("Le prix du pétrole s'effondre sous le seuil du 0$ pour la première fois de l'histoire dans un contexte de pandémie”, CGTN, 21 avril 2020).

Cette profonde fragilité s'est traduite par la perte massive de 60.000 emplois dans l'industrie pétrolière texane (David R. Baker, Brian Heckhouse, David Wette, ibid). Ainsi, la catastrophe de Covid transforme l'extraction du pétrole et du gaz de schiste du Texas en une vulnérabilité économique et financière majeure.

Le Texas comme un avertissement au monde

En d'autres termes, à travers les ouragans et les phénomènes météorologiques extrêmes de l'hiver, le changement climatique transforme le développement même du Texas en conditions invivables. Dans le même temps, le Monde Covid-19 ruine littéralement la révolution du schiste ainsi que les travailleurs texans et les réseaux d'activités qui en dépendent.

Par conséquent, du point de vue de la prospective stratégique et de l'alerte, le Texas et sa situation soulignent les graves questions qu'il convient de se poser sur l'avenir proche des États-Unis.

En effet, si le changement climatique et la pandémie de Covid-19 continuent de s'abattre sur les infrastructures, le développement urbain et économique et les conditions sanitaires du Texas, l'État deviendra rapidement littéralement invivable pour ses 29 millions d'habitants. Cependant, si les gens commencent à quitter le Texas, où iront-ils ? Et où une population aussi importante sera-t-elle accueillie ? La situation est d'autant plus complexe que de nombreux États américains sont également soumis à leur propre version de l'hyper siège.

L'hyper siège du Texas a également une dimension internationale. En effet, le risque d'un naufrage de la révolution américaine du pétrole et du gaz de schiste va réécrire l'ordre énergétique international. Mais, à un niveau plus fondamental, ce qui peut arriver dans une région aussi riche et développée que le Texas montre que la fameuse capacité de "résilience" d'une région anciennement industrialisée peut avoir des limites bien réelles.

Il s'agit d'un avertissement très fort pour chaque pays, en particulier dans le monde occidental riche, développé et étonnamment vulnérable.

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