La cinquième vague de la pandémie de COVID-19 et sa létalité

(Conception artistique : Jean-Dominique Lavoix-Carli)

La cinquième vague mondiale de la pandémie de COVID-19 a maintenant commencé. Devons-nous nous en inquiéter ? Quelle sera sa létalité ?

Cet article et le suivant se concentreront sur les effets directs sur la santé de la cinquième vague de la pandémie de COVID-19. En effet, ces impacts sont ceux qui déterminent tous les autres. Nous nous intéressons ici à la létalité potentielle de la cinquième vague. Le prochain article traitera du Long-Covid, un aspect essentiel mais rarement pris en compte de la pandémie.

Nous nous concentrons d'abord, ici, sur la létalité des vagues précédentes et examinons si un modèle émerge. Nous abordons ensuite les différents facteurs qui auront un impact sur la létalité de la cinquième vague, notamment les deux traitements antiviraux de Merck et Pfizer et la diminution de l'immunité vaccinale après six mois. Nous utilisons les États-Unis comme étude de cas et, en ajoutant le cas d'Israël, nous déduisons les tendances mondiales possibles. Nous mettons également en évidence certains obstacles auxquels les autorités politiques pourraient être confrontées concernant l'acceptation de la troisième dose.

Cette série sur les impacts de la cinquième vague COVID-19 est la deuxième partie de l'article précédent : "Vers une cinquième vague de Covid-19 ?". Nous y avons évalué qu'il était très probable que le début mondial de la cinquième vague de la pandémie COVID-19 ait eu lieu à la fin du mois d'octobre 2021. Nous y avons également mis en évidence les facteurs qui façonneraient cette cinquième vague. Nous utilisons maintenant les éléments identifiés dans ce premier article comme base pour fonder notre évaluation des impacts.

Des vagues meurtrières de Covid-19 au niveau mondial

En utilisant les statistiques mondiales disponibles, nous trouvons, sans surprise, une périodicité des vagues de décès similaire à celle que nous avions trouvée pour la contagion.

Infections et décès mondiaux dus au COVID-19 entre janvier 2020 et le 5 novembre 2021 (source Reuters COVID-19 Global tracker).

L'impact mortel des vagues de contagion

Impact de létalité en deux phases pour la première hausse mondiale de la contamination - jusqu'au 17 octobre 2020

La première vague - l'augmentation de la contamination mondiale - a duré de décembre 2019 au 9 octobre 2020. Elle correspond à une vague de décès qui s'est terminée le 17 octobre 2020, soit 8 jours après le début de la deuxième vague de contamination.

Nous avons ici deux phases distinctes. La première phase atteint un pic autour du 15 avril 2020 avec 8.905 décès par jour, puis diminue jusqu'à atteindre à 4.677 décès le 26 mai 2020 et 3.628 le 1er juin. Il s'agit du plus faible nombre de décès au niveau mondial depuis le début de la pandémie. Au 3 novembre 2021 (8.078 décès), nous n'avons pas encore ramené le nombre de décès quotidiens à ce chiffre.

Au tout début de la pandémie, le nombre élevé de décès par rapport au faible nombre d'infections montre une impréparation mondiale ainsi que le manque de compréhension médicale d'alors de ce qui était une maladie totalement nouvelle.

La deuxième phase de cette première vague est un plateau qui monte lentement de 4,677 à 6,056 décès par jour, avec de petits pics, montrant la propagation mondiale de la maladie, alors que les connaissances médicales s'améliorent néanmoins.

Comparaison des décès annuels mondiaux dus à la grippe en 2019 et des décès de la 1ère vague de COVID19

Au total, 1,16 million de personnes ont perdu la vie au cours de cette première vague (chiffres tirés de "Cumulative confirmed COVID-19 cases and deaths, World“, Our World in Data).

A titre de comparaison, une étude de 2019 estime que le nombre mondial de décès dus à la grippe s'élève à 400.000 par an, soit près de trois fois moins (Paget, John et al. "Global mortality associated with seasonal influenza epidemics: New burden estimates and predictors from the GLaMOR Project” Journal of global health vol. 9,2, 2019, doi:10.7189/jogh.09.020421).

De la deuxième à la quatrième vague

La deuxième vague

La deuxième vague de décès a duré du 17 octobre 2020 au 9 mars 2021, avec un minimum de 10.524 décès par jour. La forme suit de près celle de la vague de contamination avec un premier pic le 22 décembre 2020 à 15.430 décès par jour suivi d'un pic plus élevé le 27 janvier à 18.357 décès par jour. Cette vague a duré environ quatre mois et trois semaines.

La deuxième vague représente 1,54 million de décès.

Par rapport à la deuxième vague de contamination, la vague de décès a commencé une semaine plus tard, le pic des décès quotidiens a eu lieu 13 jours après le pic de contagion, et la fin de la vague a eu lieu 20 jours après la fin de la vague d'infections.

La troisième vague

La troisième vague, en termes de décès quotidiens, a donc commencé aux alentours du 10 mars 2021 et s'est poursuivie jusqu'au 28 juin, atteignant alors 6.909 décès, soit 65% par rapport au creux précédent. Le pic s'est produit autour du 28 avril avec 15.471 décès, soit 84% du pic précédent. La vague a donc duré environ 3 mois et deux semaines.

Par rapport aux infections, la vague meurtrière a commencé 3 semaines plus tard, le pic s'est produit étonnamment un jour avant le pic des contagions. La vague meurtrière s'est terminée une semaine après la vague d'infections.

Nombre de décès cumulés par vague de la pandémie de COVID-19 de janvier 2020 à octobre 2021 et réévaluation pour l'Inde.

La troisième vague représente 1,23 million décès. En fait, il est probable que ce chiffre soit largement sous-estimé. En effet, la troisième vague inclut la propagation tragique du variant Delta en Inde. Une étude utilisant trois types de méthodologies différentes a conclu que le nombre de décès pour l'Inde uniquement entre le début de la pandémie et juin 2021 pourrait se situer entre 3,4 millions et 4,9 millions de décès en excès (Abhishek Anand , Justin Sandefur et Arvind Subramanian, "Three New Estimates of India’s All-Cause Excess Mortality during the COVID-19", Center for Global Development, 20 juillet 2021. Ces chiffres doivent être comparés au bilan officiel qui compte 339.053 morts au 1er juin et 399.459 au 30 juin 2021 (e.g. Financial Times).

La quatrième vague

La quatrième vague de décès a commencé vers le 28 juin 2021 et a duré jusqu'au 17 octobre 2021, avec 4.067 décès quotidiens, soit 59% du creux précédent. Le pic s'est produit autour du 26 août avec 11.717 décèssoit 75% du pic précédent. La vague a duré environ 3 mois et un peu moins de 3 semaines.

Par rapport aux infections, la vague meurtrière a commencé une semaine plus tard, le pic s'est également produit une semaine après le pic des contagions. Elle s'est terminée le même jour que la vague d'infections. En d'autres termes, la cinquième vague a commencé à se faire sentir de manière surprenante en termes de décès sans aucun décalage dans le temps. Cela provient probablement des différents stades des vagues pour les différents pays, combinés à une vaccination et une immunité induite variables. Cela montre les limites de ce qui peut être fait et compris en ce qui concerne la létalité lorsqu'on utilise uniquement des données globales aggrégées.

Comparaison du nombre total de décès du fait des guerres (combat) pour les Etats-Unis avec la quatrième vague de COVID-19 (sources : voir texte)

La quatrième vague représente 0,97 million de décès.

Pour mieux comprendre ce que cela signifie dans la réalité, donnons quelques comparaisons.

Pour les États-Unis, pendant la quatrième vague, 131.276 (732.634 – 601.358) Américains sont morts du COVID-19. C'est 2,46 fois plus que les Américains qui sont morts en combattant pendant la première guerre mondiale (53.402), presque la moitié (45%) de ceux qui sont morts pendant la Seconde Guerre mondiale (291.557), 3,88 fois plus que ceux qui sont morts au combat pendant la guerre de Corée (33.686), 2,76 fois plus que ceux qui sont morts en combattant pendant la guerre du Vietnam (47.434) (Wikipedia, Victimes militaires américaines de la guerre). Et ceci pour la moins meurtrière des trois dernières vagues de COVID-19.

Comparaison du nombre total de décès (toutes causes confondues) pour les Etats-Unis au cours de leurs guerres les plus meurtrières avec les morts américains du fait de la pandémie de COVID-19 (jusqu'au 7 nov. 2021) - (Sources : voir texte).

Bien entendu, l'importance relative des guerres par rapport aux vagues pandémiques varie selon les pays. Toutefois, compte tenu de l'influence des États-Unis dans le monde en tant que superpuissance, il est essentiel de comprendre que le COVID-19 a été jusqu'à présent plus meurtrier pour les États-Unis que toute autre guerre qu'ils ont menée dans le monde.

Le COVID-19 a tué plus d'Américains que la Seconde Guerre mondiale, laquelle a vu 405.399 américains périr (toutes causes de décès confondues - Wikipedia, ibid.). La pandémie a même été plus meurtrière que la guerre de Sécession (1861-1865), le conflit le plus meurtrier que les Etats-Unis aient connu jusqu'à présent. Le nombre de décès est estimé à 655.000 pour cette guerre, alors qu'au 7 novembre 2021, la pandémie de COVID-19 a tué 752.196 Américains (Données du CDC, 7 novembre 2021).

Un modèle pour la létalité des vagues ?

Que pouvons-nous déduire de la létalité des quatre premières vagues de COVID-19 ? Y a-t-il un schéma et une évolution qui se dessinent et qui pourraient nous aider à évaluer la létalité pour l'avenir et plus particulièrement pour la cinquième vague ?

En ce qui concerne la létalité, la périodicité et la longueur des vagues sont beaucoup moins régulières que celles des infections. De même, la relation entre, d'une part, la vague d'infections et, d'autre part, son impact, le nombre de personnes décédées, est également irrégulière.

Les principales raisons pour ces différences et irrégularités résident probablement notamment dans les capacités très diverses des systèmes de santé selon les pays, ainsi que dans l'hétérogénéité du type, de la disponibilité, et de la diffusion des traitements pharmaceutiques et des vaccins.

Si nous ne tenons pas compte de la réalité très probable de la troisième vague en Inde par rapport aux estimations officielles - ce qui est un immense si - alors, depuis la deuxième vague, nous constatons une diminution globale de la létalité des vagues de COVID-19.

La tendance globale pour les trois dernières vagues tendrait à indiquer une diminution de la hauteur des vagues - les pics de décès quotidiens sont successivement plus bas pour chaque vague, et les creux des vagues sont également de plus en plus bas. Une fois de plus, les raisons de cette diminution globale des décès sont très probablement un mélange d'amélioration des traitements médicaux et des capacités des systèmes de santé à gérer la maladie, alors que la vaccination se diffuse.

Ainsi, en observant cette tendance générale, nous pourrions commencer notre évaluation avec, comme base de référence, une vague de décès qui dure jusqu'à la fin de la vague d'infections, c'est-à-dire autour du 20 février 2022 et qui atteint un pic entre le 20 décembre 2021 et le 20 janvier 2022. Si la tendance favorable vers des vagues moins meurtrières de la pandémie se poursuit, nous pourrions avoir un pic autour de 50% de la vague précédente, soit 5.858 décès, et un creux autour de 50% de la vague précédente, soit 2.034 décès.

Cependant, la réalité de l'impact du variant Delta en Inde ne peut être ignorée. Cela souligne avec force que nos efforts collectifs mondiaux doivent être dirigés vers la prévention de l'émergence et de la propagation des "variants of concern" (VoC - variants préoccupants). Ils constituent en effet un facteur majeur de létalité.

Du fait de notre incapacité totale à anticiper l'émergence de nouveaux VoC, à part savoir que plus le virus circule, plus la probabilité d'émergence d'un VoC est grande, il est difficile d'évaluer à l'avance la létalité d'une vague. Néanmoins, comme nous l'avons vu, le contrôle des frontières à travers le monde, et notamment aux Etats-Unis, est en train de se relâcher (cf. Vers une cinquième vague de Covid-19 ?The Red Team Analysis, Society; Reuters, "What you need to know about the new U.S. international air travel rules", 7 novembre 2021). Cela augmente donc considérablement la probabilité de voir un VOC émerger et se répandre, même si nous pouvons espérer que cela arrive après la cinquième vague.

En sus des VoCs, si nous supposons que les capacités des systèmes de santé et les pratiques médicales restent constantes, les facteurs les plus susceptibles d'influencer la létalité de la cinquième vague de COVID-19 sont la disponibilité de nouveaux traitements, la vaccination et la durée de l'immunité induite, comme nous allons le voir maintenant.

Facteurs influençant la létalité des vagues pandémiques de COVID-19

Trop tôt ou juste à temps pour les nouveaux traitements antiviraux ?

En octobre et novembre 2021, deux nouveaux traitements antiviraux, faciles à administrer, ont fait leur apparition. Quels sont ces traitements ? Sont-ils les traitements anti-COVID-19 qui nous permettront de vaincre enfin la pandémie ?

Monulpiravir (Lavgevrio en Grande-Bretagne)

Les sociétés américaines Merck & Co Inc et Ridgeback Biotherapeutics ont développé une nouvelle pilule antivirale à partir de la molécule molnupiravir. Elle a été autorisée au Royaume-Uni le 4 novembre 2021 sous le nom de Lavgevrio et pourrait avoir un impact positif sur la létalité (Pushkala Aripaka, "Britain approves Merck’s COVID-19 pill in world first“, Reuters, 5 novembre 2021).

Comme expliqué dans la vidéo ci-dessous, les pilules de Merck visent à "introduire des erreurs dans le code génétique du virus" et génèrent ainsi des mutations aléatoires (Deena Beasley, "Explainer: How does Merck’s COVID-19 pill compare to Pfizer’s?“, Reuters, 8 novembre 2021). On pense également que, de ce fait, les variants préoccupants n'évolueront pas, car les mutations sont aléatoires (ibid.).

Au début probable de la cinquième vague de COVID-19, nous ne disposons que des résultats de l'essai de phase 3 de la société, issus d'une "analyse intermédiaire planifiée [qui] a évalué les données de 775 patients" (Merck, Communiqué de presse du 1er octobre 2021). Selon l'entreprise, si "les patients adultes à risque, non hospitalisés présentant un COVID-19″ léger à modéré reçoivent deux fois par jour quatre pilules pendant cinq jours dans les cinq jours suivant l'apparition des symptômes, alors " le molnupiravir réduit le risque d'hospitalisation ou de décès d'environ 50% " (Ibid ; Aripaka, "Britain approves Merck’s COVID-19 pill in world first“, Reuters, 5 novembre 2021 ; Deena Beasley, "Explainer: How does Merck’s COVID-19 pill compare to Pfizer’s?“, Reuters, 8 novembre 2021).

La vidéo très intéressante de Le Dr Seheult de Medcram aide à mieux comprendre le nouveau traitement, son fonctionnement et les essais.

La pilule COVID de Merck (Molnupiravir) : Une nouvelle option thérapeutique ? (Coronavirus Update 130) par le Dr Seheult de Medcram - 20 octobre 2021

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Qui plus est, la manière dont la Grande-Bretagne utilisera les pilules est encore expérimentale (Aripaka, ibid.). Enfin, les données de sécurité du médicament ne sont pas publiques pour l'instant. (Aripaka, ibid.).

Paxlovid de Pfizer

Le médicament de Pfizer, lequel n'est pas encore autorisé au 8 novembre 2021, a été annoncé par la société le 5 novembre 2021. (Pfizer, Communiqué de presse). Il sera commercialisé sous le nom de Paxlovid (Ibid.).

La molécule active, utilisée en association avec un antiviral plus ancien, le ritonavir, "fait partie d'une classe connue sous le nom d'inhibiteurs de protéase, conçue pour bloquer une enzyme dont le coronavirus a besoin pour se multiplier. Pfizer a déclaré que, comme le médicament cible une partie du virus essentielle à sa réplication, l'agent pathogène ne peut pas devenir résistant au traitement". (Beasley, "Explicatif", Ibid.).

L'essai de phase 2/3 de Pfizer "Evaluation of Protease Inhibition for COVID-19 in High-Risk Patients" a commencé son recrutement en juillet 2021, et deux autres études, l'une pour les patients à risque standard et l'autre pour la prophylaxie post-exposition sont toujours en cours (Pfizer, Communiqué de presse, 5 November 2021). "L'analyse primaire de des données intermédiaires a évalué les données de 1 219 adultes inscrits au 29 septembre 2021.(Ibid.) L'évaluation de sécurité a utilisé une cohorte plus large de 1881 patients et se poursuit. (Ibid.).

Selon Pfizer, pour les patients à haut risque, on a constaté que le médicament réduisait le risque d'hospitalisation ou de décès de 89% s'il était administré dans les trois jours suivant l'apparition des symptômes et de 85% s'il était administré dans les cinq jours (Ibid.). Le schéma thérapeutique de Pfizer consiste en trois pilules le matin et trois pilules le soir (Beasley, "Explicatif", Ibid.).

Trop tôt pour un impact global sur la cinquième vague ?

Les résultats du médicament de Pfizer sont donc bien meilleurs que ceux des pilules de Merck, et comme ils impliquent moins de doses, ils pourraient être plus facilement disponibles. Cependant, comme pour Merck, il n'existe pas d'études indépendantes; le nombre de patients ayant utilisé les pilules est faible et les essais sont si récents que les effets secondaires, notamment à moyen et long terme, peuvent difficilement être connus avec certitude.

Il est donc trop tôt pour envisager une utilisation généralisée et mondiale de ces médicaments et pour prendre en compte leur impact. En outre, pour envisager un tel impact mondial, il faudrait également tenir compte de la fabrication.

Il faudra suivre de près ce qui se passe au Royaume-Uni concernant l'utilisation du Molnupiravir.

Mais la panique conduit les autorités politiques à écarter le principe de précaution

Néanmoins, il faut aussi noter que des pays, comme l'Indonésie ainsi que "les États-Unis, la Malaisie, la Corée du Sud, Singapour, la Thaïlande et les Philippines", se pressent pour autoriser et précommander les traitements de Merck, et très probablement ceux de Pfizer (Reuters, “Indonesia reviewing Merck COVID-19 pill, up to 1 mln doses targeted", 8 novembre 2021 ; Merck, Communiqué de presse du 1er octobre 2021; News, Pfizer. Ibid.).Ces médicaments pourraient donc avoir des impacts - positifs et négatifs - plus tôt que ce que la prudence et la sécurité exigeraient.

Il convient de souligner ici une nouvelle fois que, généralement, la découverte d'un nouveau médicament et surtout son expérimentation prennent beaucoup plus de temps que ce qui a été fait dans les deux cas des pilules antivirales, par exemple les 3 mois d'essai de phase 2/3 pour Pfizer, comme nous l'avons souligné dans notre précédent article "Traitements antiviraux du COVID-19 et scénarios“:

Une fois découvert, le nouveau médicament potentiel devra passer par tout le processus d'essai et de développement, y compris les essais cliniques (par ex. Découverte et développement de médicaments dans l'UEU.S. Biopharmaceutical Research & Development).

Classiquement - c'est-à-dire lorsque nous ne sommes pas en mode d'urgence - ce processus prend 10 à 15 ans (Drug discovery, Ibid.) comme le montre l'image ci-dessous :

Hélène Lavoix, Traitements antiviraux du COVID-19 et scénarios", The Red Team Analysis Society, 30 mars 2020.
Découverte et développement de médicaments dans l'UE
EU Drug Discovery and Development, p.11.

Ici, les phases des essais cliniques ont été extraordinairement réduites. Si tout se passe bien, alors tout sera parfait et l'optimisme triomphera. Dans le cas contraire, nous pourrions être confrontés à une catastrophe tragique, voire à des catastrophes multiples. La règle en matière de prospective stratégique et d'alerte précoce est de toujours envisager des scénarios à fort impact, même si le scénario est peu probable, par exemple en élaborant des scénarios de type "wild cards/jokers" (voir Cours sur les scénarios). C'est ce qu'il faudrait impérativement faire ici.

En attendant, la fabrication de ces médicaments ne fait que commencer. Cependant, Merck affirme qu'il pourrait avoir fabriqué 10 millions de cures de son traitement d'ici la fin de 2021 et davantage pour 2022, au moins 20 millions selon Beasley pour Reuters (Merck, Communiqué de presse du 1er octobre 2021; Beasley, "Explicatif", Ibid.). Pour sa part, Pfizer aurait 180.000 cures prêtes d'ici la fin de 2021, et 50 millions d'ici la fin de 2022 (Beasley, "Explicatif", Ibid.). Ainsi, si toutes ces annonces sont correctes et qu'aucune mauvaise surprise n'émerge, alors les formes graves et les décès dûs au COVID-19 pourraient être considérablement réduits (au moins de 50%) pour les pays prenant ces médicaments, avant la fin de la cinquième vague.

Nous devrions considérer l'utilisation généralisée de ces pilules, dans un premier temps, comme une aberration (outlier), mais la surveiller néanmoins de près.

Pour l'instant, pour la cinquième vague, la vaccination reste le facteur majeur à considérer comme pouvant modifier la létalité de cette vague.

Vaccination, immunité et létalité

Si nous voulons avoir une meilleure évaluation de la létalité de la cinquième vague de COVID-19, nous devons donc prendre en compte la vaccination, ses dynamiques et ses effets.

Sécurité de la troisième dose

Notez que nous supposerons ci-dessous qu'il n'y a pas d'effets secondaires graves ni de problèmes de sécurité à moyen ou long terme pour la troisième dose de vaccin. L'existence ou l'absence de tels problèmes de sécurité est jusqu'à présent inconnue. Israël a autorisé l'administration de l'"injection de rappel" le 30 juillet 2021 et a été le premier pays à le faire (Yinon M. Bar-On, "Protection of BNT162b2 Vaccine Booster against Covid-19 in Israel", le 7 octobre 2021, N Engl J Med, 2021 ; 385:1393-1400, DOI : 10.1056/NEJMoa2114255). Il est donc trop tôt pour savoir s'il y a des effets négatifs à moyen ou long terme.

A court terme, selon la surveillance continue du CDC américain (les Etats-Unis ont commencé à administrer les rappels le 12 août 2021), la plupart des effets rapportés sont similaires à ceux des premières doses ("Fièvre, maux de tête, fatigue et douleur au site d'injection sont les effets secondaires les plus fréquemment rapportés"). Ils sont estimés comme "légers à modérés" (pour 92% à 94% des cas). Néanmoins, 6% des cas ont été étiquetés comme "graves" ("réactions signalées après avoir reçu une injection de rappel", sur les données "du 12 août au 10 octobre 2021 pour les personnes âgées de 12 ans et plus").

Quand l'immunité vaccinale diminue

Pour notre objectif, évaluer la létalité de la cinquième vague, la plupart des statistiques agrégées disponibles sont difficiles à utiliser. En effet, ces statistiques ont été créées pour suivre la "course à la vaccination" initiale, qui eut lieu au cours du premier semestre 2021. Elles ont donc tendance à montrer principalement le pourcentage d'une population ayant reçu une dose ou deux doses de vaccins, en utilisant parfois le critère plus pertinent de schéma vaccinal complet. Ces statistiques comparent ensuite les pays.

Cependant, ce qui nous importe, ce n'est pas seulement la proportion de la population qui bénéficie d'un programme de vaccination complet, ni le degré d'avancement ou de retard d'un pays par rapport aux autres, mais aussi le moment où la vaccination a eu lieu et pour quelle proportion de la population.

Expliquons plus en détail pourquoi cela est important.

L'immunité vaccinale diminue "considérablement" six mois après le schéma vaccinal complet

Comme nous l'avons vu dans l'article précédent, comme le montre le cas d'Israël, et comme l'admettent aujourd'hui la plupart des gouvernements lorsqu'ils soulignent la nécessité d'une troisième dose, l'immunité induite par de nombreux vaccins contre le COVID-19 s'estompe avec le temps. Ce déclin se produit certainement après six mois, et même peut-être avant selon les vaccins (par exemple, US CDC “Infections in fully vaccinated persons: clinical implications and transmission” in Science Brief: COVID-19 Vaccines and Vaccination – mise à jour 15 septembre 2021; Matthew Loh et Hilary Brueck, "Pfizer’s COVID-19 protection against infection may wane in months, but it still prevents hospitalization and death for at least 6, new studies suggest“, Insider, 8 octobre 2021).

C'est également vrai pour le vaccin chinois CoronaVac de Sinovac, les scientifiques ayant montré que l'immunité tombe après six mois. Une étude chinoise a conclu :

" Notre étude a révélé qu'un calendrier de vaccination à deux doses de CoronaVac (formulation de 3 μg) générait une bonne mémoire immunitaire. Bien que le titre d'anticorps neutralisants ait chuté à des niveaux faibles 6 mois après la deuxième dose, une troisième dose a été très efficace pour rappeler une réponse immunitaire spécifique au SRAS-CoV-2, entraînant un rebond significatif des taux d'anticorps. "

Hongxing Pan et al. "Immunogenicity and safety of a third dose, and immune persistence of CoronaVac vaccine in healthy adults aged 18-59 years: interim results from a double-blind, randomized, placebo-controlled phase 2 clinical trial“, medRxiv, 25 juillet 2021."

Étant donné qu'une proportion si importante de la population mondiale utilise le CoronaVac chinois, lequel est administré dans 26 pays et fait partie du dispositif mondial COVAX, les résultats de Hongxing Pan et al. sont essentiels en termes de létalité globale de la cinquième vague, ainsi que, potentiellement, pour les prochaines.

Mise à jour du 25 novembre 2021: Selon des études menées en Israël, une troisième dose administrée à 5 mois est très efficace pour augmenter la protection contre l'hospitalisation, les formes graves de COVID 19 et le décès, par rapport à deux doses administrées au moins cinq mois auparavant. Par exemple :

" L'efficacité du vaccin évaluée au moins 7 jours après la réception de la troisième dose, par rapport à la réception de deux doses seulement depuis au moins 5 mois, a été estimée à 93% (231 événements pour deux doses.... vs 29 événements pour trois doses ; 95% CI 88-97) pour l'admission à l'hôpital, 92% (157 vs 17 événements ; 82-97) pour la maladie grave, et 81% (44 vs sept événements ; 59-97) pour les décès liés au COVID-19".

Noam Barda, MD et al, "Efficacité d'une troisième dose du vaccin COVID-19 à ARNm BNT162b2 pour la prévention des issues graves en Israël : une étude observationnelle“, The Lancet,
Publié :29 octobre 2021, DOI:https://doi.org/10.1016/S0140-6736(21)02249-2

Il aurait été intéressant d'avoir des études similaires vérifiant plus précisément quand le schéma complet de vaccination a eu lieu (il y a 5 mois, 6 mois, 7 mois par exemple) pour avoir une meilleure compréhension du renforcement de l'immunité d'une part, de son déclin d'autre part. Les calculs ci-dessous sont faits sur la base d'un délai de 6 mois pour une injection de rappel impérativement nécessaire et non de 5 mois. Si jamais le déclin vraiment dangereux se généralisait à 5 mois, alors les résultats ci-dessous doivent être adaptés en conséquence, la charge et les risques sont accrus.

Diminution de l'immunité après six mois et impact sur la létalité d'une vague

Ainsi, pour estimer la létalité de la cinquième vague, il faut considérer qu'à environ 180 jours après la vaccination complète, parce que les niveaux d'anticorps auront fortement diminué, la sévérité et la létalité du COVID-19 tendra de nouveau vers des niveaux " similaires " à ceux que l'on connaîtrait sans vaccination. Nous ne savons pas à quelle vitesse se produira le retour à la létalité initiale du COVID-19. Nous ne connaissons pas la proportion de la population qui sera à risque et à quel moment. Ces deux aspects sont néanmoins suffisamment significatifs, compte tenu des études et de ce qui s'est passé en Israël (cf. l'article précédent).

Cependant, lorsqu'une troisième dose est administrée, la protection renforcée contre la gravité et la létalité du COVID-19 revient, pour une durée inconnue. Nous ne saurons que si la durée de l'immunisation après la troisième dose est supérieure à six mois, au plus tôt de fin janvier à mi-février 2022, car les troisièmes doses ont commencé à être administrées en Israël le 30 juillet 2021 et aux Etats-Unis le 12 août 2021 (Ibid., CDC note 2), en supposant qu'aucun autre variant préoccupant n'émerge et se propage.

Nous avions alerté au sujet des principales incertitudes relatives à la durée de l'immunité et à son impact sur l'idée d'immunité collective, ainsi que sur la nécessité d'un suivi vaccinal dans notre article "La vaccination contre le COVID-19, espoir ou mirage ?" en octobre 2020. Sachant qu'en cas d'incertitude critique, la méthodologie correcte est de surveiller l'évolution des facteurs clés et, de préférence, de créer des scénarios, les autorités politiques et sanitaires ne devraient pas être surprises par la réalité de la situation actuelle. Si un acteur se trouve donc surpris par l'évolution actuelle, cela signifie qu'il doit réviser de toute urgence son système d'alerte précoce (voir, sur le sujet, formation et cours en ligne).

La baisse de l'immunité vaccinale, quel impact sur la létalité d'une vague ? Le cas des États-Unis.

Nous savons maintenant qu'il y aura un impact, qu'il se produira après six mois et qu'il aurait dû être surveillé. Cependant, quelle pourrait être l'ampleur de cet impact ?

Nous sommes dans le domaine des tendances car nous ne savons pas exactement comment cette dynamique fonctionne.

Les chiffres du Financial Times que nous utilisons ici, car ils fournissent les séries historiques multipays dont nous avons besoin, prennent en compte toutes les vaccinations, quel que soit l'âge. Les moins de 18 ans sont inclus de façon croissante dans ces statistiques de vaccination, mais comme ces vaccinations spécifiques (par tranches d'âges) varient selon les pays et les dates, des distorsions peuvent être introduites lorsqu'on essaie d'évaluer la létalité.

Nous sommes donc ici plutôt dans le domaine des estimations brutes. D'autres recherches détaillées au niveau des pays seraient nécessaires. Il est néanmoins intéressant de regarder avec attention ce qui pourrait se passer.

Par exemple, les États-Unis ont vacciné entre 8,6% de leur population le 5 mars 2021 et 40,6 % le 1er juin (Données du Financial Times - tous les âges). Ainsi, en utilisant l'intervalle 180 jours/six mois, cela signifie que le 5 septembre 2021, 8,6% de sa population devait recevoir une troisième dose ou risquait de nouveau une forme grave du COVID-19 et la mort. Au 1er décembre 2021, c'est 40,6% de la population, quel que soit l'âge, qui devra avoir reçu une troisième dose.

Continuons avec les États-Unis. Le pays a commencé à administrer la 3e dose le 12 août 2021. Le 4 novembre 2021, 11,9% des Américains de plus de 18 ans entièrement vaccinés (11,1% pour la population totale vaccinée) avaient reçu leur troisième dose (Statistiques du CDC). Si la limite de 6 mois pour l'immunité est correcte, nous devrions regarder le nombre de personnes vaccinées six mois avant le 4 novembre 21, c'est-à-dire le 4 mai, pour avoir une idée de l'écart entre ceux qui ont reçu leur 3ème dose et ceux qui auraient dû la recevoir. Cet écart représente les personnes qui sont confrontées à des risques accrus de maladie grave et de décès, si elles sont infectées par le SRAS-CoV-2. Le 4 mai 2021, 31,7% des Américains étaient complètement vaccinés. Par conséquent, le 4 novembre 2021, si l'on se base sur les chiffres totaux, 20,6% (31,7 - 11,1) des Américains sont à nouveau confrontés à une augmentation rapide des risques de maladie grave ou de décès. En fait, cette estimation devrait être révisée par catégories de population (âge, comorbidité, etc.).

Ainsi, le 4 novembre 2021, le nombre total d'Américains réellement protégés par la vaccination n'est que de 37,6% (58, 2 - 31, 7 + 11,1).

Cela arrive alors que le pays ouvre ses frontières, notamment aux voyages aériens (voir Vers une cinquième vague de Covid-19 ?The Red Team Analysis, Society; Reuters, "What you need to know about the new U.S. international air travel rules", 7 novembre 2021).

Notons que si l'on utilise la proportion d'Américains de plus de 18 ans pour le niveau actuel de vaccination et de rappels, on obtient une couverture plus importante de 50,1% (69,9 - 31,7 + 11,9). Ce chiffre est cependant probablement incorrect car le chiffre historique pour le mois de mai donné par le FT concerne le total des personnes vaccinées, indépendamment de l'âge.

Les États-Unis entament donc la cinquième vague avec 30,1% de leur population de plus de 18 ans qui n'est pas du tout vaccinée et 20,6% de la population américaine totale vaccinée confrontée à de nouveaux risques. Ces derniers, en outre, peuvent se laisser bercer par un sentiment de fausse sécurité. Au 1er décembre, comme on l'a vu, ce seront 40,6% de personnes vaccinées qui auront besoin d'une dose de rappel, sachant que le 4 novembre, seules 11,1% en avaient reçu une. Ce sont donc 29,5% qui auront besoin d'une dose de rappel. Ces chiffres évolueront avec le temps, au fur et à mesure que les personnes recevront une troisième dose. Nous sommes néanmoins loin d'une quelconque immunité de groupe.

Voyons maintenant ce qui s'est passé aux États-Unis pendant la quatrième vague (du 20 juin au 20 octobre 2021). La quatrième vague a apparemment commencé avec 44,7% personnes vaccinées et a terminé avec 56,4% personnes vaccinées. On peut donc penser qu'il y a une amélioration. Cependant, il faut tenir compte des personnes vaccinées qui ont vu leur immunité induite par la vaccination diminuer au fur et à mesure de la quatrième vague. Ces personnes qui ont recommencé à être à risque sont celles qui avaient été totalement vaccinées entre le 20 janvier (n.d. ; moins de 8,6%) et le 20 avril (25,8%) moins celles qui avaient reçu une dose de rappel.

Les Américains réellement protégés lors de la quatrième vague sont passés de 44,7% (moins un nombre inconnu) le 20 juin à 44% (52,5 - 8,5% le 5 mars) plus ceux ayant reçu leur dose de rappel le 5 septembre, à 30,6 % (56,4 - 25,8) plus ceux ayant reçu leur dose de rappel le 20 octobre (dans le cadre d'un article en accès libre, il n'est pas possible de donner des chiffres plus précis).

Par conséquent, au cours de la quatrième vague, 131.276 (732.634 – 601.358) Américains sont morts du COVID-19.

Supposons que cela corresponde à une protection moyenne de 45%. Si nous imaginons que les États-Unis vont à la fois augmenter légèrement la vaccination de la population et accélérer les rappels, nous pourrions prendre une protection moyenne de 50% pour la cinquième vague, nous aurions alors 119.341 décès. Plus les troisièmes doses seront administrées et plus les personnes non vaccinées seront complètement vaccinées, plus le chiffre réel sera bas.

Toutefois, nous ne pouvons utiliser ce type d'estimation brute que si les infections n'augmentent pas. Compte tenu de l'ouverture des frontières et des voyages (ibid.), de la diminution des interventions non pharmaceutiques et peut-être du sentiment que la pandémie est terminée, il est possible, pour ne pas dire très probable, que le nombre de décès s'aggrave.

Vaccination et baisse de l'immunité, faut-il s'inquiéter de la létalité mondiale de la cinquième vague ?

Il ressort clairement de l'exemple des États-Unis qu'il serait vain d'essayer de chiffrer la létalité de la cinquième vague mondiale sans entrer dans de longues simulations. Nous pouvons néanmoins évaluer si nous devons nous inquiéter ou non.

Si nous regardons à nouveau Israël, entre le 20 juin et le 25 octobre 2021, les décès cumulés sont passés de 6.427 à 8.049, c'est-à-dire que 1.622 personnes sont mortes au cours de la quatrième vague. Comparativement, au cours de la vague précédente (21 novembre 20 - 21 avril 20), 3.550 personnes sont mortes (6.346 - 2.796 - 3.622, Our World in Data). Ainsi, la vaccination avec une immunité déclinante, mais avec certaines mesures non pharmaceutiques comme le rétablissement rapide du masque, et avec des frontières restant fermées, a conduit à une vague moins létale que précédemment par 54%.

À partir des cas israélien et américain, nous pouvons déduire que même si nous sommes très optimistes, nous devons néanmoins nous inquiéter de la cinquième vague.

Israël, un pays doté d'un niveau élevé de vaccination, d'un système médical très performant, d'une politique très réactive en matière d'intervention non pharmaceutique et d'une population peu nombreuse, a réussi à réduire de moitié seulement les décès causés par le virus lorsque la quatrième vague l'a frappé.

Les États-Unis, pour leur part, se focalisent fortement sur la vaccination, mais ont le plus grand nombre de décès dans le monde causés par la pandémie, notamment en raison d'une relation à la prudence politiquement biaisée. Ses perspectives pour la cinquième vague sont donc que beaucoup d'Américains vont encore mourir, probablement plus de 100.000, surtout si les frontières sont ouvertes de façon inconséquente.

Or, si l'on considère que le taux de vaccination dans le monde est encore très faible (2,994 milliards au 4 novembre 21, soit 37,89%), dont un nombre inconnu est déjà susceptible de retomber gravement malade et de mourir, les perspectives ne peuvent être très bonnes. Nous devrions nous préparer à affronter à nouveau une vague à létalité élevée (par rapport à l'absence de pandémie), notamment en raison de la réouverture des frontières.

Globalement, en termes de vaccination, un immense effort doit encore être fait pour vacciner complètement plus de 60% de la population mondiale. Or, la vaccination pour la 3e dose doit, dans le même temps, être mise en œuvre pour les personnes déjà totalement vaccinées, et cela dès que l'on atteint 6 mois après la dernière injection. L'effort à fournir reste donc immense.

L'évaluation initiale faite à partir des 2e, 3e et 4e vagues était probablement trop optimiste, notamment parce que, pour les premières vagues, les frontières étaient fermées. Ce n'est plus cette orientation qui prévaut encore à l'aube de la cinquième vague.

Un obstacle de plus

Pour les pays qui ont déjà mis en œuvre une politique de vaccination, un obstacle supplémentaire peut exister, qui pourrait accroître la létalité.

Si les gouvernements ont incité leurs citoyens à se faire vacciner en leur promettant la fin de la pandémie et un retour à la période pré-pandémique, ces citoyens peuvent développer diverses réactions indésirables.

Ils peuvent ne pas croire qu'une troisième dose est vraiment nécessaire, compte tenu du biais appelé "persévérance des croyances" ou "persistance des preuves discréditées" (voir la formation et cours en ligne: "mitigating biases" ou "analytical modeling"). Ils peuvent ainsi être la proie des théories du complot. Ils peuvent également ne pas adopter un comportement approprié pour se protéger et protéger les autres.

Si les citoyens se rendent compte que la connaissance relative à l'affaiblissement de l'immunité après 6 mois était facilement disponible ou aurait pu être anticipée, alors qu'ils ont reçu un message contraire, ils peuvent alors penser que leur gouvernement est soit incompétent, soit menteur. Dans les deux cas, c'est une très mauvaise nouvelle pour la légitimité et la capacité dudit gouvernement à mettre en œuvre toute politique, y compris une campagne de vaccination de masse pour la troisième dose, ou toute autre campagne d'intervention non pharmaceutique.

Ainsi, selon les pays et selon le type de politiques utilisées pour la campagne de vaccination pour les deux premières doses, la cinquième vague peut devenir plus ou moins mortelle.

Conclusion

D'une manière générale et à l'échelle mondiale, la létalité, malgré les efforts déployés, risque fort de se poursuivre jusqu'à ce que la vaccination procure une immunité durable et prévienne également les infections. Nous devrions être d'autant plus inquiets que les risques d'émergence de nouvelles variants préoccupants restent élevés, comme on l'a vu (article précédent).

Les nouveaux traitements peuvent modifier complètement ces perspectives. Cependant, les risques liés à une large diffusion de ces traitements sont également très élevés, même s'ils ne se concrétisent que beaucoup plus tard.

Par conséquent, moins les frontières seront ouvertes sans tenir compte des 180 jours d'immunité, plus les interventions non pharmaceutiques, notamment les masques et les quarantaines, seront opérationnelles et rétablies avec souplesse, moins la cinquième vague sera meurtrière.

Que sont les guerres climatiques ?

Alors que le changement climatique s'intensifie, un enjeu majeur est de comprendre comment la géophysique en évolution rapide et la guerre sont imbriquées. Depuis 2013, au Red Team Analysis Society, nous étudions la manière dont le changement climatique, l'armée et la géopolitique interagissent (Sécurité face au changement climatique, The Red Team Analysis Society).

Depuis lors, les choses ont radicalement changé. La relation complexe entre le changement climatique évolue désormais de plus en plus rapidement. Pour comprendre cette relation, nous devons d'abord comprendre ce que sont ou seront les "guerres climatiques".

Les "guerres climatiques" sont des guerres

C'est la politique, idiot !

Partout dans le monde, on constate une implication croissante des militaires en réponse à la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes. Cela peut apparaître comme un lien évident entre le climat et la guerre. Cependant, nous devons garder à l'esprit que, comme Clausewitz le définit, "la guerre n'est qu'une simple continuation de la politique par d'autres moyens" (Carl von Clausewitz, Sur la guerre, chap. I, 24, 1832)

En d'autres termes, les autorités politiques décident de faire la guerre, ou pas. La politique est le facteur décisif.

Zone de danger

De plus, l'état du climat peut avoir des conséquences sur les conditions de vie des groupes humains et imposer un stress important. Par exemple, le changement climatique met en danger l'agriculture et le cycle de l'eau des petites, grandes et très grandes populations et sociétés (Jean-Michel Valantin, "Inondations dans le Midwest, guerre commerciale et pandémie de grippe porcine : la super tempête agricole et alimentaire est là.”, The Red Team Analysis Society3 juin 2019).

Ce genre de situation peut déclencher une compétition pour les ressources de base, comme la nourriture et l'eau (Richard S. Cottrell, "Chocs de la production alimentaire à travers la terre et la mer".Durabilité de la nature, 28 janvier 2019).

Il se trouve qu'au niveau mondial, plusieurs années de mauvaises récoltes céréalières ont eu lieu entre 2006 et 2011. Ces mauvaises récoltes sont le résultat d'une série d'événements climatiques extrêmes dans les régions les plus importantes pour la culture des céréales.

En 2006, le sud de la Chine, où l'on cultive le riz, a connu une vague de chaleur. En 2008, 2009 et 2010, nous avons eu des inondations géantes dans le Midwest américain, des vagues de chaleur au Canada, en Australie, en Ukraine et en Russie. Ensuite, les rendements agricoles relativement faibles ont déclenché la spéculation (Werrell et Femia, Le printemps arabe et le changement climatique, 2013).

L'inflation consécutive des prix a durement touché les sociétés arabes du Maroc à la Syrie (Ibid.). En effet, le pain est la denrée de base pour 70% de la population de ces pays (Ibid.). Ainsi, Des tensions ont été déclenchées dans des pays déjà sursollicités. Ainsi, les premières manifestations pour contester Ben Ali en Tunisie ont été des manifestations dénonçant le prix insupportable du pain (Ibid.).

Ces manifestations pour le pain ont été les événements déclencheurs des réactions sociales, politiques et géopolitiques massives appelées "Printemps arabe". Ce processus massif enchevêtre les bouleversements politiques, les guerres civiles et internationales et s'est prolongé avec la guerre de Syrie (Werrell et Femia, ibid).

Polarisation

De l'Himalaya avec (pas tellement) d'amour

Nous devons garder à l'esprit qu'il existe plusieurs familles de guerre, et différents niveaux d'intensité et d'échelle. Il ne faut pas confondre un état de tension avec un état de guerre. Cependant, ce dernier peut émerger du premier.  

Par exemple, le 1er juin 2020, des patrouilles indiennes et chinoises se sont affrontées lors d'une escarmouche dans la région du Ladakh. Vingt soldats indiens sont morts et 43 Chinois ont été blessés (Aijaz Hussain, "Inde : 20 soldats tués dans un affrontement avec la Chine dans l'Himalaya”, Actualités APLe 16 juin 2020). Depuis cet incident d'une rare violence, les tensions militaires et politiques se sont exacerbées entre les deux géants asiatiques.

Cet incident semble avoir été déclenché par les tensions croissantes entre la construction de routes, de barrages et de fortifications par la Chine et l'Inde le long de la frontière. Depuis 2020, la Chine et l'Inde ne cessent de construire des infrastructures militaires tout en amassant des milliers de soldats. Et ainsi, aggraver le risque d'escalade militaire et politique (Baani Grewal et Nathan Ruser, " Une plongée en 3D dans le conflit frontalier entre l'Inde et la Chine", ASPI- Le stratège, 21 octobre 2021) .

Il faut noter que six mois après cette escarmouche militaire, Pékin a annoncé que PowerChina allait construire un barrage sur la rivière Yarlung Tsangpo au Tibet. Ceci est susceptible de changer le contexte politique de ces tensions en un conflit international explicite sur l'eau. En effet, lorsqu'il quitte le Tibet, ce fleuve traverse l'Inde. Là, il devient le Brahmapoutre en Inde et le Jamuna au Bangladesh (Jagannath P. Panda, "Pékin renforce sa position d'"hégémon de l'Himalaya" grâce à l'hydroélectricité”, La Fondation JamesTown, 7 juin 2021).

Des barrages pour le climat, des barrages pour la géopolitique

Pour la Chine, d'une part, ce nouveau barrage est nécessaire pour obtenir suffisamment d'eau pour le projet hydraulique Sud-Nord. Mao a pensé à ce projet pour la première fois en 1950. Le nouveau barrage a finalement été annoncé en 2014. Il vise à transférer l'eau de la région riche en eau du sud afin de soutenir le développement du nord.

D'autre part, le barrage de 60 gigawatts soutiendra la politique chinoise d'atténuation du changement climatique. Sa production d'électricité renouvelable favorisera le développement du mix énergétique chinois en diminuant la consommation nationale de charbon (Shan Jie et Li Xiaoyi, "La Chine va construire un projet hydroélectrique historique sur le fleuve Yarlung Tsangpo au Tibet”, Global Times, 2020/11/29).

Cependant, ces nouvelles politiques de l'eau et ces tensions militaires s'inscrivent dans des paysages géopolitiques et stratégiques déjà surchargés. Il se trouve que la Chine et le Pakistan, l'archi-adversaire de l'Inde, ont signé un protocole d'accord pour la construction de deux barrages géants sur l'Indus, dont l'un dans la région de Gilgit-Batilstan, dans l'Himalaya, revendiquée à la fois par l'Inde et le Pakistan et proche de la Chine (Drazen Jorgic, "Le Pakistan envisage le démarrage en 2018 d'un méga barrage financé par la Chine, contré par l'Inde”, Reuters, 13 juin 2017).

Ces barrages produiront respectivement 4200 MW et 2700 MW d'électricité, et leur construction coûtera 27 milliards de dollars. Ils font partie des accords chinois " One Belt One road - New silk road " signés entre la Chine et le Pakistan en 2015 (Valantin, "La Chine et la nouvelle route de la soie : la stratégie pakistanaise”, L'analyse de la Red Team, 18 mai 2015). Les autorités politiques indiennes s'inquiètent des conséquences de ces barrages sur l'écoulement des eaux du Cachemire, qui constitue une source d'eau majeure pour le pays, ainsi que pour le Pakistan.

Ces tensions stratégiques ont lieu dans un environnement écologique et climatique en rapide mutation. Cette "course aux barrages" se produit lorsque la fonte des glaciers de montagne s'accélère en raison du changement climatique.

Le changement climatique : il change tout

Il se trouve que le changement climatique est un facteur majeur de tensions géopolitiques et stratégiques, car les sources des grands fleuves asiatiques, nécessaires à la vie de milliards de personnes, sont situées dans ces mêmes glaciers.

Et le développement de ces pays nécessite d'utiliser de plus en plus d'eau (Robert Scribbler, "La méga inondation glaciaire : le réchauffement climatique pose un risque croissant d'inondation par débordement glaciaire de l'Himalaya au Groenland et à l'ouest de l'Antarctique”, Robertscribbler : gribouiller pour la justice environnementale, sociale et économiquele 19 août 2013).

Qui est l'eau ?

Aujourd'hui, la Chine et l'Inde dominent ensemble l'Asie du Sud et l'Asie de l'Est, tout en étant des puissances économiques et politiques régionales et internationales. En outre, leur population globale s'élève à près de 3 milliards de personnes - soit près de 40% de tous les êtres humains.

Par conséquent, les tensions créées par leur concurrence pour l'eau dans un monde qui se réchauffe constituent un nouveau type de crise géopolitique. Cela signifie que le changement climatique exerce une pression de plus en plus forte sur les acteurs politiques et militaires, qui sont déjà en désaccord les uns avec les autres, tout en soumettant les systèmes de coopération dans le domaine de l'eau à un stress croissant.

Depuis 2020, ces tensions militaires s'intensifient et les deux puissances accélèrent la militarisation de l'Himalaya (Shweta Sharma, "L'Inde et la Chine renforcent leur puissance de feu à la frontière avec des obusiers et des lance-roquettes.”, L'Indépendant, 21 octobre 2021).

Le lien entre géophysique et géopolitique

Le changement climatique devient ainsi un amplificateur des crises géopolitiques actuelles et futures. En effet, il accélère d'abord la fonte des glaciers. Ensuite, pour la Chine, ces barrages sont aussi un moyen d'atténuer le changement climatique, tout en disposant de suffisamment d'eau pour son développement. Or, cette approche est un important facteur de concurrence pour l'Inde, qui refuse de dépendre de l'hydroélectricité chinoise.

Le changement climatique entraîne donc l'émergence d'un nouveau type de crise géopolitique d'une ampleur incroyable. Le nœud de cette crise d'un nouveau genre est la relation complexe entre la sécurisation de l'accès à l'eau pour les pays géants tout en subissant les effets du changement climatique. Dans le même temps, ils tentent d'atténuer le changement climatique, tout en s'y adaptant.

En d'autres termes, la nature même des tensions militaires croissantes entre la Chine et l'Inde est la transposition de leur profondeur historique dans le contexte de la crise géophysique actuelle. L'eau étant la vie, en particulier pour les nations fortes de 1,5 milliard d'habitants, le changement climatique les "turboïse" et les transforme en quelque chose qui peut se transformer en conflits existentiels.

La guerre pour les besoins de base ?

Le printemps arabe de 2011 et les tensions militaires entre la Chine et l'Inde de 2020-2021 révèlent comment le changement climatique exerce une pression majeure sur l'accès à la nourriture et à l'eau de pays entiers, y compris les deux pays les plus peuplés de la planète.

Cela nous indique que les guerres climatiques, sous couvert de guerres civiles ou internationales, sont des guerres pour les besoins fondamentaux. En tant que tel, s'il n'y a pas d'effort massif pour atténuer le changement climatique, la menace sur les besoins fondamentaux peut très bien conduire à une montée en puissance militaire et stratégique aux extrêmes.


Image en vedette : Image par Gerd AltmannPixabay, Domaine public. 


Vers une cinquième vague de Covid-19

Sommes-nous au début d'une cinquième vague de la pandémie de COVID-19 ? Si oui, est-elle dangereuse et devons-nous nous en inquiéter ? Sinon, la pandémie de COVID-19 est-elle terminée ? Ou, a-t-elle évolué vers une maladie endémique qui n'est pas plus dangereuse que la grippe saisonnière ? En attendant, avons-nous simplement accepté les décès liés au COVID-19 comme une fatalité, ne méritant pas qu'on s'en préoccupe ?

La façon dont nous "vivrons avec le COVID-19", avec des politiques différentes selon les pays, variera en fonction des réponses que nous donnerons à ces questions. Le succès dépendra de la manière dont nos réponses seront adaptées à la réalité de la pandémie COVID-19 et à son évolution dans le futur.

Ce premier article porte sur une cinquième vague mondiale de la pandémie de COVID-19. Nous estimons qu'il est probable que la cinquième vague vienne de commencer. Nous donnons des estimations possibles quant à sa durée et examinons les facteurs qui façonneront cette vague, à savoir les restrictions anti-Covid-19 et les politiques de voyage, la vaccination et la durée de l'immunité, et enfin l'émergence de variants. les restrictions anti COVID-19 et les politiques de voyage, la vaccination et la durée de l'immunité, et enfin l'émergence de variants.

Le prochain article portera sur les impacts et les conséquences possibles de cette vague.

L'aube d'une cinquième vague : l'émergence d'une périodicité globale

Des indices convergent pour nous avertir du début très probable d'une cinquième vague de COVID-19, au niveau mondial.

Si nous observons les tendances statistiques globales de la pandémie, en utilisant une moyenne sur sept jours (la ligne jaune), nous obtenons le graphique suivant.

Infections et décès dus au COVID-19 dans le monde entre janvier 2020 et le 24 octobre 2021 (source : Reuters COVID-19 Global tracker).

La première vague ou une hausse de la contamination mondiale - décembre 2019 au 9 octobre 2020.

La première vague ressemble en fait à une très grande et longue vague qui ne s'est pas retirée. Plus qu'une vague, nous pouvons prendre l'analogie d'une élévation globale du niveau de la mer. Elle correspond au temps qu'il a fallu au virus pour se propager à l'échelle mondiale et couvrir le monde d'un certain nombre d'infections et de décès. Cette période a duré du début de la pandémie jusqu'au début du mois d'octobre 2020.

Des vagues de quatre mois

Puis, vers le 10 octobre 2020, une deuxième vague a commencé avec une forte augmentation des cas (et des décès) et un sommet atteint vers le 14 janvier 2021. Cette vague a duré jusqu'au 18 février environ, date à laquelle nous avons atteint un creux pour les contagions. À ce moment-là, nous avons vu une inversion de tendance et les infections ont recommencé à augmenter. La deuxième vague a donc duré environ 4 mois.

La vague suivante a commencé le 18 février 2021, a été à son sommet approximativement le 29 avril, puis a diminué jusqu'au 20 juin 2021. Là encore, la vague a duré presqu' exactement 4 mois.

La quatrième vague a commencé le 20 juin 2021, a atteint un pic le 18 août 2021, et a diminué depuis, jusqu'au 20 octobre 2021 environ. (Nota 3 novembre 2021 : avec les mises à jour statistiques, à ce jour, les infections ont atteint un plus bas le 17 octobre 2021 à 300.399 et ont ensuite recommencé à augmenter).

Même si deux, voire trois, cas sont insuffisants pour faire des déductions certaines, nous pouvons néanmoins émettre l'hypothèse que, globalement, une vague pandémique COVID-19 dure quatre mois. Compte tenu des variations constatées dans les différents pays, il est étonnant d'observer une périodicité aussi régulière au niveau mondial. Une fois de plus, comme pour d'autres phénomènes, cela plaide pour l'adoption d'une perspective globale et systémique sur la pandémie, son évolution et ses dynamiques.

Cette périodicité globale varierait en fonction des mesures mécanistiques simples contre le virus (masques, quarantaines, éloignement social, fermeture des frontières et entrave aux déplacements), de la vaccination et de son efficacité - et à l'avenir éventuellement des traitements, de la force et de la durée de l'immunité induite, et finalement de la virulence et du pouvoir d'infection des variants.

La cinquième vague devrait durer du 20 octobre 2021 au 20 février 2022.

Si l'hypothèse des quatre mois est correcte, alors nous devrions avoir vu le début de la cinquième vague vers le 20 octobre 2021. Nous sommes actuellement à ce moment où le nombre d'infections dans le monde est au plus bas, mais où il a néanmoins recommencé à augmenter.

En supposant qu'aucune des conditions actuelles ne change, la cinquième vague atteindrait un sommet entre le 20 décembre 2021 (forme de la 4ème vague) et le 20 janvier 2022 (forme de la seconde vague), puis diminuerait jusqu'aux environs du 20 février 2022.

Les principaux facteurs influençant la forme globale de la vague pandémique

Voyons maintenant comment les différents facteurs influençant les vagues de pandémie sont susceptibles de jouer.

Un assouplissement mondial des restrictions anti COVID-19 ?

Des mesures restrictives flexibles plutôt que des assouplissements

Globalement, nous constatons une tendance à assouplir autant que possible les différentes mesures anti COVID-19, appelées "interventions non pharmaceutiques".

Les pays tentent de se débarrasser des masques, promettent de ne plus mettre en place de confinement, de mettre fin aux quarantaines et aux restrictions de voyage pour les personnes vaccinées.

À titre d'exemple, l'Australie a modifié sa politique en vue d'alléger les restrictions (Frances Mao, "Why has Australia switched tack on Covid zero?", BBC News, 3 septembre 2021).

Pour sa part, le gouvernement britannique souligne qu'à présent, l'économie passe avant tout. En effet, selon The Times:

"Le ministre britannique des finances, Rishi Sunak, a déclaré qu'il ne fallait pas revenir à des "restrictions économiques importantes" malgré une augmentation récente des cas de COVID-19 dans le pays."

Reuters, citant The Times, “UK’s Sunak rules out return to major COVID restrictions -The Times", 23 octobre 2021

Le gouvernement britannique réaffirme en effet sa politique en matière de COVID-19 malgré les demandes des scientifiques de revenir aussi vite que possible à des restrictions anti-Covid-19 (par exemple Associated Press, "Scientists urge UK to prep rapid return of COVID measures“, Euronews, 22 octobre 2021 ; Skynews, "UK ‘dilly-dallying into lockdown’ – take Plan B action now, warns government adviser", 23 octobre 2020).

De même, la Corée du Sud, qui a vacciné 70 % de sa population, a pour objectif de supprimer la plupart des contraintes, à l'exception des masques, d'ici à février 2022 (Sangmi Cha, "South Korea plots course to scrapping COVID curbs by early 2022“, Reuters, 26 octobre 2021).

Les restrictions aux voyages sont supprimées ou assouplies autant que possible, par exemple à Singapour, en Malaisie et en Thaïlande ou au Canada, qui "abandonne certaines politiques à destination des voyageurs” (The Hill, 24 octobre 2021 ; voir aussi "Malaysia and Singapore ease international travel restrictions in pivot to living with Covid“, CNN, 11 octobre 2021 ; "Singapore launches quarantine-free travel to 10 countries“, Financial Times, 19 octobre, 2021 ; Reuters, “Thailand announces reopening rules for tourism reboot", 22 octobre 2022, etc.)

À partir du 8 novembre 2021, les États-Unis imposent " des exigences en matière de vaccins pour la plupart des voyageurs aériens de nationalité étrangère " tout en " levant les sévères restrictions de voyage en ce qui concerne la Chine, l'Inde et une grande partie de l'Europe " (David Shepardson, "Biden imposes new international travel vaccine rules, lifts existing restrictions“, Reuters, 26 octobre 2022)

Cela dit, cette tendance vers un assouplissement des interventions non pharmaceutiques peut, en fait, être un sentiment subjectif généré par une propension des médias occidentaux à se concentrer sur les changements et la nouveauté.

Pour évaluer plus objectivement la situation, examinons l'indice de "Stringency", "une mesure composite basée sur neuf indicateurs de réponse" au COVID-19 développée par "Our World in Data" et basée sur le Oxford COVID-19 Government Response.

Vidéo de l'évolution de l'indice de rigueur COVID-19, "une mesure composite basée sur neuf indicateurs de réponse" au COVID-19 développé par "Our World in Data"et basé sur le Oxford COVID-19 Government Response Tracker.

La vidéo ci-dessus montre que nous sommes encore loin du monde tel qu'il était avant la pandémie. Les politiques de lutte contre le COVID-19 sont moins strictes qu'elles n'ont pu l'être, notamment au cours du premier semestre 2020 après le début de la pandémie, mais elles sont toujours en vigueur.

Il apparaît également que même si les pays tentent d'assouplir leurs mesures anti-COVID-19, ils les rétablissent relativement rapidement lorsque le COVID-19 recommence à se propager et que les hospitalisations et les décès augmentent. Ce fut le cas en Israël lorsque la quatrième vague a commencé (Israel to reinstate indoor mask mandate next week as COVID-19 cases keep rising, 24 June 20211; Statement by PM Bennett, 22 July 2020.

C'est désormais le cas en Allemagne, pour certains voyages : "Travel Restrictions Tighten Up for Arrivals From Bulgaria, Croatia, Singapore, Cameroon & Congo" (22 octobre 2021).

C'est également le cas aux Pays-Bas où le gouvernement prévoit de nouvelles restrictions pour faire face à une augmentation des infections et des hospitalisations, principalement jusqu'à présent chez les personnes non vaccinées (Reuters, "Dutch consider new coronavirus curbs as infections soar", 25 octobre 2021).

La vaccination actuelle comme chèque en blanc : une porte ouverte à l'augmentation de la circulation mondiale du virus ?

Fondamentalement, une vaccination complète avec les vaccins les plus efficaces tend à être considérée comme la condition, nécessaire et suffisante, pour un retour à la normale. Le nouvel ordre relatif aux restrictions de voyage que le président Biden a signé le 25 octobre 2021 illustre parfaitement cette conviction (Maison Blanche, "A Proclamation on Advancing the Safe Resumption of Global Travel During the COVID-⁠19 Pandemic"). Les vaccins autorisés à entrer aux États-Unis sont ceux que les régulateurs américains ou l'Organisation mondiale de la santé reconnaissent, ce qui signifie que les vaccins chinois Sinopharm et Sinovac sont acceptés, tandis que le vaccin russe Sputnik et d'autres vaccins chinois sont toujours en cours d'examen ("Statut des vaccins COVID-19 dans le processus d'évaluation EUL/PQ de l'OMS", 20 octobre 2021). Les vaccins à dose mixte contre le coronavirus seront également acceptés (Reuters, Ibid.).

Pourtant, notre compréhension de la contagion et de la transmission du virus chez les personnes vaccinées est encore imparfaite et peu concluante, comme l'explique en détail le CDC américain dans "Infections in fully vaccinated persons : clinical implications and transmission", Science Brief : COVID-19 Vaccins et Vaccination - mise à jour 15 septembre 2021. Notamment, même si la force du potentiel de contagion chez les personnes vaccinées n'est pas parfaitement connue, les études montrent que la transmission et la contagion continuent (Ibid.). L'efficacité des vaccins est surtout évaluée pour les formes sévères de COVID-19 - dans le but d'éviter que les hôpitaux soient débordés - et les décès. Les données sont plus rares et montrent une moindre efficacité des vaccins contre la " maladie symptomatique " en général ou " l'infection " (ex : étude du Qatar : 80% d'efficacité de la vaccination COVID-19 contre l'infection asymptomatique SARS-CoV-2, variante Delta, pour Moderna, mais 36% pour Pfizer-BioNTech, Ibid.).

Par conséquent, considérer la vaccination comme un Le chèque en blanc, si aucune autre mesure n'est appliquée, favorise en fait la circulation mondiale du virus au lieu de la restreindre.

La vaccination et son efficacité

Le cas d'Israël

Examinons maintenant le schéma des vagues de pandémie en Israël, comme étude de cas. Ayant atteint très tôt un niveau élevé d'immunisation de sa population, Israël est en avance sur les autres pays et nous prévient de ce qui pourrait se passer ailleurs.

Vagues pandémiques en Israël de janvier 2020 au 24 octobre 2021 - Infections et décès. De Reuters Graphics

Sur le graphique ci-dessus, on voit qu'en Israël, la vaccination a allongé le temps pendant lequel les infections étaient à un niveau bas. Au lieu d'avoir un creux de quelques jours entre la troisième et la quatrième vague, on a un plateau de très bas niveau qui dure du 9 avril au 2 juillet, soit 3 mois.

Ce plateau de bas niveau résulte de la rencontre et des dynamiques de différentes forces : vaccination et durée de l'immunité induite, relâchement des mesures non médicales et dynamique du virus.

Avant la fin de la quatrième vague, Israël a lancé une campagne agressive de vaccination pour une troisième dose ("Over 1 million Israelis who haven’t had 3rd dose to lose Green Pass on Sunday“, Times of Israel28 septembre 2021). Il est prévu de ne rouvrir les frontières que sous des conditions relativement strictes, notamment un schéma de vaccination complet (deux doses ou une en fonction du vaccin) datant de moins de six mois, ou une vaccination complète avec une troisième dose ("Hoteliers doubt eased tourist rules will make a difference“, Times of Israel, 24 octobre 2021).

Au cours de la quatrième vague, le nombre de décès a diminué par rapport aux vagues précédentes, mais seulement de moitié environ. Entre le 20 juin et le 25 octobre 2021, le nombre de décès cumulés est passé de 6427 à 8049, c'est-à-dire que 1622 personnes sont mortes au cours de la quatrième vague.

Le début de la quatrième vague en Israël découle de deux facteurs majeurs liés à la vaccination. Tout d'abord, l'immunité induite par la vaccination commence à s'affaiblir après 4 mois pour les formes légères de la maladie, même si l'efficacité reste forte pour les formes les plus graves de la maladie pendant probablement six mois (par exemple, Matthew Loh et Hilary Brueck, "Pfizer’s COVID-19 protection against infection may wane in months, but it still prevents hospitalization and death for at least 6, new studies suggest“, Insider, 8 octobre 2021). Après six mois, les données d'une étude israélienne montrent que l'immunité est "substantiellement" diminuée (Ibid.). Par ailleurs, la vaccination n'arrête pas la contagion, mais ne fait que la réduire, comme on l'a vu. L'ensemble de ces facteurs fait que dès que l'immunité diminue, puisque le virus est présent et circule, on a un nouveau pic de contagions, avec un nouveau pic d'hospitalisations et de décès, ces derniers, il est vrai, à un niveau plus faible que sans vaccination.

Vaccination mondiale : insuffisante pour avoir un impact sur le schéma de la vague pandémique de COVID-19

Sachant qu'au niveau mondial, 3,758 milliards de personnes ont reçu une dose de vaccin, que 2,825 milliards de personnes sont totalement vaccinées (Tableau de bord OMS COVID-19), et que nous sommes environ 7,9 milliards, cela signifie que 47 56% de la population mondiale seulement a reçu au moins une dose de vaccin, et que 35 76% est entièrement vaccinée.

Par conséquent, étant donné qu'une dose de vaccin est tout à fait inefficace contre le virus, en particulier contre le variant Delta - ou une souche plus grave - et que l'immunité de la population entièrement vaccinée a commencé à diminuer, comme le montre le cas d'Israël, il est difficile d'envisager que la vaccination ait actuellement un effet très marqué sur la forme et le profil des vagues pandémiques.

Un effort mondial majeur, comme l'a souligné à maintes reprises l'OMS, doit être consenti à l'échelle planétaire si l'on veut espérer réduire ou, plus audacieusement, maîtriser le COVID-19 (voir, par exemple, AFP/Reuters,Pandemic will end when world chooses to end it’ – WHO chief, RTE, 25 octobre 2021).

Pour l'instant, si l'on considère l'impact des mesures anti-COVID prises notamment en matière de voyages, et la détente opérée se focalisant autour de la vaccination, on peut s'attendre à ce que le virus ait commencé à circuler davantage sur la planète et que sa circulation augmente dans les semaines ou mois à venir (en fait tant que l'approche actuelle se poursuivra). Par conséquent, tout d'abord, les personnes non vaccinées seront plus exposées. Puis, lorsque l'immunité liée à la vaccination s'affaiblira, comme en Israël, nous assisterons à une résurgence et probablement à une augmentation rapide des cas (nous examinerons les perspectives de létalité dans le prochain article).

Globalement, il est donc très probable (entre 70% et 85%) que la vague à venir sera aussi grave, sinon plus, que les vagues précédentes.

Nous devons également tenir compte du fait que la deuxième, la troisième et la quatrième vague ont eu lieu alors que les frontières étaient plus fermées et les voyages internationaux plus restreints que ce qui pourrait se produire compte tenu des nouvelles politiques. Ainsi, nous devrions également envisager qu'il est possible de voir une nouvelle vague ressemblant à la première " vague ", c'est-à-dire qu'il ne s'agirait pas d'une vague mais d'une nouvelle "augmentation de la contamination globale". Dans ce cas, la contamination mondiale minimale atteinte entre les vagues pourrait être beaucoup plus élevée que ce que nous avons connu, et les sommets pourraient être plus élevés aussi. En d'autres termes, si nous imaginons la masse de la contamination et la forme de la pandémie comme un iceberg, la hauteur de la masse de l'iceberg pourrait être beaucoup plus élevée avec des sommets s'élevant donc beaucoup plus haut au-dessus de la masse principale.

En outre, une circulation et une contagion mondiales favorisent l'émergence puis la propagation des variants.

L'émergence et la montée en puissance des variants préoccupants

Notre principale source pour cette partie est GISAID, qui gère une base de données mondiale des séquences génétiques du coronavirus pandémique, EpiCoV, et "emploie des outils pour attribuer des clades et des lignées phylogénétiques à" ces séquences génétiques (site web). A noter que les données pour la Russie, à la date de rédaction, ont été mises à jour pour la dernière fois le 1er octobre 2021 et ne tiennent donc pas compte de la hausse des cas d'octobre 2021.

Les variants de la première montée en puissance de la pandémie de COVID-19

La première période de "montée en puissance de la pandémie" correspond à la propagation du virus original, de ses variants de type européen ainsi que d'autres variants préoccupants (varant of Concern - VoC) selon les continents et les pays.

La phylogénie des variants du SRAS-CoV-2 est présentée dans la figure ci-dessous, telle qu'elle a été créée par GISAID (accéder à l'image interactive sur GISAID en cliquant sur l'image ci-dessous). Nous avons choisi d'utiliser les clades de GISAID, désormais obsolètes, afin de pouvoir observer la diversité des variants passés. La "souche Wuhan" originale est le point orange en bas à gauche de l'arbre.

Phylogénie du SRAS-CoV-2, selon les clades GISAID, entre le 23 décembre 2019 et le 25 octobre 2021. (Source GISAID et Nextstrain).

La deuxième vague de la pandémie de COVID-19 et ses variants

La deuxième vague correspondait à la diffusion continue des VOC de la période précédente, auxquels il faut ajouter les variants Alpha, Beta (Afrique du Sud) et Gamma (Amérique du Sud/Brésil). Le variant Alpha est apparu probablement le 1er septembre 2020 au Royaume-Uni et a notamment conduit la deuxième vague en Europe. Le variant Beta est apparu probablement le 30 septembre 2020 et le variant Gamma le 10 novembre 2020.

Phylogénie du SRAS-CoV-2, selon la classification "emerging lineage". Les anciens variants sont en gris (Source GISAID et Nextstrain).

Les troisième et quatrième vagues de la pandémie de COVID-19 et le variant Delta

La troisième vague correspond à l'essor et à la diffusion du variant Delta. Le variant Delta est apparu probablement le 5 octobre 2020 en Inde. Il a fortement stimulé la troisième vague et est devenu prééminent.

Phylogénie du variant Delta du SRAS-CoV-2, selon la classification "emerging lineage" (Source GISAID et Nextstrain).

La quatrième vague coïncide également avec le variant Delta qui a atteint la prédominance. L'image suivante montre la part mondiale des variants du SRAS-CoV-2 dans le monde le 22 octobre 2021.

Part mondiale des variantes du SRAS-CoV-2 dans le monde le 22 octobre 2021 (Source GISAID et Nextstrain).

Des variants pour la cinquième vague ?

Jusqu'à présent, de nombreux variants ont été observés et surveillés, mais aucun n'est apparu comme capable de remplacer le variant Delta (voir, par exemple, Tableau de bord de la VoC de l'ECDC).

Delta AY.4.2, alias "Delta plus".

Le Royaume-Uni a signalé une augmentation de la nouvelle mutation du variant Delta, AY.4.2 ou VUI-21OCT-01, surnommée "Delta Plus" (incluse dans le variant Delta de GISAID et sans nom plus précis au moment de la rédaction).

Le gouvernement britannique, a produit le 22 octobre 2021 un briefing “to provide information on the new Variant Under Investigation VUI-21OCT-01, AY.4.2” (Briefing technique 26Analyse officielle française utilisant principalement le briefing technique britannique : "Analyse de risque sur les variants émergents du SARS-CoV-2 réalisée conjointement par Santé publique France et le CNR des virus des infections respiratoires Analyse partielle du 21/10/2021 concernant le sous-lignage AY.4.2" - 21 octobre 2021).

Selon les données les plus récentes et complètes, le " VUI-21OCT-01 représente 3,8%, 5,2% et 5,9% des cas de Delta en Angleterre au cours des semaines commençant respectivement le 19 septembre, le 26 septembre et le 3 octobre 2021 (Ibid.).

Le AY.4.2/VUI-21OCT-01 serait également présent en Russie, alors que le pays fait face à des infections et des décès records, et quelques cas ont été observés au Danemark et aux États-Unis (Reuters, Russia puts onus on regional leaders to step up COVID fightle 27 octobre 2021 ; "Covid-19: New mutation of Delta variant under close watch in UK“, BBC News, 19 octobre 2021). Il a également été détecté en Inde et serait présent à ce jour dans une trentaine de pays (Malathy Iyer, "Classification of AY.4.2 forces Indian scientists into a huddle …, Times of India, 27 octobre 2021).

Pour anticiper sur le prochain article, il est trop tôt pour se soucier de ce variant. Cependant le AY.4.2/VUI-21OCT-01 est étroitement surveillé. L'évolution de la gravité et de la létalité ne peut pas encore être évaluée. (Briefing technique 26). Le nouveau variant semble être légèrement plus contagieux que le variant Delta original, mais les différences ne semblent pas être très significatives jusqu'à présent. (Ibid.). L'évaluation évoluera avec le temps.

Et l'avenir ?

Notre compréhension des variants, compte tenu du fait que c'est la première fois dans l'histoire qu'un virus peut circuler aussi loin et aussi rapidement, est encore insuffisante pour pouvoir faire des projections valables.

Ce que nous savons, c'est que plus un virus se réplique, plus les chances de voir apparaître un variant qui serait également plus efficace, du point de vue du virus, sont élevées (voir, par exemple, S.A. Rella et al, “Rates of SARS-CoV-2 transmission and vaccination impact the fate of vaccine-resistant strains“, Sci Rep 11, 15729, 2021 ; Sarah P. Otto, et al., “The origins and potential future of SARS-CoV-2 variants of concern in the evolving COVID-19 pandemic“, Current Biology, Volume 31, numéro 14, 2021 ; Jessica A Plante et al. "The variant gambit: COVID-19’s next move.” Cell host & microbe vol. 29,4 2021 ; Vaughn Cooper et Lee Harrison, "Massive numbers of new COVID–19 infections, not vaccines, are the main driver of new coronavirus variants“, The Conversation, 9 septembre 2021).

Ainsi, un premier facteur fondamental que nous devons considérer est la contagion (Ibid.). La durée pendant laquelle le virus reste dans un individu a également de l'importance (voir, par exemple, S.A. Rella et al, “Rates of SARS-CoV-2 transmission, …).

Il existe également diverses perspectives, à l'heure actuelle, sur les dangers que constitue une population imparfaitement vaccinée quant à l'émergence de variants qui échapperaient à l'immunité induite par les vaccins (par ex. S.A. Rella et al, “Rates of SARS-CoV-2 transmission et Cooper et Harrison, "Massive numbers of new COVID–19 infections).

Certains scientifiques soulignent qu'aujourd'hui, compte tenu du faible taux de vaccination dans le monde, les nouveaux variants préoccupants sont plus susceptibles d'apparaître au sein de la population non vaccinée (Cooper et Harrison, "Massive numbers of new COVID–19 infections). Par conséquent, la population vaccinée n'est pas fondamentalement menacée, et les nouveaux variants peuvent ou non être capables d'échapper aux vaccins (Ibid.).

Toutefois, un modèle intéressant met également en évidence le résultat suivant :

"Le résultat contre-intuitif de notre analyse est que le risque le plus élevé d'établissement de souches résistantes se produit lorsqu'une grande fraction de la population a déjà été vaccinée alors que la transmission n'est pas contrôlée."

Rella, S.A., Kulikova, Y.A., Dermitzakis, E.T. et al. Rates of SARS-CoV-2 transmission and vaccination impact the fate of vaccine-resistant strainsSci Rep 11, 15729 (2021). https://doi.org/10.1038/s41598-021-95025-3

En supposant que ce résultat obtenu par modélisation soit correct et valable dans la réalité, cela signifie que l'abandon des interventions non pharmaceutiques au sein des populations largement vaccinées, comme cela se fait actuellement, est une mauvaise idée. Cela pourrait en effet favoriser l'émergence de VoCs échappant aux vaccins actuels.

Ainsi, à ce jour, nos connaissances sont trop imparfaites pour anticiper l'émergence de variants préoccupants. En conséquence, nous ne pouvons que suivre par séquençage l'évolution de ces variants.

En attendant, nous devons aussi agir de manière préventive en essayant de limiter la contagion et la durée de l'infection, donc le développement de variants, notamment ceux qui pourraient échapper à l'immunité vaccinale.

Malheureusement, cela ne semble pas être la direction que prennent les politiques actuelles.

Par conséquent, il est probable que nous verrons apparaître d'autres variants préoccupants. Le pire scénario serait d'assister à l'émergence d'un ou plusieurs variants échappant aux vaccins actuels. La capacité à créer "rapidement" de nouveaux vaccins à l'aide de technologies telles que l'ARN messager (ARNm) n'aiderait que partiellement à gérer la menace, compte tenu de facteurs tels que les tests, la fabrication, la livraison des vaccins, puis la campagne de vaccination.

Conclusion

L'ensemble de ces facteurs suggère que nous sommes certainement, au niveau mondial, au début d'une nouvelle vague de la pandémie de COVID-19. Le début exact de cette vague et sa forme varieront selon les pays.

Si les mesures concernant les voyages continuent à être assouplies et sont définies principalement en fonction d'une compréhension simpliste de la vaccination, sans se soucier de l'immunité associée aux vaccins et de la propagation continue de l'infection parmi et par les personnes vaccinées, et si des mesures simples telles que la quarantaine, notamment à l'arrivée dans les pays, et les masques efficaces sont abandonnées, alors la vague à venir pourrait être pire que la précédente. Dans une telle configuration, les chances de voir apparaître de nouveaux variants inquiétants semblent également augmenter.

La souplesse dont font preuve les différents gouvernements pour rétablir rapidement des mesures plus fortes et plus adaptées pourrait nous laisser espérer que la cinquième vague sera maîtrisée.

Une approche planifiée globale doit impérativement être conçue et mise en œuvre si nous voulons nous diriger vers un avenir que nous pourrions véritablement qualifier de "post-COVID-19".

Image en vedette : Image par Roger Mosley de Pixabay - Domaine public

Les militaires et le "retour de flamme" du climat - Été 2021 (1)

Les effets du changement climatique s'intensifient. Il s'agit notamment de la multiplication des événements météorologiques extrêmes, tels que les méga-incendies et les inondations géantes. L'intensité et l'ampleur de ces événements constituent désormais une menace si importante pour les infrastructures, les écosystèmes et la vie humaine, qu'ils entraînent une mobilisation croissante des forces militaires. Il s'agit donc de comprendre si cela signifie que l'adaptation au changement climatique implique que les militaires soient une composante essentielle de la réponse des Etats-nations au changement climatique ?

Le long été

Tout au long de l'été 2021, partout dans le monde, les militaires ont dû se mobiliser aux côtés des services de sécurité civile pour lutter contre des méga-incendies qui faisaient rage et des inondations géantes et dévastatrices.

Aux États-Unis, des milliers de soldats de la garde nationale et des services armés ont combattu les incendies monstres de Dixie et de Caldor. Ils l'ont fait aussi pour les 45 518 autres incendies de forêt qui ont brûlé près de 6,3 millions d'hectares (Centre national inter-agences d'incendie).

Parmi ces incendies, 46 étaient très importants et 15.533 personnels civils et militaires ont été nécessaires pour les combattre. En outre, l'armée américaine a également dû mobiliser des avions et des hélicoptères pour aider les pompiers (NIFC).

Pendant ce temps, en Russie, l'armée a déployé des dizaines d'avions de transport militaire afin de déplacer des équipes de pompiers d'un gigantesque incendie de forêt à un autre dans le pays des Iakoutes sibériens.

Exactement au même moment, au sud-est de Nijni Novgorod, dans les profondeurs de la profonde forêt russe, une immense bataille contre le feu se déroulait près de la ville secrète de Rasov ("Des hélicoptères de l'armée russe se joignent à la lutte contre les feux de forêt en Sibérie”, Reuters14 juillet 2021). Dès l'époque de l'Union soviétique, Rasov a été la ville où les armes nucléaires soviétiques puis russes ont été développées. Contenir l'énorme incendie qui s'y déroulait revêtait donc une importance stratégique, d'où le recours à la sécurité civile et aux forces militaires ("Des avions russes sèment des nuages alors que des feux de forêt font rage près d'une centrale électrique”, Reuters, 19 juillet 2021).

Soldats, feu et inondation

Victimes

Malgré l'engagement militaire en Sibérie du Nord et du Sud, le Kremlin a envoyé des moyens de lutte contre les incendies et des capacités militaires en Grèce et en Turquie. Ils devaient soutenir les services nationaux de sécurité civile. Le 14 août, huit membres du personnel turc et russe ont trouvé la mort dans un accident d'avion lors d'une opération de bombardement d'eau ("Huit morts dans le crash d'un avion de pompiers russes dans le sud de la Turquie”, France-24, 14/08/2021). Le 10 août, à Alger, plus de 25 soldats sont morts en luttant contre les gigantesques incendies en pays kabyle ("Les feux de forêt en Algérie font 42 morts, dont 25 soldats.”, ABC News, par AP, 11 août 2021).

Crise urbaine en Chine

Toujours durant cet été catastrophique, de très fortes pluies se sont abattues sur la province du Henan. En raison de la rupture de barrages, les inondations ont littéralement noyé la ville de Zhengzhou, forte de 10 millions d'habitants. Face à cette menace massive, le commandement provincial de l'Armée populaire de libération s'est mobilisé. Il a envoyé près de 46 000 soldats et 64 000 miliciens pour ensabler la ville, travailler sur les barrages et aider à sauver les gens (Elisabeth Chen, "Les inondations historiques mettent en évidence les problèmes d'infrastructures exceptionnelles”, La Fondation Jamestown, le 30 juillet 2021).

Ce ne sont là que quelques exemples parmi les dizaines de mobilisations militaires qui ont eu lieu au cours du terrible été 2021, marqué par les incendies et les inondations.

Cependant, ces mobilisations ne sont pas des événements exceptionnels comme nous l'avons souligné et mis en garde depuis 2014 ( Jean-Michel Valantin, "Le choc climatique et la sécurité nationale des États-Unis”, The Red Team Analysis Society, 17 mars 2014).

Elles s'inscrivent dans une série d'autres mobilisations militaires qui sont devenues de plus en plus fréquentes depuis le début du XXIe siècle. En effet, depuis une douzaine d'années, elles se produisent sur une base annuelle, et à une échelle croissante, aux États-Unis comme dans d'autres pays. (Michael Klare, (Michael Klare, L'enfer se déchaîne, le point de vue du Pentagone sur le changement climatique, 2019).

En fait, ce type de mobilisation militaire n'est rien d'autre qu'un signal fort, de plus en plus fort chaque année, des conséquences du changement climatique (Voir Jean-Michel Valantin, "Apocalypse mondiale, la méthode californienne”, “L'incendie mondial (1)", " L'armée américaine contre le réchauffement de la planète », Le Red Team Analysis Society)

Des armées venues du froid

Réchauffement de l'Arctique, militarisation de l'Arctique

Cette nouvelle réalité militaire est également très présente dans l'Arctique qui se réchauffe et change rapidement. Comme nous l'avons expliqué dans Les publications du Red Team Analysis Societyet des conférences connexes depuis 2014, notamment les conférences russes, chinoises, japonaises et indiennes. course vers l'Arctique contribue à l'émergence du bloc continental russo-asiatique.

En effet, la vaste zone économique exclusive de la Russie arctique attire les développeurs énergétiques russes et asiatiques (Jean-Michel Valantin, "Le réchauffement de l'Arctique russe : où convergent les intérêts stratégiques de la Russie et de l'Asie ?”, The Red Team Analysis Societyle 23 novembre 2016).

Les énormes ressources pétrolières, gazières, minérales et biologiques de cette région sont en train de devenir un gigantesque pôle d'attraction économique.

Entre-temps, en raison des effets du réchauffement de l'Arctique, les autorités russes ouvrent la "route maritime du Nord". Cette nouvelle voie maritime suit la côte sibérienne et relie le détroit de Béring à la Norvège et à l'Atlantique Nord.

De la géophysique à la géopolitique

Ainsi, elle relie également les immenses bassins de développement économique asiatiques à l'Europe du Nord et à l'Atlantique. Dans le même temps, Moscou militarise la côte sibérienne et les archipels.

Dans la même dynamique, la flotte et l'armée russes du Nord multiplient les patrouilles et les manœuvres maritimes et terrestres. Ainsi, depuis quelques années, l'OTAN, les armées américaines et scandinaves multiplient également les manœuvres nationales et régionales dans l'Arctique. C'est notamment le cas en Norvège et dans la mer de Barents. Celles-ci sont très proches des frontières terrestres, aériennes et maritimes de la Russie.

Le nombre de patrouilles aériennes et d'exercices militaires augmente d'année en année. Par exemple, le 20 octobre 2020, le destroyer américain Ross, guidé par des missiles, a effectué son troisième tour de l'année dans la mer de Barents (Thomas Nilsen, "Augmentation du nombre de jets brouillés de l'OTAN en provenance de Norvège”, L'Observateur indépendant de Barentset "US warship returns Barents Sea", 14 septembre et octobre 2020).

L'Arctique comme zone de responsabilité militaire

Cette décision fait suite à l'installation du commandement de l'OTAN pour l'Atlantique sur la base navale de Norfolk, en septembre 2020. Le domaine de responsabilité de ce nouveau commandement est la protection des voies maritimes européennes et nord-américaines. Parmi celles-ci, on trouve la brèche Groenland-Islande-Royaume-Uni (GIUK) vers et depuis l'Arctique.

En d'autres termes, la mission du commandement de la force conjointe Norfolk est de projeter la puissance des États-Unis et de l'OTAN dans l'Arctique (Levon Sevuts, "Le nouveau commandement atlantique de l'OTAN veille sur l'Arctique européen”, L'Observateur indépendant de Barents18 septembre 2020).

Adaptation

Cependant, la mobilisation des militaires face à la multiplication et à l'intensification des phénomènes météorologiques extrêmes, ainsi que la militarisation de l'Arctique, sont le signe d'une réalité émergente plus profonde, à savoir la relation profonde entre l'adaptation au changement climatique et les questions militaires ( Jean-Michel Valantin, "Le choc climatique et la sécurité nationale des États-Unis”, The Red Team Analysis Society, 17 mars 2014).

Menaces intérieures et internationales

Or, les réactions en chaîne des conséquences du changement climatique génèrent une série ininterrompue de menaces. Celles-ci mettent en danger l'intégrité des territoires et des sociétés, ainsi que la répartition géopolitique du pouvoir. C'est pourquoi l'implication rapidement croissante de l'appareil de défense nationale devient à la fois une nécessité et un moyen pour l'adaptation des nations au changement climatique.

Lorsque l'Europe cherche à faire progresser sa défense, il s'agit d'une nouvelle composante qui doit être intégrée.

Vers des "guerres climatiques" ?

Cela signifie également que les questions très complexes de la sécurité nationale et internationale et de la guerre se confondent désormais rapidement avec la question du changement climatique.

Les guerres climatiques commencent-elles ?


Image : Soldats de l'armée américaine du 2-3ème bataillon d'infanterie.Le 4 septembre 2021, des soldats de l'équipe d'intervention de la 1-2 Stryker Brigade Combat Team, affectée à la base interarmées Lewis-McChord (Washington), dirigés par le chef d'équipe Ricardo Rubio, un pompier du National Interagency Fire Center, marchent le long d'un sentier de véhicules alors qu'ils cherchent à maintenir et à patrouiller les lignes de confinement pendant leur déploiement en soutien aux opérations de lutte contre les incendies de forêt du Département de la défense sur le Dixie Fire dans la Plumas National Forest, en Californie. L'U.S. Army North, en tant que commandement de la composante terrestre de la force conjointe de l'U.S. Northern Command, reste engagée à fournir un soutien flexible du Département de la défense au National Interagency Fire Center afin de réagir rapidement et efficacement pour aider nos partenaires locaux, étatiques et fédéraux à protéger les personnes, les biens et les terres publiques. (U.S. Army Photo by Sgt. Deion Kean) (U.S. Army Photo by Sgt. Deion Kean) - Domaine public


La perception de la politique internationale des États-Unis par la Chine

(Conception artistique : Jean-Dominique Lavoix-Carli)

Les relations entre les deux superpuissances, les États-Unis et la Chine, dominent le monde international. Nous examinons ici la manière dont La Chine perçoit les relations étrangères américaines.

La façon dont les États-Unis perçoivent la Chine et dans quelle mesure ils considèrent cette dernière comme une menace, ce que cela implique en termes de futures actions américaines et les impacts sur le monde et pour les acteurs individuels sont les sujets de nombreux articles et analyses. Patrick Wintour présente de manière intéressante de telles analyses dans son article "La Chine renforce-t-elle son ambition de supplanter les États-Unis comme première superpuissance ?” (The Guardian, 22 septembre 2021).

Cependant, à l'aube de la troisième décennie du XXIe siècle, nous sommes confrontés non pas à un mais à deux acteurs extrêmement puissants sur la scène mondiale. Nous ne pouvons donc pas nous arrêter aux perceptions que les États-Unis ont de la Chine. Nous devons également examiner l'inverse, à savoir les perceptions de la Chine à l'égard des États-Unis.

Tel est l'objet de cet article, qui se concentre sur la manière dont la Chine perçoit les relations étrangères et la politique internationale américaines. Nous cherchons ainsi à comprendre la perception chinoise de l'ordre mondial américain. Dans une première partie, nous expliquons pourquoi les perceptions sont importantes en politique internationale et comment comprendre la perception de chaque acteur est essentiel pour créer une position internationale et une ligne de conduite valables. Nous donnons ensuite des exemples de la manière dont la Chine conceptualise la politique internationale. Enfin, en utilisant le fait que les visions et les perceptions sont historiquement construites, nous soutenons que la Chine utilise sa propre compréhension du monde international pour décrypter les actions internationales américaines et déchiffrer la vision américaine de la politique internationale. C'est ensuite dans ce cadre de compréhension que la Chine comprendra et évaluera les relations internationales américaines et concevra ses propres actions et réactions.

Les perceptions en politique internationale : pourquoi est-ce important ?

Une approche clé dans l'analyse de la stratégie et des relations internationales

Au moins depuis que Jervis a publié son livre fondateur Perception et mauvaise perception en politique internationale en 1976, les perceptions ont été couramment utilisées en politique internationale et en relations étrangères et reconnues comme très importantes. De même, en prenant en compte les biais et en cherchant à les atténuer, les perceptions sont un élément clé du renseignement et de l'analyse de la prospective et de l'alerte stratégiques (voir notre cours Atténuer les préjugés ainsi que notre cours sur Modélisation analytique). La pratique de red teaming et l'analyse en équipe rouge n'est rien d'autre que de prendre le point de vue de l'ennemi et, par extension, des autres acteurs. Par conséquent, le red teaming signifie fondamentalement être capable de percevoir le monde comme les autres.

Nous pouvons également affirmer que la prise en compte des perceptions des autres est beaucoup plus ancienne et constitue un élément fondamental de la stratégie, de la politique et des affaires internationales. Par exemple, la façon dont l'autre pense et perçoit le monde fait partie des conseils de Sun Tzu dans son ouvrage intitulé L'art de la guerre:

"Si tu connais l'ennemi et que tu te connais toi-même, tu n'as pas à craindre le résultat de cent batailles. Si tu te connais toi-même mais pas l'ennemi, pour chaque victoire remportée tu subiras aussi une défaite. Si tu ne connais ni l'ennemi ni toi-même, tu succomberas dans chaque bataille."

Sun Tzu, L'art de la guerreIII. (Attaque par stratagème), 18.

Utilisation des perceptions

Par conséquent, les perceptions, le fait de savoir et de comprendre qui perçoit quoi, est absolument vital pour les étudiants et les analystes de la politique internationale au sens large.

La logique des perceptions dans les relations étrangères et la politique internationale est la suivante. Pour agir dans le monde et réaliser votre vision et vos objectifs, vous devez notamment anticiper ce que les autres feront. Pour ce faire, vous devez comprendre comment ces autres perçoivent le monde, en plus de connaître leurs objectifs. Les autres se comportent de la même manière pour décider de leurs actions. Une fois que vous avez effectué cette analyse fondamentale, vous prenez en compte tous les autres éléments du pouvoir, y compris les capacités et leur perception.

Puis, à partir des interactions qui en résultent, une nouvelle situation se développe, qui est également comprise selon les perceptions. La révision des modèles perceptuels est en effet très rare (voir par exemple Anderson, Craig A., Mark R. Lepper, et Lee Ross, "Persévérance des théories sociales : Le rôle de l'explication dans la persistance d'informations discréditées“, Journal of Personality and Social Psychology, 1980, Vol. 39, No.6, 1037-1049 ; Cours en ligne sur Mitigating biases (EN)Cours en ligne sur Modélisation analytique).

Par conséquent, et comme l'a souligné Sun Tzu, si vous comprenez comment les acteurs perçoivent le monde, vous vous rapprochez un peu plus de la possibilité de les comprendre correctement, d'anticiper leurs actions et donc d'atteindre vos propres objectifs, puis votre vision.

Sans cette perception, vous avez toutes les chances de faire des erreurs et de ne pas atteindre vos objectifs.

Par conséquent, compte tenu du poids croissant de la Chine dans le monde du XXIe siècle, ainsi que de la tension et de la concurrence entre les États-Unis et la Chine, il est crucial, pour tous les acteurs, de tenir compte des perceptions chinoises.

La perception typique de l'ordre international par la Chine

Le système des hommages

Depuis le travail magistral de John Κ. Fairbank, "A Preliminary Framework" et l'effort éditorial correspondant. L'ordre mondial chinois : Les relations extérieures de la Chine traditionnelle (ed. John Κ. Fairbank, 1968), le "système de tribut" joue un rôle central dans notre compréhension de la manière dont la Chine a organisé et organise encore ses relations étrangères, en tant que fondement de cet ordre mondial chinois traditionnel. Les chercheurs sont d'accord, tendent à être en désaccord et modifient le cadre proposé par Fairbank (voir la bibliographie pour des exemples choisis). Néanmoins, ce cadre reste central.

Portraits d'offrandes périodiques (peintures documentaires officielles tributaires chinoises) - Dynastie Tang : Le Rassemblement des Rois (王會圖), par Yan Liben (閻立本, 601-673 de notre ère) - Cliquez ici pour y accéder sur Wikimedia Media Viewer ou ici pour Visionneuse de médias Zoom

Selon Fairbank (ibid. p.108), l'ordre mondial chinois est un cadre hiérarchique sino-centrique, historiquement construit, exprimé et informé par un ensemble de pratiques et d'idées qui définissent les relations entre la Chine et le reste du monde.

Au cœur du système, nous trouvons la Chine, Zhong Guo (中國/中国, l'État central, l'Empire du Milieu).

Les pays sont ensuite classés par cercles concentriques.

Le premier cercle est composé de :

"... la zone sinique, comprenant les affluents les plus proches et les plus semblables culturellement, la Corée et le Vietnam, dont certaines parties avaient été anciennement gouvernées par l'empire chinois, ainsi que les îles Liu-ch'iu (Ryukyu) et, à de brèves périodes, le Japon."

Fairbank, "A Preliminary Framework", p.108

Puis vient le deuxième cercle :

"... La zone asiatique intérieure, constituée de tribus et d'États tributaires des peuples nomades ou semi-nomades de l'Asie intérieure, qui n'étaient pas ethniquement et culturellement non chinois mais se trouvaient également en dehors ou en marge de l'aire de culture chinoise..."

Fairbank, "A Preliminary Framework", p.108

Troisièmement, nous avons le dernier cercle :

"La zone extérieure, composée de "barbares extérieurs" (wai-yi) [外夷 également barbares externes] en général, à une plus grande distance sur terre et sur mer, y compris finalement le Japon et d'autres États d'Asie du Sud-Est et du Sud et d'Europe qui étaient censés envoyer un tribut lors des échanges commerciaux. "

Fairbank, "A Preliminary Framework", p.108
Portraits d'offrandes périodiques (peintures documentaires officielles tributaires chinoises) - Dynastie Qing : Huángqīng Zhígòngtú par Xiesui (謝遂), 18ème siècle - Cliquez ici pour accéder au site web Wikimedia Media Viewer ou ici pour Visionneuse de médias Zoom - pour les pages détaillées, voir ici.

Les États d'Asie centrale sous les Qing, par exemple, appartenaient également à ce cercle (Hsiao-Ting Lin, "The Tributary System in China's Historical Imagination...", 2009).

Théories communistes de l'ordre mondial

L'encerclement des villes par les zones rurales

"Zhou Enlai, Mao Zedong et Lin Biao brandissant des exemplaires du Petit Livre rouge au palais Tiananmen à Pékin", 1er octobre 1967 (Domaine public via Wikimedia Commons).

Pendant la Révolution culturelle, en septembre 1965, le général Lin Biao, a publié son célèbre article "Vive la victoire de la guerre du peuple !", qui définit la théorie chinoise de l'encerclement des " villes " par les " zones rurales ".

Lin Biao a théorisé que les révolutions qui se produiraient de plus en plus dans le monde rural à travers la planète finiraient par encercler complètement les villes qui symbolisaient les pays riches. La République Populaire de Chine faisait bien sûr partie de cette propagation et de cet encerclement des zones rurales.

Les trois mondes de Mao

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Bibliographie

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Cranmer-Byng, J. L., "The Chinese Perception of World Order", Revue internationale, Winter, 1968/1969, Vol. 24, No. 1 (Winter, 1968/1969), pp. 166-171.

Fairbank, John Κ., "A Preliminary Framework", in L'ordre mondial chinois : Les relations extérieures de la Chine traditionnelleéd. John Κ. Fairbank, Harvard University Press 2013 (1968).

Hsiao-Ting Lin, "The Tributary System in China's Historical Imagination : China and Hunza, ca. 1760-1960", Journal de la Société royale asiatiqueThird Series, Vol. 19, No. 4 (Oct., 2009), pp. 489-507 (19 pages).

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Zhang Feng, "Rethinking the 'Tribute System' : Broadening the Conceptual Horizon of Historical East Asian Politics", Revue chinoise de politique internationale, Vol. 2, 2009, 545-574

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Wang Yuan-kang, "Expliquer le système de tribut : Pouvoir, confucianisme et guerre dans l'Asie orientale médiévale“, Journal of East Asian Studies 13 (2013), 207-232


Quand les mers et les cartes influencent la géostratégie et le futur

Un territoire souverain est la clé du pouvoir et crucial pour toute activité. Cela restera très probablement plus ou moins le cas dans un avenir prévisible. Il importe donc de se poser un certain nombre de questions relatives à cette notion. Par exemple, quel est le territoire sur lequel chaque État est souverain? Quelle est la taille de chacun de ces territoires? Où sont situés ces territoires? A quoi ressemble le monde international géographique, le monde géopolitique et géostratégique?

Nous pensons, bien sûr, connaître les réponses à ces questions. Très certainement, par exemple, les plus grands États doivent être la Russie, les États-Unis, le Canada et la Chine. Très certainement également, les États européens ne sont forts que dans l'Europe géographique, ce qui est une façon pudique de dénier tout statut de puissance globale à l'UE. Mais que se passerait-il si ces réponses étaient fausses? Et si le véritable monde international et global dans lequel nous vivons et vivrons était très différent des représentations auxquelles nous sommes le plus souvent habitués?

En utilisant des cartes, cet article fait émerger une représentation du monde cohérente avec la réalité. Il insiste sur l'importance de considérer les mers et la souveraineté sur les territoires maritimes de manière globale plutôt que de s'en tenir à des représentations dépassées centrées sur les masses continentales. Il met en évidence les conséquences géostratégiques de cette représentation territoriale "révisée" du monde et propose quelques recommandations.

Une représentation classique du monde

Représentation du monde, cartes et stratégie

Les représentations du monde incarnées par les cartes définissent notre façon de penser, de planifier et d'agir.

Ces représentations influencent la façon dont nous pensons stratégiquement. Si nous voulons concevoir et mettre en œuvre des stratégies efficaces, nous devons nous assurer que nos représentations mentales sont suffisamment proches de la réalité.

Nos conceptions de l'espace géographique dans lequel nous vivons vont limiter et permettre ce que nous considérons comme possible, notre vision et nos objectifs, la manière dont nous concevons et mettons en œuvre des stratégies et politiques afin d'atteindre nos objectifs, ainsi que leur planification.

Ces représentations de l'espace sont essentielles pour envisager les interactions entre les puissances mondiales, pour déterminer quel pays a le plus de chances de gagner ou de perdre, de devenir une superpuissance ou non, de faire partie intégrante de l'ordre international ou non. Elles sont essentielles en termes de défense et de sécurité, de la guerre et défense classique à la préparation nécessaire pour faire face aux menaces découlant du changement climatique, de la perte de biodiversité et, plus généralement, des modifications des écosystèmes. Elles sont essentielles en termes économiques et cruciales pour décider de l'emplacement de nouvelles usines ou filiales. Elles ne sont pas moins importante pour tout ce qui concerne la logistique et l'approvisionnement.

Changer notre représentation de l'espace peut modifier ce que nous faisons et la façon dont nous nous conceptualisons, ainsi que notre relation aux autres.

Par exemple, la géographie moderne, et en particulier la cartographie, a joué un rôle essentiel dans le développement de l'identité nationale et de l'idée de nation. Elle a également permis d'imposer les principes de l'État-nation moderne dans le monde entier, à savoir la souveraineté, la territorialité et l'indépendance (voir l'article et la bibliographie détaillée attenante: Hélène Lavoix, "Le pouvoir des cartes“, The Red Team Analysis Society, 2012).

Une focalisation classique sur les masses terrestres

L'une des plus anciennes cartes du monde, une Mappa Mundi, est la Tabula Peutingeriana, peut-être une copie médiévale d'une carte romaine (env. 250) créée vers 1250 (Ulrich Harsch Bibliotheca Augustana). Elle se présente comme illustré ci-dessous :

Tabula Peutingeriana1-4ème siècle de notre ère. Édition en fac-similé par Konrad Miller, 1887/1888, Domaine public via Wikimedia Commons - Cliquez sur l'image pour y accéder sur ZoomViewer.

L'accent est mis sur les grandes masses continentales, avec les réseaux routiers, les villes, certaines caractéristiques géographiques telles que les rivières et les montagnes, ainsi que les mers et les îles connues, comme ici la Corse et la Sardaigne (première image). La centralité politique de Rome est également mise en évidence (deuxième image).

Actuellement, la Mappa Mundi du 21ème siècle à laquelle nous sommes habitués ressemble à l'image suivante :

Carte politique du monde du Central Intelligence Agency‘s World Factbook 2015, Domaine public.

C'est une carte politique typique du monde. La source de cette carte, le World Factbookde la CIA, nous indique qu'il s'agit bien de la perception la plus commune et la plus répandue du monde en termes de sécurité internationale, de relations internationales et de géopolitique, ainsi que d'activité économique.

Avec ce type de cartes, nous nous concentrons sur les masses terrestres connues, avec de petites et minuscules îles saupoudrées sur les océans. Nous examinons également la distance entre les États souverains, indépendants et territoriaux. Nous nous intéressons aux frontières et surtout aux frontières contestées.

En cas de différends sur les frontières, nous regardons alors sur des cartes plus précises et détaillées, comme celles ci-dessous pour le potentiel de conflit dans les mers de Chine orientale et méridionale.

Revendications et litiges territoriaux de la Chine, le point de vue des USA - Rapport 2020 sur la puissance militaire de la Chine au Congrès - Département de la défense

Des cartes similaires sont établies en fonction des domaines et des intérêts, de l'énergie à l'exploitation minière, en passant par les commandements militaires et les armées.

Quelle que soit la perspective, le cadre de la représentation est la masse terrestre d'abord, laquelle est sise accessoirement, malheureusement ou même sans que cela ait d'importance, au milieu des océans, lesquels sont gérés ou "apprivoisés" par le biais des ports et des voies de transport.

Voir les mers et sous les mers

Mise à jour des cartes

Or, cette focalisation sur les principales masses continentales nous donne une image erronée de la réalité. Deux éléments fondamentaux font défaut : les zones économiques exclusives (ZEE) et le plateau continental, qui fait l'objet de revendications dites du plateau continental étendu (extended continental shelf - ECS en anglais).

Peut-être que le moyen le plus simple de comprendre ce que représentent ZEE et plateau continental en termes géopolitiques est d'abord d'imaginer la terre sans les océans. Les terres émergées (les masses continentales actuelles) apparaîtraient alors comme le sommet de montagnes et de plateaux plus ou moins grands. Ce que nous percevons habituellement comme le territoire d'un État d'étendrait alors du sommet de ces montagnes ou plateaux jusqu'à la ligne côtière (ou la frontière terrestre négociée avec les voisins). Une autre tranche de territoire serait située autour du pays et s'étendrait sur 12 miles nautiques (la mer territoriale). Ensuite, un autre territoire beaucoup plus grand serait situé à l'intérieur de la ligne de "frontière" suivante, à 200 milles nautiques (la ZEE) de la côte. Enfin, une dernière tranche de territoire s'étendrait, si elle existe, sur les 360 milles marins du plateau continental auquel appartient la montagne ou le plateau, à partir de la ligne de côte, ou, si le plateau continental est inférieur à 350 milles nautiques, à sa fin.*

Jean-Benoît Bouron fournit un graphique très clair montrant ces différentes zones dans " Mesurer les Zones Économiques Exclusives », Géoconfluencesmars 2017

Tous les terrains situés à l'intérieur de la dernière limite de l'ECS revisitée sont sous la juridiction souveraine de l'État, pratiquement comme pour la masse terrestre émergée habituelle*, ce qui inclut tous les droits d'exploitation.

Ensuite, vous pouvez remplir à nouveau les profondeurs avec l'eau des mers et des océans. Toutes les eaux situées dans la zone des 200 miles nautiques sont sous la souveraineté de l'État*.

Pour l'Union européenne, par exemple, la carte correcte avec les ZEEs ressemble à l'image ci-dessous (accès par la page Portail du réseau européen d'observation et de données du milieu marin (EMODnet)).

EMODnet Carte des pays de l'UE plus le Royaume-Uni et de leurs ZEE - 13 novembre 2020 Cliquez sur l'image pour accéder à la carte interactive

Pourtant, même cette carte, bien meilleure, n'est pas tout à fait correcte. Il faut y ajouter les revendications relatives au plateau continental étendu (ECS) que chaque pays devait soumettre avant le 13 mai 2009 (pour plus de détails, voir Helene Lavoix, "Dossier sur les ressources des grands fonds marins", mis à jour le 5 janvier 2018). Nous pouvons voir ce que ces revendications couvrent territorialement sur l'image ci-dessous.

Carte - One Stop Datashop (OSDS) - Programme du plateau continental - 13 sept. 2021 - Cliquez sur l'image pour accéder à la carte interactive.

Si vous cliquez sur une zone, sur le site web interactif de cartographie par GRID Arendal, vous verrez alors quel pays a revendiqué cette zone, ainsi que le statut de la revendication.

Maintenant, si nous combinons toutes les cartes, nous obtenons une représentation du monde qui est effectivement très différente de celle à laquelle nous sommes habitués (notez que les territoires de l'Antarctique sont toujours absents de ces cartes**).

Quels acteurs internationaux sont de véritables puissances mondiales ?

La seule puissance véritablement mondiale sur le plan géographique est l'Union européenne, tant qu'elle reste unie. La perte de la Grande-Bretagne a été un coup dur en termes géopolitiques, avec la perte de la suprématie sur l'Atlantique Sud. En comparaison, les États-Unis sont une puissance du Pacifique. Qui plus est, le total des ZEE de l'UE représente 20,07 millions de km2, alors que la puissance suivante, les États-Unis, ne totalise que 12,17 millions de km2. (Jean-Benoît Bouron, "Mesurer les Zones Économiques Exclusives“, Géoconfluences, 23 Mars 2017).

Première image : EMODnet Carte des pays de l'UE plus le Royaume-Uni et leurs ZEE - 13 novembre 2020.
Deuxième image : La zone économique exclusive (ZEE) de la NOAA des États-Unis et des îles affiliées (bleu foncé). 

Zones économiques exclusives de la Chine et litiges par ASDFGHJCC BY-SA 3.0via Wikimedia Commons

La Chine reste dans ses frontières traditionnelles, auxquelles il faut ajouter les zones contestées de la mer de Chine méridionale et orientale. L'absence de possessions maritimes et de plateau continental pour la Chine contribue fortement à expliquer sa vision multinationale et internationale extrêmement active, ainsi que ses efforts connexes comme par exemple avec l'Autorité internationale des fonds marins (AIF), ou en ce qui concerne l'Arctique et l'Antarctique (voir Helene Lavoix, "Les ultimes technologies clés du futur (3) - Environnements extrêmes“, The Red Team Analysis Society, juin 2021 ; Jean-Michel Valantin, "La Chine antarctique (2) - Le jeu planétaire de la Chine"et "La Chine antarctique (1) : Stratégies pour un endroit très froid", 31 mai et 28 juin 2021, ainsi que les articles de Jean Michel Valantin sur l' Arctique, The Red Team Analysis Society). Si la Chine veut être une puissance mondiale avec une base géographique correspondante, elle n'a pas d'autre choix. La stratégie spatiale de la Chine peut également être considérée dans ce cadre car, en déplaçant complètement le "théâtre d'opérations" et en le rendant planétaire et non plus seulement terrestre, la Chine pourrait rendre partiellement obsolète son absence de présence sur le globe.

Modifier une composante du pouvoir : un classement différent relatif au territoire

Avec la nouvelle carte mondiale revisitée pour ajouter les ZEE et les ECS, la taille réelle et le pouvoir potentiel des États changent.

Territoire mondial par acteur international (en millions de km2) - classé par ZEE et ECS et classé par territoire total - Sources : principalement Bouron, "Mesurer les Zones Économiques Exclusives", Ibid ; USGS et NOAA ; Portail national des limites maritimes; Wikipedia.  

La Russie est le plus grand acteur international, suivie de près par l'UE. Les États-Unis arrivent ensuite. La Chine est loin derrière. L'Inde est encore plus loin. L'Australie puis le Canada arrivent juste après les États-Unis. Cependant, la ZEE du Canada est exclusivement situées autour de sa masse continentale, ce qui réduit son statut global sans oublier néanmoins le statut de puissance arctique du Canada. L'Australie a, grâce à la mer et à ses ZEE, une présence importante dans l'océan Indien.

En termes d'États, malgré de petites superficies initiales si l'on s'en tient aux masses terrestres émergées, la France devient le 7e plus grand pays du monde - à égalité avec la Chine - tandis que la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni deviennent respectivement les 9e et 10e plus grands pays au monde. L'Allemagne est loin derrière et n'a été ajoutée qu'à titre de comparaison.

La France possède en effet le deuxième plus grand territoire maritime après les États-Unis et ce territoire s'étend principalement dans les océans Pacifique et Indien. Les États-Unis sont absents de l'océan Indien. Bien que cela ne soit pas visible sur les cartes, les États-Unis sont une puissance arctique mais pas antarctique, tandis que la France est une puissance antarctique mais pas arctique. Le Royaume-Uni, qui a également une présence mondiale, est particulièrement fort dans l'océan Atlantique Sud.

Le territoire des ZEE des États-Unis (à gauche) et le territoire des ZEE et de la SCE de France 2014 (à droite)
À gauche : la zone économique exclusive (ZEE) de la NOAA des États-Unis et des îles affiliées (bleu foncé). A droite : Carte du SHOM 2014 - utilisée sur le site "Tableau des superficies"Page web, Limites Maritimes 

Prendre en compte la dimension maritime du territoire et de la puissance

Il serait donc logique, d'un point de vue stratégique, que la France, le Royaume-Uni et l'UE conceptualisent leur puissance en termes de territoire, et notamment de territoire maritime. Cela peut être facile pour le Royaume-Uni, compte tenu de son histoire, mais beaucoup plus difficile pour l'UE et la France.

Au contraire, la Chine, et dans une moindre mesure la Russie, sont des puissances fondamentalement terrestres, ce qui, bien sûr, est loin de les empêcher de développer une puissance maritime (Valantin, articles sur Arctique, Ibid.). Mais, dans le cas de la Chine, elle doit le faire sans " points d'appuis ", d'où l'importance cruciale du volet maritime de la "Belt and Road" chinoise, qui complète l'absence de territoire maritime substantiel de la Chine (Valantin, "Militarisation de la nouvelle route de la soie maritime“, The Red Team Analysis Society, 3 avril 2017).

L'importance de ce territoire maritime semble commencer à être prise en compte au niveau de l'UE, comme en témoigne, par exemple, le fait que "L'UE a étendu les règles de défense commerciale au plateau continental et aux zones économiques exclusives des États membres," le 3 juillet 2019. Pourtant, le commerce n'est qu'une partie des instruments du pouvoir. Des recherches et une évaluation plus détaillées seraient ici nécessaires.

Une adaptation difficile : le cas complexe de la France ?

Si nous regardons, comme autre exemple, le document officiel 2019 de l'armée française, La France et la sécurité dans l'Indo-Pacifique, il apparaît clairement que les anciennes représentations ont la vie dure. Il semble difficile de commencer à penser pleinement en termes de territorialité globale, comme le montre la première carte de la galerie ci-dessous.

Cela ne signifie pas que tous les acteurs français ont une vision dépassée, comme le montrent, par exemple, l' Ifremer, par le rapport du Conseil économique, social et environnemental français (CESE) mentionné ci-dessous, ou par le relativement récent portail national des limites maritimes, utilisant uniquement les cartes qu'ils fournissent comme signaux faibles (deuxième, troisième et quatrième carte dans la galerie ci-dessous).

Première image : Armée française, La France et la sécurité dans l'Indo-Pacifique2019 p.3 - Deuxième image : Ifremer
Troisième image : Carte interactive du SHOM, accès à partir de portail national des limites maritimes - Quatrième image :  Gérard Grignon, "Extension du plateau continental au-delà de 200 milles marins : un atout pour la France“, Conseil économique, social et environnemental, 2013, p.74

Pourtant, que ce soit par manque de compréhension, de vision ou autre, pour des raisons inconnues, en 2009, la France a retiré le dépôt de l'information préliminaire concernant l'ECS de Clipperton, abandonnant ou reportant ainsi l'affirmation de ses droits souverains. Cela s'est fait sous la présidence de Sarkozy, du parti Les Républicains (droite, LR). Cet abandon a été dénoncé, par exemple, par le rapport spécial du Conseil économique social et environnemental français (CESE), qui n'est que consultatif (Gérard Grignon, "Extension du plateau continental au-delà de 200 milles marins : un atout pour la France", 2013, pp. 25 & 33, 125-129), comme :

"un abandon inacceptable de la souveraineté de la France sur ses prétentions légitimes."

Grignon, "Extension du plateau continental au-delà de 200 milles marins : un atout pour la France", p.33

Manifestement, rien n'a été fait pour remédier à cette action incroyable et soumettre la demande comme recommandé, car le site officiel des limites maritimes nationales ne répertorie aucun ECS pour Clipperton (portail national des limites maritimes, "tableau des superficies", accès 15 sept 2021), malgré les droits français, l'existence de ressources telles que le soufre hydrothermal (Grignon, ibid. p.141 en utilisant Ifremer, note N°3 Ressources minérales océaniques, 21 septembre 2012), et éventuellement des nodules polymétalliques.

De manière générale, si l'on considère l'ensemble du territoire français, il semble que les ECS françaises soient particulièrement petites. En effet, par exemple, à part Clipperton, d'autres territoires n'ont pas été suivis et aucune information préliminaire n'a été déposée pour eux pendant les présidences Sarkozy et Hollande (Grignon, Ibid., p.61, 125-133). Dans l'ensemble, il semblerait que 725,297 km2 de ECS aient été reconnus ("tableau des superficies"), alors que le CESE calcule que 2.510.544 km2 pourraient être revendiqués (Grignon, pp. 134-135). 2,5 millions de km2 correspondent à 3,7 fois le territoire français émergé.

La diversité des visions - et des actions - des différents acteurs français ne doit pas surprendre et a longtemps présidé à la destinée du pays, notamment en matière d'exploration et d'outre-mer (de Jacques Cartier et la Nouvelle France, à la " perte des Indes " - en fait des comptoirs commerciaux - sous Louis XV, en passant par les implantations dans les territoires français d'Amérique, le soutien aux Américains dans la guerre d'indépendance, la nécessité d'aller à l'encontre de Napoléon III pour une vision globale, ou encore le refus de s'appuyer sur et de prendre complètement en compte les Protectorats et Colonies pendant la Seconde Guerre mondiale, malgré les demandes des populations de ces territoires - voir, entre autres, Raoul Girardet, L'Idée Coloniale en France, (Paris, Hachette/Pluriel, [1972], 1978) ; Catherine Coquery-Vidrovitch, " La colonisation française 1931-1939 ", in Histoire de La France Coloniale : III. Le Déclinéd. Vol.3 (Paris : Armand Colin, Agora, 1991) ; Hélène Lavoix, Nationalisme et génocide : la construction de la nation, de l'autorité et de l'opposition - le cas du Cambodge (1861-1979) - Thèse de doctorat - School of Oriental and African Studies, Université de Londres, 2005).

Pourtant, la France est de facto la première puissance dans l'océan Indien. C'est également une puissance très forte dans le Pacifique, peut-être à égalité avec les États-Unis (pour la partie sud).

Il est intéressant de noter que si nous pensons à la vieille idée de François Guizot au 19ème siècle, la politique des "points d'appuis" à travers le globe permettant la projection de forces (et initialement le charbon et d'autres fournitures pour les bateaux à vapeur dans la compétition de l'époque avec le Royaume-Uni, voir Lavoix, Nationalisme et Génocide, Ibid.), alors les îles françaises des Caraïbes et Clipperton sont des endroits importants pour atteindre les zones françaises dans le Pacifique.

Des voisins improbables

Une autre conséquence de l'examen global du territoire des acteurs internationaux est de prendre pleinement conscience de l'existence de voisins "improbables". Par exemple, l'Australie et la France sont voisines, autour des îles Kerguelen et de la Nouvelle-Calédonie. De même, l'Australie et la Norvège sont des voisins (au nord de l'Antarctique). Ces relations existent aussi en considérant le voisinage sur l'Antarctique**.

Cela signifie qu'il faut peut-être envisager différemment les alliances ou, à tout le moins, une forte coopération.

Pourquoi cela est-il important et quelques recommandations

Parmi les facteurs cruciaux qui façonneront notre avenir, nous trouvons le changement climatique et la perte de biodiversité, ou plus largement les modifications des écosystèmes, et la raréfaction des ressources (y compris l'énergie), ce qui nous amènena à utiliser de plus en plus de nouveaux territoires, plus extrêmes.

L'un de ces territoires extrêmes est celui des grands fonds marins, ce qui implique de les connaître, de les protéger en les utilisant. Il sera primordial de pouvoir exploiter les abysses de manière réellement durable, de transporter ensuite les ressources obtenues là où elles sont nécessaires, de surveiller les zones concernées et de les sécuriser.

Être souverain sur ces territoires, qui sont de facto maritimes, sera un facteur de richesse et de survie. Pouvoir utiliser ces territoires de manière stratégique n'est pas moins important, comme le montrent les efforts et les succès chinois dans ce domaine (par exemple, Lavoix, "Les technologies clés ultimes...", Ibid.).

Les liens entre le domaine maritime mondial et l'espace ne doivent être ni oubliés ni sous-estimés, car l'espace est essentiel pour la navigation et les communications, par exemple.

Les ressources halieutiques et leur préservation ne doivent bien sûr pas être oubliées.

Les groupes d'acteurs intéressés, qu'ils soient publics, privés ou mixtes, devraient aller de l'avant pour investir et développer les capacités des ZEE et les ECS ainsi que la gestion durables des flux à partir de et ces zones, plus particulièrement dans les grands fonds. Ils devraient inclure des start-ups quand besoin est et s'assurer que l'innovation et la recherche multidisciplinaire sont pleinement prises en compte. Ils devront peut-être exercer des pressions sur les États. Cette stratégie pourrait s'avérer particulièrement utile lorsque ou si les dirigeants officiels et les administrations pratiquent allègrement la négligence jusqu'à la défaillance.

Les entreprises doivent repenser leurs stratégies pour tenir compte de la manière dont le monde se présente réellement et de la façon dont les alliances et les tensions connexes peuvent évoluer et avoir un impact sur leur activité.

Les États, les diplomates et les armées doivent s'assurer qu'ils ont et auront les moyens d'assurer la sécurité du territoire sous leur souveraineté, surtout si l'on considère le contexte de plus en plus tendu et les défis croissants de l'avenir.


Note

* Nous adoptons ici une approche géopolitique, et non une vision des différends en matière de droit international. Notre objectif n'est pas de discuter des différences entre la souveraineté et les frontières liées à la mer territoriale, aux ZEE, à la prééminence du droit de la mer, etc., ni des relations entre le pouvoir, la force, les relations internationales, le droit international, le système international, etc.

**"Le traité de Washington du 1er décembre 1959 ayant gelé toutes les revendications sur le continent antarctique, les États possesseurs, comme la France, ne peuvent exercer ni souveraineté ni juridiction sur les eaux situées au-delà du territoire antarctique qu'ils revendiquent. Les demandes d'extension du plateau continental sont également suspendues. En conséquence, les espaces maritimes relatifs à la terre Adélie ne sont pas inclus dans les espaces maritimes actuellement en vigueur pour la France." (Limites maritimes, Tableau des superficies, 2021).

Image en vedette : Photo par Dorothe formulaire PxHere - Domaine public


De visionnaire à roi - Réussir grâce à la prospective stratégique et à l'alerte

(Conception artistique : Jean-Dominique Lavoix-Carli)

Connaissez-vous l'histoire du frère de Cassandre, qui partageait le don de prophétie de sa sœur mais pas sa malédiction ?

Cette légende, comme d'autres mythes, histoires et faits passés, pourrait-elle nous donner des idées afin de rendre plus efficace la diffusion et la communication de nos produits de prospective stratégique et d'alerte précoce ? Pourrait-elle nous permettre d'améliorer le sort des praticiens de prospective stratégique, d'alerte précoce et de gestion de risques ?

Écoutez l'article dans le cadre d'une conversation approfondie sur notre podcast, Foresight Frontlines - Methodology series - créé avec NotebookLM.

Après avoir raconté la légende d'Helenus, nous mettrons en évidence les leçons nous pouvons apprendre de ce mythe (en français nous utiliserons indifféremment le nom grec Helenos et latin Helenus).

La légende d'Helenus

L'histoire d'Hélènos (ou Helenus) peut être reconstituée en tissant ensemble des textes de différents auteurs grecs et romains, chacun apportant un éclairage sur une partie de la vie de notre héros. Nous utilisons ici :

  • Poèmes homériques probablement créés au 8e siècle avant J.-C. (entre le 8e et le 6e siècle pour leur forme écrite). Traduction anglaise comme dans le texte. Traduction française (FR) par Charles-René-Marie Leconte de L'Isle.
  • Virgile : Poète romain, 70 BC - 19 BC. Traduction anglaise comme dans le texte. Traduction française (FR) Anne-Marie Boxus et Jacques Poucet, 2009.
  • Conon : Grammairien et mythographe grec, 63 BC - 14 AD/CE.
  • Dictys Cretensis : récit fictif probablement créé en grec vers le 1er ou le 2e siècle de notre ère (par ex.Dictys Cretensis“, Études luwiennes, 2005?).
  • (Pseudo-)Apollodorius, Bibliothèque (ou Bibliotheca) : un recueil de mythes et légendes grecs : 1er, 2ème ou 3ème siècle de notre ère (par exemple, Stefano Acerbo, "Anonyme : Apollodorus Bibliotheca [La bibliothèque d'Apollodorus]. L'encyclopédie littéraire", janvier 2019, Researchgate).
  • Pausanias : Géographe grec, 110 AD/CE - c. 180 AD/CE.

Hélènos était un prince troyen, fils du roi Priam et de la reine Hécube et frère jumeau de Cassandre. Un jour, les deux enfants s'endormirent dans le temple d'Apollon Thymbraeus et furent retrouvés au matin avec des serpents à leurs côtés léchant leurs oreilles. Depuis lors, ils purent voir et prédire le futur, car ils avaient reçu le don de prophétie (ApollodorusBibliothèque, Sir James George Frazer, Ed, 9.fn 20 Scholiaste sur Hom. Il. vii.44Tzetzes, Scholiaste sur Lycophron, Introd. vol. i. pp. 266 et s., éd. C. G. Müller).

Hélènos devint " le plus illustre de tous les divinateurs" (Homère, Iliade, vi. 76).

Alors que Troie était attaquée par les Grecs et que la bataille faisait rage, pendant les premières années de la guerre, Hélènos alla voir Enée, son cousin au second degré, fils de la déesse Aphrodite et un favori d'Apollon, et Hector, son frère aîné, et leur prédit en détail comment ils pourraient renverser le cours de la bataille et obtenir la victoire. Dans sa prophétie, il vit Hector conseiller à la reine leur mère de conduire les offrandes des femmes troyennes à "Athéna aux yeux étincelants" afin que la déesse écarte de la bataille Diomède, le guerrier grec le plus vaillant et le plus redouté. Il fallait gagner la déesse à soutenir les Troyens, car elle avait pris fait et cause pour les Grecs. Hector fut assez sage pour écouter attentivement son frère et faire ce qui lui était conseillé. En conséquence,

"... car ils [l'ennemi] croyaient qu'un immortel était descendu de l'Ouranos étoilé pour secourir les Troiens, ces derniers revenant ainsi à la charge. Et, d'une voix haute, Hektôr excitait les Troiens :
"Braves Troiens, et vous, alliés venus de si loin, soyez des hommes ! Souvenez-vous de tout votre courage, tandis que j'irai vers Ilios dire à nos vieillards prudents et à nos femmes de supplier les dieux et de leur vouer des hécatombes."

Homère, Iliade, vi. 76

Quelque temps plus tard, alors que la "fille du grand Zeus" Athéna, aux yeux étincelants", voulait agir pour favoriser les Grecs et empêcher les trop nombreuses victoires troyennes, Apollon, partisan de Troie, se précipita à sa rencontre. Le dieu "roi Apollon, fils de Zeus" devait trouver un moyen de l'empêcher de s'immiscer ainsi dans la bataille, préservant ainsi Troie, mais aussi de la satisfaire. Les dieux se mirent finalement d'accord sur un plan leur convenant et transformant une bataille coûteuse en des combats singuliers contre le très vaillant Hector,

"... Et Hélénos, le cher fils de Priamos, devina dans son esprit ce qu'il avait plu aux dieux de décider, et il s'approcha de Hektôr et lui parla ainsi : – Hektôr Priamide, égal à Zeus en sagesse, voudras-tu m'en croire, moi qui suis ton frère ? Fais que les Troiens et tous les Akhaiens s'arrêtent, et provoque le plus brave des Akhaiens à combattre contre toi un rude combat. Ta moire n'est point de mourir et de subir aujourd'hui ta destinée, car j'ai entendu la voix des dieux qui vivent toujours." Il parla ainsi, et Hektôr s'en réjouit... "

Homère, Iliade, vii. 44

Helenos était également un guerrier accompli et il combattit les Grecs aux côtés de ses frères (par exemple Homère, Iliade, xii. 94).

Au fil du temps, les héros, grecs et troyens, furent tués les uns après les autres, la mort de l'un entraînant peine, vengeance et mort d'un autre. Patrocle, Hector, Achille, puis Pâris furent occis. Les dieux n'étaient pas en repos et se battaient et se disputaient entre eux pour leur camp favori.

Pâris étant mort, Hélènos chercha à épouser sa veuve, Hélène. Hélas, son frère cadet Déiphobe lui fut préféré par des manipulations et " par la faveur & la faction des Grands " (Conon, Narrationes, 34).

Dans une version différente et postérieure de la légende, Hélènos et Énée s'indignèrent de voir un comportement sacrilège se dérouler à Troie, lorsqu'Alexandre, un fils de Priam trompa Achille et le blessa dans le temple d'Apollon (Dictys Cretensis iv. 18).

Dans ces deux récits, Hélènos décida de quitter Troie et de se réfugier sur le mont Ida.

"...Il [Hélènos] ne craignait pas la mort mais les dieux, dont Alexandre avait profané les sanctuaires, un crime que ni Énée ni lui-même n'étaient capables de supporter. Quant à Énée, craignant notre colère, il était resté en arrière avec Anténor et le vieil Anchise,...
... A la même époque, les fils d'Antimaque (dont nous avons parlé plus haut) se présentèrent à Hélènos comme représentants de Priam. Mais il refusa de faire ce qu'ils lui demandaient, c'est-à-dire de retourner auprès de son peuple, et ils s'en allèrent. 

Dictys Cretensis iv. 18

Les Grecs, apprenant la retraite d'Helenos, le firent alors prisonnier et le forcèrent ou l'incitèrent à parler.

Alors qu'[Hélènos] vivait là tranquillement, Calchas persuada les Grecs de lui tendre une embuscade et d'en faire un prisonnier de guerre, ce qu'ils réussirent. Hélènos, intimidé, prié, caressé, poussé aussi par son ressentiment, révéla aux Grecs le secret de l'Etat ; que le sort de Troie était de ne pouvoir être pris qu'au moyen d'un cheval de bois, & qu'il fallait de plus enlever une statue tombée du ciel, appelée le Palladium[146], qui de toutes les statues conservées dans la citadelle, était la plus petite. "

Conon, Narrationes, 34 - Note : Le Palladium est une statue en bois de Pallas Athena, “Athéna la sage“.

Et ainsi le destin de Troie fut scellé. Troie tomba.

Le destin d'Hélènos était désormais lié aux Grecs. Il prédit à Pyrrhus l'aîné que ce dernier s'établirait en Épire, ce que Pyrrhus fit. Pyrrhus accorde à Hélénos le royaume des Chaoniens. Ainsi, Hélénos devint roi. Hélénos épousa Andromaque, la veuve d'Hector puis de Pyrrhus (Pausanias, Description de la Grèce, Tome 1, l'Attique, i. 11, ii. 23, fn 139 et 140). Enée, fuyant une Troie deux fois déchue comme les dieux le lui avaient ordonné, son père Anchise sur le dos, découvre en ces termes la surprenante situation :

[294] "Là, un récit incroyable parvient aussitôt à nos oreilles : Hélénus [latin pour le grec Helenos], le fils de Priam, règne sur des villes grecques, il possède et l'épouse et le trône de Pyrrhus l'Éacide ; Andromaque une seconde fois est échue à un époux de son pays."

Virgile, Énéide, iii. 294-490

Le roi Hélénus accueillit son cousin à son arrivée. Puis, Aenas, inquiet de son voyage et de son destin, en profita pour demander la prophétie du grand voyant.

[356] ... ʻFils de Troie, interprète des dieux, qui comprends la volonté de Phébus, ses trépieds, les lauriers de Claros, le message des astres, le langage des oiseaux et les présages qu'annonce leur vol rapide, allons, parle : c'est que des manifestations divines encourageantes m'ont indiqué toute ma route et les dieux unanimes m'ont persuadé de gagner l'Italie et de chercher l'accès de ces terres lointaines ; seule, la Harpye Céléno prophétise, - chose funeste à dire - un prodige incroyable et annonce de cruelles colères et une famine abominable. Dis-moi les premiers périls à éviter. Quelle route suivre, pour surmonter de telles épreuves ? ʼ

Virgile, Énéide, iii. 356.

Comme au début de la guerre de Troie, Hélènos offrit une vision détaillée et pleine de conseils, bien qu'incomplète car les mortels ne peuvent pas tout savoir et les dieux cachent toujours certains de leurs desseins.

Alors , après un sacrifice rituel de jeunes taureaux, Hélénus implore la paix des dieux ; ayant dénoué les bandelettes autour de sa tête sacrée, il me prend la main et, ô Phébus, il me conduit apeuré vers la puissance divine, au seuil de ton temple. Le prêtre enfin, de sa bouche inspirée, énonce cette prophétie :

[374] "Fils de déesse, tu vogues sur la mer sous de puissants auspices, c'est une promesse manifeste ; ainsi le roi des dieux distribue et alterne les destinées ; ainsi se déroule l'ordre des choses ; pour que tu puisses traverser les mers avec plus de sécurité et te fixer en un port d'Ausonie, je t'expliquerai quelques points ; car les Parques refusent à Hélénus de connaître les autres et Junon la Saturnienne lui interdit de parler.... En outre, si le devin Hélénus jouit de quelque sagesse, s'il est digne de foi, si Apollon inspire la vérité à son coeur, fils de déesse, je te dirai cette chose, de toutes la plus importante, et, te la répétant toujours et toujours, je te donnerai ce conseil : en premier lieu, adore et prie la divinité de la grande Junon, à Junon, plais-toi à psalmodier des voeux, et par tes dons de suppliant fléchis cette puissante dominatrice : c'est ainsi qu'en vainqueur enfin tu quitteras la Trinacrie et seras envoyé en Italie.... Voilà les révélations que par ma voix je puis t'annoncer. Va, et que tes exploits élèvent jusqu'aux astres une Troie majestueuse ʼ....

Virgile, Énéide, iii. 356-374

Enée écouta Hélènos et fonda Rome. Hélénos continua à régner avec sagesse et clairvoyance sur le royaume des Chaoniens en Épire.

Que pouvons-nous apprendre d'Helenos ?

Une prospective réussie est précise et "actionnable"

Dans le récit d'Hélènos, nous retrouvons la plupart des éléments habituellement soulignés comme essentiels en termes de prospective, ce qui souligne leur importance intemporelle.

Tout d'abord, les prédictions d'Helenos sont à chaque fois très détaillées et précises.

Ceux qui les reçoivent peuvent donc utiliser cette "prospective" de manière très pratique pour l'action. Nous ne sommes pas dans le domaine des généralités ni du flou, au contraire.

De toute évidence, la clairvoyance de l'augure troyen est fondamentalement actionnable. En fait, elle est plus qu'actionnable.

La prospective signifie conseiller pour une action réussie

Les prophéties d'Helenos sont des conseils concrets sur ce qu'il faut faire pour atteindre un objectif souhaité en harmonie avec les forces en présence.

Conseil et non neutralité

Contrairement à l'option choisie par les services de renseignement, où la prospective et les recommandations politiques sont séparées (cf. De la malédiction de Cassandre au succès de la Pythie), avec Helenus nous sommes définitivement dans le domaine du conseil quant au futur.

Sauf si nous travaillons dans le domaine du renseignement, et toujours en veillant à ne pas créer de ressentiment, il serait peut-être bon, finalement d'abandonner l'idée de séparer la prospective des recommandations politiques. Au contraire, nous devrions peut-être accepter pleinement que nous devons également fournir des conseils en termes de politiques.

Homère, en effet, nous montre également que si les gens écoutent Helenus et font ce qui a été prophétisé, le succès suit.

En conséquence, même si, en tant que praticiens de la prospective et de l'alerte stratégiques, nous devons envisager tous les scénarios possibles, les probabiliser et les surveiller, ce que nous devons donner aux responsables politiques et aux décideurs, ce sont des conseils pour une réponse victorieuse ou gagnante. L'alerte est nécessaire, mais elle pourrait être mieux reçue si elle était accompagnée ou transformée en "prospective et alerte pour le succès".

Accessoirement, de nos jours, compte tenu de la propension à être anxieux et craintif face à la réalité et du souhait de fin heureuse et de "positivité", une telle approche peut sauver le praticien de prospective stratégique et d'alerte précoce de nombreuses situations désagréables.

Cependant, être capable non seulement de faire de la prospective exploratoire, ainsi que de l'alerte, mais aussi de les transformer en prospective normative pour une politique réussie demande presque deux fois plus de travail. Ainsi, il reste à voir si les décideurs et les différents acteurs sont prêts à fournir les ressources nécessaires et à payer le prix pour atteindre ce résultat (bien sûr, je ne considère pas ici les analyses et travaux sous-optimaux et bâclés).

La prospective et les dieux

De manière très intéressante, et d'une manière qui est liée à ce que nous avons vu avec la Pythie (voir Helene Lavoix, "De la malédiction de Cassandre au succès de la Pythie“, The Red Team Analysis Society, mai 2021), le récit d'Hélènos nous apprend qu'il est impossible de dissocier une prospective réussie de l'écoute de dieux spécifiques puis d'actions permettant de nous les concilier. Comment pouvons-nous interpréter cet aspect au XXIe siècle ?

Réenchanter la prospective

Hélénus, comme tous les personnages de l'Iliade, vit avant tout dans un lieu qui n'a pas encore été victime du désenchantement du monde apporté par la modernité, comme l'explique Max Weber (1917). Leur comportement, y compris leur clairvoyance, ne peut être compris que si l'on cherche à comprendre leurs interactions avec les dieux et avec un monde où les dieux jouent un rôle tout puissant.

Transposer la légende et sa sagesse à notre époque et à notre siècle ne signifie pas simplement transformer une attitude passée considérant le sacré et révérant les dieux par un présent d'asservissement aveugle à la science et à la technologie qui se croient libres et laïques.

Pour "réenchanter la prospective" correctement, nous devons utiliser une compréhension du symbole et de l'essence des archétypes que les dieux d'Homère et de Virgile incarnent, en suivant Jung (L'homme et ses symboles, 1964). Ainsi, nous profiterons pleinement du récit d'Helenus.

S'incliner devant l'entrelacement de forces supérieures

La clairvoyance d'Hélènos provient de la compréhension de situations complexes en évolution, résultant de forces le plus souvent invisibles et déclenchées à la fois par les humains et les dieux. Les dieux sont en effet l'incarnation de ces forces.

Cela correspond à considérer l'interaction et l'imbrication de diverses dynamiques - les "forces" - à l'œuvre dans le monde. Pour comprendre ce jeu, il faut donc s'intéresser et comprendre les processus sous-jacents dont résultent les phénomènes. C'est ce que j'appellerais une véritable analyse prospective classique, qui nous amène à développer un modèle pour chaque question (voir Cours 1 sur la modélisation analytique).

Il est essentiel ici de souligner qu'une telle compréhension ne peut en aucun cas être obtenue par une juxtaposition de multiples tendances déconnectées, comme on le trouve souvent de nos jours (par exemple, pour certains des dangers et de l'insuffisance de telles approches, H. Lavoix, Les technologies clés du futur (1), The Red Team Analysis Society, juin 2021). L'incapacité à créer des taxonomies hiérarchiques dont font preuve de nombreuses personnes dans notre domaine et, plus largement, de plus en plus dans la société, est au mieux déroutante, au pire dangereuse. De même, l'incapacité des individus à comprendre la transitivité des facteurs (si A implique B et B implique C, alors A implique C) est tout aussi inquiétante.

Ce qui pourrait résulter de ces approches, dans le meilleur des cas, est un panorama disparate totalement inadapté à une action réussie.

Pour expliquer la propagation de telles perspectives insatisfaisantes, nous pouvons avoir, entre autres facteurs, l'effet Dunning Kruger ("Unskilled and Unaware of It... 1999, voir Cours 1 sur la modélisation analytique, Cours 3 sur l'atténuation des biais). Pire encore, nous pouvons craindre qu'une baisse générale de l'intelligence - mesurée par les scores de QI - dans les pays développés ne commence à se manifester ici (Evan Horowitz, "IQ rates are dropping in many developed countries and that doesn’t bode well for humanity“, Pensez à, mai 2019 ; Peter Dockrill, "IQ Scores Are Falling in “Worrying” Reversal of 20th Century Intelligence Boom“, Alerte scientifique, 13 juin 2018). Si ces recherches étaient exactes, alors la baisse serait éventuellement de 7 points de score de QI en moins par génération à partir de 1975, avec des variations en fonction de diverses variables. Bien sûr, nous pouvons décider de nier ces recherches ou l'idée de QI mais cela reviendrait à "casser le thermomètre", ce qui serait une attitude très destructrice.

Si la diffusion d'approches insatisfaisantes, incapables de prendre en compte des interactions complexes, était une tendance établie, il faudrait alors trouver des moyens de compenser et de convaincre les gens d'utiliser ces moyens.

En effet, le récit d'Hélènus nous apprend que la prospective doit tenir compte des forces, même invisibles, qui sont à l'œuvre et qu'elle est une condition nécessaire à la réussite.

Ce n'est cependant pas suffisant.

Les dieux à honorer

L'histoire d'Hélènus montre également que les êtres humains doivent accepter et s'incliner devant ces forces, qui sont plus grandes qu'eux.

Dans ces conditions, ceux qui font preuve de clairvoyance réussiront.

Cela signifie que la prospective doit également inclure des conseils relatifs au meilleur comportement à adopter pour réussir face à ces forces plus grandes que nous.

Par exemple, dans le contexte de la guerre, Hélénos explique à Hector ce qu'il faut faire pour cajoler et plaire à Athéna. C'est d'autant plus important qu'Athéna se range normalement du côté des Grecs. La clairvoyance d'Hélénos est correcte et les Troyens réussissent. En d'autres termes, les qualités que les Troyens devaient alors rechercher, dans le cadre de la guerre, étaient la sagesse car Athéna est la déesse de la sagesse et de la stratégie guerrière, la seconde étant impossible sans la première. Les Troyens écoutent Hélènos et gagnent.

Dans la troisième prophétie faite à Enée, la déesse qui doit être satisfaite est Junon, l'épouse de Zeus. Junon, cependant, était l'ennemie des Troyens en général et d'Enée en particulier. Une transposition directe à notre siècle est difficile. Nous pouvons supposer que le conseil d'Hélènus était lié à la nécessité pour Enée de prêter une attention particulière aux personnes qui obéissaient encore à la grande déesse, ce que Junon peut représenter. Ce conseil peut également suggérer qu'Enée ne devait pas se marier avant d'avoir atteint la fin de son voyage. Quoi qu'il en soit, ce qui importe pour nous, c'est le type et la portée des conseils donnés par Hélènus.

En résumé, la leçon que nous pouvons apprendre ici est qu'il faut non seulement examiner attentivement les forces en présence, mais aussi la meilleure façon d'y faire face.

Le devin et les héros justes

Helenus, en tant qu'augure, ne peut être séparé de ceux qui recherchent ses prophéties, l'écoutent attentivement et appliquent ensuite scrupuleusement ses recommandations.

Les deux principaux héros qui écoutent Hélènos ne sont pas n'importe quel personnage. Il s'agit d'Hector, le plus valeureux des princes troyens, destiné à succéder au roi Priam, puis d'Enée, demi-dieu, considéré comme très valeureux et de haute moralité, finalement fondateur de Rome. Malgré leur statut et leurs qualités, tous deux écoutent Hélènos, car le devin n'est, en fin de compte, que celui qui dévoile une partie des plans des dieux. Ils n'interagissent pas par narcissisme, compétition et volonté de dominer l'autre, mais à un niveau supérieur, qui est d'agir ensemble de manière juste pour atteindre un objectif plus grand.

Ce qu'il faut donc retenir ici, c'est l'importance de cultiver autant que possible une primauté donnée à l'objectif et au monde, tant chez le praticien de la prospective stratégique que chez l'utilisateur de la prospective.

Ensuite, et exactement comme nous l'avons vu précédemment dans l'histoire de Tigranes, la disparition des héros va aussi, d'une certaine manière, de pair avec l'absence de prospective qui est délivrée (Hélène Lavoix, "Pourquoi le messager se fait-il tuer et comment éviter ce sort“, The Red Team Analysis Society, avril 2021).

En outre, selon les récits ultérieurs, l'attitude défavorable des Troyens eux-mêmes est soulignée. C'est cette même attitude qui pousse Hélènos à se retirer sur le mont Ida.

Il semblerait donc, comme nous l'avions déduit de Plutarque (Pourquoi le messager a été abattu, ibid.), que lorsqu'une société ou une civilisation se décompose, tant les héros que la prospective disparaissent. Il se pourrait que seuls les héros puissent véritablement écouter la prospective. S'il n'y a plus de héros, les personnes qui pratiquent la prospective n'ont d'autre choix que de se retirer.

Cependant, ici, grâce au romain Virgile et au grec Pausanias, l'histoire évolue de façon inattendue et intéressante, ce qui nous amène au-delà de la compréhension de Plutarque.

La récompense ultime

Lorsqu'une civilisation ou une société se décompose, jusqu'à présent dans l'histoire de l'humanité, d'autres prennent le relais, ne serait-ce que temporairement. C'est ce qui est illustré dans notre légende à travers Troie comme puissance en déclin et les cités grecques comme puissances ascendantes.

Une fois que la puissance ascendante a atteint la suprématie, elle peut alors utiliser à nouveau la clairvoyance des devins qui se sont retirés, comme l'a fait Pyrrhus. Faisant preuve de sagesse, car on ne peut gagner sans cette dernière, ils récompensent alors l'augure. C'est ainsi qu'Helenus devient roi.

Les récits ultérieurs tentent d'impliquer davantage Hélènos dans la chute de Troie. Selon eux, alors que la puissance ascendante est toujours en compétition pour la suprématie, elle commence à rechercher les conseils des augures, ceux-là mêmes qui ont dû se retirer de leurs propres sociétés. L'obtention de ces conseils donne à la puissance ascendante les derniers éléments nécessaires pour que l'avènement de la nouvelle ère se réalise.

Dans ces légendes, à la fin, le praticien de la prospective est gagnant, parce que la ligne de conduite qu'il a suivie était d'être fidèle à des forces plus grandes que lui, ainsi qu'aux valeurs justes et à la sagesse qui animèrent Troie jusqu'à la chute des héros, et non de se contenter et d'accepter le reflet pâle et déformé d'elle-même que Troie était devenue.

Ensuite, et cela se retrouve tout au long des récits, avec plus ou moins d'insistance, en refusant d'accepter la décadence de leur propre civilisation, non seulement Hélènos mais aussi Enée, et même Hector, par l'intermédiaire de sa veuve Andromaque, les véritables représentants de Troie continuent d'exister et de prospérer. Hélènos ne se contente pas de régner sur un royaume. Grâce à sa clairvoyance, il aide aussi un Troyen à fonder la puissance héritière de la véritable Troie, Rome.

Ainsi, le récit d'Hélènus se termine sur un double message d'espoir pour les praticiens de la prospective stratégique et de l'alerte précoce. S'ils considèrent vraiment les forces en présence, s'ils obéissent à l'esprit de ces forces, de la prospective et aux valeurs de leur société, alors, à la fin, non seulement seront-ils personnellement récompensés, mais ils contribueront aussi à voir se construire une civilisation meilleure et plus puissante.

Pour conclure, je vous laisse avec une question à méditer : pourquoi nos sociétés ont-elles choisi de se souvenir de Cassandre, de sa malédiction et de son destin tragique plutôt que d'Hélènus, de son don et de son destin glorieux ?


Note

*Ilios et Troie étaient traditionnellement considérés comme synonymes dans Homère. Iliade (voir María Del Valle Muñoyerro, "Troie et Ilios chez Homère : Région et ville", Glotta, 74. Bd., 3./4. H. (1997/1998), pp. 213-226.

Bibliographie complémentaire

Homère, Les Iliade avec une traduction anglaise par A.T. Murray, Ph.D. en deux volumes. Cambridge, MA, Harvard University Press ; Londres, William Heinemann, Ltd. 1924.

Jung, Carl Gustav, L'homme et ses symboles, 1964.

Kruger, Justin, et David Dunning, "Unskilled and Unaware of It : How Difficulties in Recognizing One's Own Incompetence Lead to Inflated Self-Assessments (en anglais seulement)“, Journal de la personnalité et de la psychologie sociale, vol 77, no 6, p 1121-1134, American Psychological Association (1999).

Weber, Max, "La science comme vocation" 1917.

La Chine antarctique (2) - Le jeu planétaire de la Chine

(Conception artistique : Jean-Dominique Lavoix-Carli)

Un jeu de Go planétaire :

La plupart des observateurs géopolitiques occidentaux semblent incapables de voir la stratégie à l'échelle planétaire que la Chine déploie en Antarctique (Alexander B. Gray, "Le prochain objectif géopolitique de la Chine : dominer l'Antarctique”, L'intérêt national, 20 mars 2021). Les racines de ce " très Grand Jeu " sont profondes dans l'histoire et la culture stratégique chinoises. Elles le sont aussi dans la stratégie actuelle de développement de la Chine (Jean-Michel Valantin, "La Chine et la nouvelle route de la soie, des puits de pétrole à la lune... et au-delà”, The Red Team Analysis Society6 juillet 2015).

Un jeu de go de pôle en pôle

Pour comprendre l'ampleur de cette entreprise géopolitique gigantesque, il faut garder à l'esprit que le style stratégique de la Chine est profondément différent de celui de l'Occident. Comme l'établissent Scott Boorman en 1971 et David Lai en 2002, le principe fondamental de la stratégie chinoise n'est pas la domination par l'exercice direct de la force (Scott Boorman, Le jeu prolongé - Une interprétation par Wei'Chi de la stratégie révolutionnaire maoïste1969, David Lai, " Apprendre des pierres : Une approche de Go pour maîtriser le concept stratégique Shi de la Chine". ", 2004, GlobalSecurity.org). En effet, la force est combinée à la maîtrise indirecte et à une approche " encercler et conquérir ".

Cette approche est combinée avec le "shih". Cette notion recouvre le sens d'"organiser" la configuration stratégique des "circonstances". Elle vise donc à créer un ordre de "circonstances" plus favorable et plus avantageux pour les intérêts chinois.

D'un point de vue stratégique, "organiser les circonstances" ne signifie pas fixer des paramètres. Il s'agit de "canaliser" les flux d'événements qui se déploient dans la continuité de l'espace et du temps.

Il se trouve que le développement de la présence chinoise en Antarctique est à la fois un signal et un vecteur de la manière dont la Chine déploie une stratégie d'influence mondiale. Cette stratégie s'étend d'un pôle à l'autre (Jean-Michel Valantin, "Antarctic China-1 : Strategies for a Very Cold Place" 31 mai 2021, et "Jean-Michel Valantin, "Vers une guerre entre les États-Unis et la Chine ? (1) et (2) : Tensions militaires dans l'Arctique”, The Red Team Analysis SocietyLe 16 septembre 2019 ".

La stratégie invisible

Comme nous l'avons vu dans Chine antarctique (1)Beijing fait construire une cinquième station terrestre. Dans le même temps, elle ajoute les systèmes de positionnement par satellite Beidou aux stations existantes. Parallèlement, la flotte de pêche chinoise est de plus en plus active dans l'océan Antarctique (Anne-Mary Brady, "La Chine et la Russie poussent le rival du GPS en Antarctique”, L'Australie, 6 septembre 2018).

La stratégie chinoise EST chinoise

Si, d'un point de vue occidental, ces capacités en développement apparaissent comme une stratégie en soi, elles ont également une autre dimension, ancrée dans la pensée philosophique et stratégique chinoise (Valantin, "La Chine et la nouvelle route de la soie : la stratégie pakistanaise”, L'analyse de la Red Teamle 18 mai 2015).

Cette dimension est fondée sur une compréhension de la dimension spatiale de la Chine, au sens géographique du terme. L'espace n'est pas seulement conçu comme un support pour étendre l'influence et le pouvoir chinois vers l'"extérieur", mais aussi pour permettre à l'Empire du Milieu d'"aspirer" ce dont il a besoin de l'"extérieur" vers l'"intérieur" (Quynh Delaunay, Naissance de la Chine moderne, L'Empire du Milieu dans la globalisation, 2014).

C'est pourquoi nous qualifions certains espaces comme étant "utiles" au déploiement de la stratégie chinoise. C'est aussi pourquoi chaque "espace utile" est lié, et "utile", à d'autres "espaces utiles". Dans la même dynamique, les différents pays impliqués dans le déploiement de la stratégie chinoise sont des "espaces utiles" pour la Chine. 

Cette philosophie de l'espace et du temps comme flux est le matériau de base de la tradition stratégique chinoise. Comme Scott Boorman, Arthur Waldron et David Lai, entre autres, l'établissent très clairement, cette tradition s'exprime particulièrement bien à travers le "jeu de Go". Ce jeu très ancien souligne l'importance non pas de contrôler, mais de maîtriser l'espace de l'adversaire (Arthur Waldron, "Les classiques militaires de la Chine”, Joint Forces QuarterlyPrintemps 1994). La stratégie consiste à "convertir" cet espace en le faisant sien. Pour ce faire, il faut "encercler et conquérir" les pièces, c'est-à-dire l'espace de l'adversaire.

La stratégie des espaces utiles

Afin de transformer le jeu en une tendance victorieuse, l'objectif principal est d'attaquer la stratégie de l'adversaire et pas "seulement" son espace. Cette philosophie stratégique imprègne certains des plus importants ouvrages stratégiques chinois, tels que l'ouvrage de Sun Zi L'art de la guerre. Elle a été à l'origine de certains des principaux développements stratégiques du vingtième siècle.

C'est vrai, par exemple, de la "guerre révolutionnaire" de Mao contre le Japon et les militaires nationalistes (Scott Boorman, ibid). Comme nous l'avons vu dans The Red Team Analysis SocietyElle est aussi le moteur de la gigantesque initiative "Belt & Road" (Jean-Michel Valantin, Section "La Chine et l'initiative "Belt and Road""., The Red Team Analysis Society).

Ainsi, dans ce contexte et cette tradition stratégiques, la question de l'"utilité" de l'Antarctique se pose. Cette "utilité" apparaît dans le contexte du déploiement mondial de l'influence chinoise (David Lai, ibid). En d'autres termes, comment Pékin élabore-t-il le "shih", la configuration stratégique de circonstances favorables, en installant des capacités en Antarctique ?

De l'Antarctique à un encerclement mondial

Les développements récents et rapides de la présence chinoise dans l'Arctique et dans l'Antarctique suivent la même chronologie. En d'autres termes, nous émettons l'hypothèse que Pékin joue un "jeu de Go" mondial à l'échelle planétaire.

Entourer et conquérir

Dans le cadre de Go, la Chine devient l'"Empire du Milieu" entre l'Arctique et l'Antarctique. Alors qu'elle devient une "nation proche de l'Arctique", la Chine "entoure" toute la région indo-pacifique entre la Chine géographique et l'Antarctique comme un "espace utile". Il en va de même pour l'océan Atlantique, du pôle Sud au pôle Nord ((Jean-Michel Valantin, "L'Ouest est-il en train de perdre le réchauffement de l'Arctique ?”, The Red Team Analysis Society, 7 décembre 2020).

Cela signifie que la Chine utilise sa présence croissante dans l'Arctique et dans l'Antarctique pour accroître son influence mondiale. Cela se fait par le biais d'un Go subtil et multi-échelle et de sa stratégie "entourer et conquérir". Ce jeu s'étend d'un hémisphère à l'autre et rejoint les multiples "espaces utiles" continentaux et maritimes.

Encerclement de l'Australie

Par exemple, le renforcement de la présence chinoise en Antarctique "complète" l'"encerclement" de l'Australie par l'"Antarctique utile" à son sud, tandis que la Chine continentale "occupe" son nord. En d'autres termes, l'Australie est "assiégée" dans un immense océan Indo-Pacifique "utile" (Anne-Marie Brady, La Chine, une grande puissance polaire, 2017).

L'Australie est également directement utile à la Chine, en raison de ses ressources en charbon et en agriculture. En outre, l'"encercler" signifie également diminuer l'"espace vital" du Japon et des États-Unis dans le Pacifique, c'est-à-dire certains des concurrents les plus puissants de la Chine dans la région indo-pacifique (Bonny Lin et alii, Réponses régionales à la concurrence entre les États-Unis et la Chine dans la région indo-pacifique, Rand Corporation, 2020)

Le dernier Chinois debout

Il est intéressant de noter que l'approche stratégique chinoise se situe dans une perspective de jeu long. En outre, cette relation au temps stratégique s'inscrit dans le cadre de la crise du changement biologique et climatique. Cette crise gigantesque a des conséquences profondes dans la région indo-pacifique et antarctique.

Une crise planétaire

La déstabilisation de différentes parties des glaciers de l'Antarctique s'accélère déjà et pourrait bientôt atteindre un point de basculement irréversible. Ce processus amène des quantités massives d'eau sous la forme de plateformes de glace. Ensuite, ces plateformes rampent littéralement dans la mer à un rythme et à une échelle de plus en plus élevés. Au cours du 21e siècle, la rupture de la couche de glace de l'Antarctique pourrait ajouter des dizaines de centimètres à l'élévation globale des océans (Julie Brigham-Grette, Andrea Dutton, "L'Antarctique se dirige vers un point de basculement climatique d'ici 2060, avec une fonte catastrophique si les émissions ne sont pas réduites rapidement”, The Conversation, 17 mai 2021).

D'un point de vue biologique, la crise actuelle de la biodiversité ravage la région indo-pacifique, notamment dans sa dimension marine. En effet, l'augmentation rapide des niveaux de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, parmi lesquels le CO2, qui a déclenché le changement climatique, acidifie également l'eau de mer ("Indicateurs de changement climatique : Acidité des océans", Agence américaine de protection de l'environnement, 2016).

Ce processus se combine aux impacts chimiques et biologiques de la pollution terrestre, industrielle et agricole. Il met en danger les pêcheries, composantes essentielles des ressources alimentaires de façades maritimes entières. Ces changements ont des conséquences géopolitiques directes, car ils impactent les équilibres géophysiques les plus fondamentaux dont dépendent les sociétés humaines et les relations internationales ( Lincoln Paine, Ta mer et la civilisation, une histoire maritime du monde, 2013).

Zones mortes

La situation chimique et biologique de l'océan Indien ne cesse de se dégrader en raison de la multiplication de deux autres zones mortes géantes dans l'océan Indien (Harry Pettit, ' ....L'océan s'étouffe' : Une zone morte mortelle pour les poissons se développe dans la mer d'Arabie - et elle est déjà plus grande que l'Écosse".Courrier en ligne, 27 avril 2017. Une "zone morte" géante se développe également dans le golfe d'Oman. Elle menace ainsi la vie marine et la pêche dans cette partie de la mer d'Arabie.

Une autre "zone morte" géante s'étend enfin sur 60.000 km carrés et se développe dans la baie du Bengale. Elle menace les ressources alimentaires des 200 millions de personnes vivant sur le littoral des huit pays qui entourent la Baie (Amitav Gosh et Aaron Savion Lobo, "Baie du Bengale : l'épuisement des stocks de poissons et l'énorme zone morte annoncent un point de basculement".The Guardian, 31 janvier 2017). En d'autres termes, les changements climatiques et océaniques menacent directement la sécurité alimentaire de centaines de millions de personnes en Afrique, dans la région de la mer d'Arabie et en Asie du Sud.

L'Empire du Milieu et la survie

En d'autres termes, la Chine déploie sa grande stratégie à l'échelle planétaire, tandis que la crise bioclimatique massive actuelle se développe et imprègne tout et tout le monde sur Terre. Cette crise devient un moteur de la compétition internationale pour l'accès aux ressources.

Comme le souligne le développement des pêcheries chinoises dans l'océan Antarctique, Pékin semble vouloir faire traverser à la Chine l'immense "tempête parfaite" de la crise du climat et des ressources. Afin de mettre en œuvre cette stratégie à long terme, la Chine organise les "circonstances" mondiales et planétaires de manière avantageuse pour ses intérêts nationaux.

Nous devons maintenant voir comment cette stratégie "surround and conquer" - "shih" - de l'Antarctique se combine avec le programme spatial chinois (Peter Wood, Alex Stone, Taylor E. Lee, "Le segment spatial terrestre de la Chine, la construction des piliers d'une grande puissance spatiale”, Rapport de Blue Path Labs pour l'Institut d'études aérospatiales de Chine, Université américaine de l'air.1er mars 2021).

Les technologies intensément clés du futur (3) - Environnements extrêmes

Permettre les actions humaines dans un environnement modifié

Ce troisième article est la dernière partie de notre "équation" visant à identifier les technologies clés de l'avenir.

Nous avons commencé, avec le premier article, en établissant qu'il ne suffisait pas de dresser des listes de nouvelles technologies pour identifier les technologies clés de l'avenir. Il nous faut davantage : un système expliquant la logique qui sous-tend le succès des technologies. Nous avons donc développé un modèle schématique décrivant les raisons de l'utilisation des technologies, tant au niveau individuel que collectif.

Ensuite, avec la deuxième partie, nous avons trouvé les conditions qui font que les technologies deviennent essentielles. Ainsi, les technologies qui contribuent à permettre une ou plusieurs des actions nécessaires à la satisfaction des besoins individuels et sociaux, et les conditions de ces actions, deviennent clés. De plus, comme notre modèle autorise une vision évolutive des technologies dans le temps, ce dernier est capable d'identifier les technologies clés du futur.

Nous devons maintenant nous pencher sur la manière dont ces futures technologies clés potentielles fonctionnent dans leur environnement. En effet, elles ne peuvent être clés que si elles remplissent leur fonction adéquatement dans un certain environnement.

Nous soulignons donc, tout d'abord, les nombreuses façons dont notre environnement se dégrade, conduisant de plus en plus souvent à des environnements extrêmes. Qui plus est, cette dégradation de nos écosystèmes nous oblige également à utiliser de plus en plus des milieux naturellement extrêmes.

Nous nous concentrons ensuite sur la manière dont les technologies clés du futur devront être résilientes dans ces conditions extrêmes. Nous expliquons que les technologies clés devront permettre des actions dans ces environnements extrêmes, avec des exemples liés aux grands fonds marins et au sous-sol profond. Nous explorons également les boucles de rétroaction possibles entre l'utilisation d'environnements extrêmes et l'altération de l'environnement, en utilisant le cas des maladies et l'émergence croissante d'environnements contaminés.

Enfin, nous soulignons que certaines technologies ne seront pas seulement essentielles au futur mais aussi pour le futur, si elles peuvent atténuer les dommages faits ou, mieux encore, guérir notre environnement altéré.

Un environnement altéré

Notre environnement a changé par rapport au passé. Ce sera encore plus le cas demain, si l'on considère les tendances linéaires. Nos écosystèmes vont changer d'une manière essentiellement négative ou menaçante pour la survie des individus et des sociétés. Plusieurs forces destructrices sont à l'œuvre.

Des forces défavorables modifient notre environnement

De nombreuses forces défavorables, qui interagissent souvent par le biais de boucles de rétroaction positive, modifient notre environnement. Nous avons notamment :

  • Le changement climatique (C02 dans l'atmosphère en particulier) ;
  • La surpopulation ;
  • La perte de la biodiversité ;
  • Les espèces envahissantes ;
  • L'augmentation des maladies, épidémies et pandémies (découlant notamment des deux facteurs précédents) ;
  • Les accidents industriels, chimiques et nucléaires ;
  • L'urbanisation ;
  • L'agriculture intensive ;
  • L'activité spatiale et les débris correspondants ;
  • Etc.

Vers des environnements extrêmes

L'environnement modifié dans lequel nous vivons, en tant qu'individus et sociétés, aura tendance à devenir extrême. Cela se produira soit parce que les forces altérantes transforment l'environnement lui-même, soit parce que le nouvel environnement altéré nous pousse à découvrir de nouveaux environnements qui étaient auparavant laissés de côté parce qu'ils étaient hors de portée ou difficiles, et parce que nous n'en avions pas besoin.

Nous nous appuyons ici sur l'idée originale d'" environnements extrêmes " développée par le Centre de développement, de concepts et de doctrine (DCDC) du ministère de la Défense britannique dans Global Strategic Trends – Out to 2040 (Tendances stratégiques mondiales - jusqu'en 2040) (2010). Dans cet ouvrage, la raréfaction très probable des ressources devait conduire à un intérêt renforcé pour ce que le DCDC a dénommer les "environnements extrêmes" - c'est à dire les grands fonds marins, l'espace, l'Arctique, l'Antarctique et le sous-sol profond - ainsi qu'à leur exploitation. Le DCDC a ensuite abandonné cette idée, malgré sa puissance.

Nos futurs environnements extrêmes seront :

  • Le grand froid : L'Arctique et l'Antarctique notamment ;
  • Le très chaud (avec une augmentation des températures en raison du changement climatique) et la nécessité d'utiliser tous les espaces terrestres, comme les déserts. Nous pouvons aussi envisager plus tard la nécessité de devoir se déplacer vers des endroits très chauds sur d'autres planètes ;
  • Les phénomènes météorologiques extrêmes qui affectent les écosystèmes de façon relativement imprévisible ;
  • Les zones contaminées : pandémies, risques industriels, radiations ;
  • L'espace
  • Les grands fonds marins
  • Le sous-sol profond et l'activité souterraine
  • Les environnements numériques et de plus en plus virtuels : ils sont extrêmes pour l'être humain car de dernier doit s'y adapter extrêmement vite - y compris physiologiquement - alors que ces environnements nous sont totalement étrangers.

(Photo Pandémie en Inde par Gwydion M. Williams, 2020_05_300100 - CC BY 2.0 ; Deep Earth : Professeur Dale Russell , "L'avenir des villes", Samsung KX50: The Future in Focus, 29 août 2019, autres images comme sur la diapositive et Public Domain)

Les technologies clés du futur et les environnements extrêmes

Les technologies clés que nous avons identifiées devront donc impérativement prendre en compte ces environnements extrêmes.

La résilience extrême, une condition impérative pour les technologies clés du futur

Les technologies clés du futur devront impérativement fonctionner dans des environnements modifiés, qui deviennent ou sont de plus en plus extrêmes.

Quelle que soit l'importance d'une technologie et la façon dont elle pourrait contribuer à satisfaire les besoins humains et sociaux, si cette technologie est fragile et ne peut pas faire face à des environnements extrêmes, elle sera inutile. Elle ne sera donc pas une technologie clé de l'avenir.

Par exemple, les éoliennes devront être capables de résister à des ouragans et à des tornades de plus en plus puissants et fréquents (par exemple, Office of Energy Efficiency & Renewable Energy, "Wind Turbines in Extreme Weather: Solutions for Hurricane Resiliency", 23 janvier 2018).

Les ordinateurs et, plus largement, tout ce qui est lié au monde numérique, y compris l'IA, devront fonctionner dans des conditions météorologiques extrêmes et sous des températures extrêmes. Ils devront faire face à d'éventuelles perturbations ou à des choix difficiles en termes d'énergie. Par conséquent, les technologies liées à l'énergie deviendront encore plus importantes. Par exemple, le matériel informatique photonique, comme les puces LightOn est un candidat sérieux pour devenir une technologie clé de l'avenir.

Ici, pour identifier précisément les technologies clés du futur, nous devrons ajouter à notre modèle schématique général une cartographie analytique précise pour chaque technologie (ou famille de technologies). Nous devrons nous assurer que toutes les forces et leurs interactions sont prises en compte (cf. Online course on analytical modeling - EN). Il faudra également veiller à ce que certaines vulnérabilités ne soient pas négligées. Il sera crucial d'analyser ainsi chaque technologie avant de décider de leur utilisation, au cas où des investissements substantiels soient exigés. Une telle analyse sera d'autant plus importante que le rôle prévu ou existant pour ladite technologie est crucial au sein de l'entreprise ou organisation. Imaginez que vous investissiez des millions, voire des milliards, dans l'intégration d'un système technologique, pour découvrir quelques mois ou années plus tard que cette technologie, qui est désormais au cœur de votre système, connaît des défaillances répétées ou pire encore. Cette situation est bien sûr encore plus grave pour les gouvernements et les organismes publics, ainsi que pour les infrastructures de gouvernance, car des pays entiers pourraient alors être confrontés à d'immenses perturbations, avec des effets négatifs en cascade.

Si vous investissez dans le développement de nouvelles technologies, que ce soit par le biais d'un portefeuille sur les marchés ou directement en tant qu'entreprise ou agent de l'État en soutenant telle ou telle industrie, telle ou telle utilisation, alors vous devrez, de même, vérifier l'"extrême résilience" des technologies que vous soutenez. Imaginez ce qui pourrait arriver si vous faisiez un mauvais choix.

En résumé, une sine qua non condition sine qua non pour qu'une technologie soit clé dans le futur est qu'elle ait comme caractéristique une résilience extrême.

Les technologies clés du futur devront nous aider à accéder et à fonctionner dans des environnements extrêmes

Les technologies clés de l'avenir devront nous aider à accéder et à fonctionner dans des environnements extrêmes.

Les environnements extrêmes sont, par définition, les environnements qui ne sont pas favorables aux sociétés humaines. Par conséquent, il est toujours difficile de survivre dans ces environnements et le plus souvent difficile d'y accéder.

Même dans le cas des environnements numériques et virtuels, il existe des impacts négatifs et jusqu'à présent inconnus sur les êtres humains (par exemple Matt Southern, "Study Finds 4 Negative Effects of Too Much Video Conferencing“, SEJ, 27 février 2021 ; Cheryl Roy, "What are the harmful effects of virtual reality?“, Law Technology today, 21 janvier 2021 ; Lavoie, Main, King, et al. Virtual experience, real consequences: the potential negative emotional consequences of virtual reality gameplayVirtual Reality 25, 69-81, 2021, etc.). Parallèlement, il est impossible de ne vivre que par et à travers la réalité numérique et virtuelle. Enfin, les innombrables entreprises qui s'occupent de cybersécurité, ainsi que de la construction et du développement des environnements numérique et virtuel, témoignent de la difficulté d'accès à ce type de monde et de fonctionnement en son sein.

Des études détaillées pour chaque environnement extrême seront nécessaires pour déterminer les conditions d'accès et d'exploitation. En attendant, et à titre d'exemple, nous allons nous pencher ici sur des cas de nouvelles technologies qui nous aident à accéder aux "mondes du dessous", c'est-à-dire aux milieux des grands fonds marins et des sous-sol profonds.

Les grands fonds marins

Les grands fonds marins sont un environnement extrême qui devient de plus en plus crucial pour l'avenir (voir Helene Lavoix, "Dossier sur les ressources des grands fonds marins“, The Red Team Analysis Society, mise à jour janvier 2018, première édition 2012). Ils doivent être compris notamment dans le contexte des besoins en ressources, dont l'énergie, de la protection des écosystèmes fragiles. Qui plus est il faut prendre en compte, stratégiquement la révision des frontières réelles des États. Notons que ce dernier élément, pourtant fondamental, ne semble pas avoir déjà imprégné la conscience mondiale.

La Chine est très avancée dans le développement et l'utilisation des technologies des grands fonds, comme le souligne Liu Feng, secrétaire général de l'Association chinoise de recherche et de développement des ressources minérales océaniques (COMRA) (Interview par Wang Yan, "China’s deep-sea mining, a view from the top“, China Dialogue18 octobre 2019). Sur le plan stratégique, elle s'implique également activement auprès des autorités internationales correspondantes. En octobre 2019, par exemple, la Beijing Pioneer Hi-Tech Development Corporation et l' International Seabed Authority / Autorité internationale des fonds marins (ISA) ont signé un contrat d'exploration des nodules polymétalliques dans l'océan Pacifique occidental (Communiqué de presse de l'ISA, 24 octobre 2019). Le 9 novembre 2020, l'ISA et la Chine ont lancé un centre commun de formation et de recherche (Communiqué de presse de l'ISA, 9 novembre 2020).

La Chine a le plus grand nombre de contrats d'exploration des fonds marins avec l'ISA (carte 22 avril 2021 ISA - cliquez sur l'image pour accéder à l'original sur le site web de l'ISA).

Sur le plan technologique, la Chine a notamment mis au point un submersible sans équipage, Qianlong 3, qui a effectué sa première plongée à 3500 mètres de profondeur en avril 2018 (Global Times). Son submersible habité Fendouzhe a terminé une mission en eaux profondes dans la fosse des Mariannes, dans le Pacifique, et a atteint une profondeur de plus de 10 000 mètres en novembre 2020. Il s'agit de la deuxième plongée la plus profonde après un record américain établi en 2019 ("New Chinese submersible reaches Earth’s deepest ocean trench“, Phys.org, novembre 2020).

Les sous-sols profonds et le monde du souterrain

La DARPA a lancé un Défi Souterrain (Subterranean challenge) en décembre 2017 pour "développer des technologies innovantes qui augmenteraient les opérations sous terre". Le programme devrait prendre fin en 2021.

Pendant ce temps, des futuristes, comme le professeur Dale Russell, imaginent une vie sous terre (“The Future of Cities” dans Samsung KX50: The Future in Focus, 29 août 2019).

Certaines technologies quantiques, par exemple les gravimètres quantiques, pourraient devenir essentielles pour cartographier le monde souterrain (voir par exemple le Dr Nicole Metje et le Dr Michael Holynski, "How can Quantum Technology make the underground visible?" Université de Birmingham, 2016 ; Geoff Zeiss, "Applying quantum effects to detecting underground infrastructure“, Between the Poles, 8 février 2021). Grâce à elles, les aménagements souterrains sont et seront probablement plus faciles à mettre en œuvre, ce qui sera très probablement clé à mesure que les environnements terrestres profonds prendront de l'importance. L'observation de ces constructions sera également cruciale en termes de sécurité (Ibid.).

Énergie géothermique

L'énergie géothermique est également un exemple intéressant d'utilisation des profondeurs de la terre (par exemple, John W. Lund, "Énergie géothermique“, Encyclopedia Britannica, 30 avril 2018 ; Julia Rosen, "Supercharged geothermal energy could power the planet“, New Scientist, 17 octobre 2018). Il s'agit d'une énergie de l'environnement extrême souterrain. Bien qu'elle soit utilisée depuis des millénaires par le biais de ses sorties naturelles facilement accessibles comme les sources chaudes, les technologies permettant une utilisation plus systématique et plus profonde sont plus récentes et évoluent au fur et à mesure que profondeur et chaleur extrêmes peuvent être atteintes et que leur canalisation devient possible.

Ces technologies sont à la fois essentielles en termes d'énergie et en terme d'accès à et d'utilisation des environnements extrêmes. Elles pourraient également avoir de graves impacts délétères, participant ainsi, à leur tour, à l'altération de l'environnement.

L'énergie géothermique pourrait également changer la donne pour certains pays, comme en témoignent les efforts du Salvador pour coupler l'énergie géothermique de ses volcans et le bitcoin, ce dernier système ayant été jusqu'ici peu respectueux de l'environnement. En outre, ici, la coordination sociale, par le biais des autorités politiques via la monnaie, est également impactée (Reuters, “Does money grow on volcanoes? El Salvador explores bitcoin mining", 10 juin 2021).

Les technologies liées à l'énergie géothermique font donc très probablement partie des technologies clés de l'avenir. Elles doivent pour le moins faire l'objet d'une veille active.

L'émergence extrême des maladies : des sous-sols profonds aux environnements contaminés

L'utilisation des environnements terrestres profonds peut également avoir des conséquences inattendues et involontaires. L'utilisation d'un environnement extrême a le potentiel de créer une boucle de rétroaction croissante avec d'autres environnements extrêmes.

Examinons un cas qui peut nous aider à commencer à comprendre ce qui pourrait se passer. Même si la mine de Mojiang à Kunming, en Chine, est une mine de cuivre abandonnée et ne fait donc probablement pas partie de ce que nous appellerions l'environnement terrestre profond, nous pouvons néanmoins utiliser cet exemple pour imaginer les impacts possibles des activités terrestres profondes - et moins profondes.

À la suite de la maladie et du décès de mineurs travaillant dans la mine abandonnée en 2012, un nouveau virus venant des rongeurs - virus henipa-like - a été identifié dans la mine, tandis que 293 coronavirus ont été échantillonnés dans et autour de la mine, parmi lesquels "huit sont des coronavirus de type "SRAS"" (Zhiqiang Wu et al., "Novel Henipa-like Virus, Mojiang Paramyxovirus, in Rats", China, 2012, Emerg Infect Dis. 2014 Jun ; 20(6) : 1064-1066 ; David Stanway, "Explainer: China’s Mojiang mine and its role in the origins of COVID-19“, Reuters, 9 juin 2021).

Si de nouveaux virus et de nouveaux hôtes possibles apparaissent, de nouvelles maladies potentiellement pandémiques pourraient suivre. Le cas de la mine de Mojiang pourrait donc être un exemple de la manière dont de nouvelles épidémies pourraient émerger des interactions entre les êtres humains et des environnements jusqu'ici vierges. Ainsi, l'environnement extrême lié à la contamination pourrait être activé.

Si nous suivons ce raisonnement et l'appliquons à l'année 2021, la question clé n'est pas de savoir si la Chine est coupable ou non d'être à l'origine de la pandémie de COVID-19, laquelle pourrait avoir pour origine la mine de Mojiang. La véritable question cruciale pour l'avenir est de savoir combien de nouvelles activités humaines dans des environnements extrêmes, rendues possibles par la technologie, pourraient déclencher des pandémies et comment atténuer ce risque.

Tous les lieux entourant des environnements extrêmes (à savoir les grands fonds marins, le sous-sol profonds et le monde du souterrain, le grand froid et le grand chaud, l'espace - pouvant provenir d'autres planètes - le virtuel - par extension les "cybervirus") devraient être étroitement surveillés pour détecter l'apparition de ces nouveaux virus et autres organismes susceptibles de provoquer une contamination. Les bactéries et les virus qui émergent de la fonte du permafrost sont un autre exemple de cette menace possible (voir par exemple Jasmin Fox-Skelly, "Long-dormant bacteria and viruses, trapped in ice and permafrost for centuries, are reviving as Earth’s climate warms“, BBC, 4 mai 2017). Les technologies permettant de surveiller ces risques, et celles qui sont permettront d'accéder aux environnements extrêmes sans déclencher de contamination, deviendraient clés.

Pour résumer, ces technologies, suffisamment résilientes pour fonctionner dans des conditions extrêmes, qui nous permettent d'accéder à des environnements extrêmes et de rendre ces derniers habitables et exploitables par les êtres humains et les sociétés, seront très probablement essentielles dans le futur.. Entre-temps, de nouvelles altérations possibles de notre environnement pourraient apparaître, entraînant des boucles de rétroactions croissantes et délétères.

Cette éventualité fâcheuse met à son tour en évidence un nouveau besoin auquel la technologie devra répondre, comme nous allons le voir maintenant.

Les technologies intensément clés pour l'avenir

Compte tenu de notre environnement modifié, nous pouvons envisager deux autres fonctions que la technologie pourrait jouer et qui en feraient des éléments clés, voire vitaux.

Les technologies pourraient atténuer les altérations et les impacts négatifs sur l'environnement, générés par l'activité humaine - et naturelle - antérieure.

De manière encore plus positive, nous pouvons imaginer des technologies qui pourraient réparer les dommages causés et soigner l'environnement.

Ces technologies de réparation et de guérison sont plus que nécessaires. Nous pouvons les considérer non seulement comme des technologies clés de l'avenir, mais aussi comme des technologies ultimes pour notre avenir.

Conclusion

En résumé, les technologies clés du futur sont celles qui contribuent à satisfaire une ou plusieurs des actions et conditions essentielles à la satisfaction des besoins individuels et sociaux en constante évolution. Ces technologies peuvent notamment contribuer à répondre aux besoins en matière d'énergie, de défense et d'attaque. Elles peuvent également intervenir dans trois types d'actions et de tâches : le mouvement et le transport de charges, l'artisanat et les différents types de mise en œuvre, et enfin toutes les tâches liées au calcul, à la mémoire, à la connaissance, à la compréhension et à la transmission.

Pour être véritablement essentielles dans le futur, et pas seulement potentiellement, ces technologies devront être suffisamment résilientes pour fonctionner dans un monde de plus en plus altéré et notamment dans des environnements extrêmes.

En outre, les technologies qui permettront d'accéder à ces environnements extrêmes et d'y mener des actions humaines seront également essentielles dans le futur.

Enfin, les technologies qui permettront d'atténuer les dommages antérieurs causés à notre environnement, au sens large du terme, ou même de soigner cet environnement, seront non seulement essentielles dans le futur, mais aussi essentielles pour le futur.

Bibliographie

DARPA, Défi Souterrain (Subterranean challenge), 2017.

Communiqué de presse de l'ISALe 24 octobre 2019

Communiqué de presse de l'ISALe 9 novembre 2020

Lavoie, Main, King, et al. Virtual experience, real consequences: the potential negative emotional consequences of virtual reality gameplayVirtual Reality 25, 69-81, 2021

Lund, John W.. "Énergie géothermique". Encyclopédie Britannica, 30 avril 2018.

Metje Nicole, et Michael Holynski, "How can Quantum Technology make the underground visible?" Université de Birmingham, 2016 ;

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Roy, Cheryl, "What are the harmful effects of virtual reality?“, Law Technology today, 21 janvier 2021 ;

Russell, Dale, "L'avenir des villes" dans Samsung KX50: The Future in FocusLe 29 août 2019.

Southern, Matt, "Study Finds 4 Negative Effects of Too Much Video Conferencing“, SEJ, 27 février 2021 ;

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Wu, Zhiqiang et al, "Novel Henipa-like Virus, Mojiang Paramyxovirus, in Rats", China, 2012, Emerg Infect Dis. 2014 Jun ; 20(6) : 1064-1066 .

Yan, Wang, Interview "China’s deep-sea mining, a view from the top“, China DialogueLe 18 octobre 2019

Zeiss, Geoff, "Applying quantum effects to detecting underground infrastructure“, Between the Poles, 8 février 2021.

Les technologies clés du futur (2) - Evolution

Pour être clés, les technologies doivent faciliter et améliorer les actions humaines.

Dans la première partie de cette série, nous avons constaté que se contenter de dresser des inventaires à la Prévert des nouvelles technologies était insuffisant pour identifier les technologies clés de l'avenir. L'utilisation de classifications inadéquates aggrave la situation. Il nous faut davantage : un système expliquant la logique qui sous-tend le succès des technologies. Nous avons donc développé un modèle schématique décrivant les raisons de l'utilisation des technologies, au niveau individuel et collectif.

Dans ce deuxième article, nous appliquons progressivement notre modèle schématique pour identifier plus précisément les technologies clés du futur. En utilisant la logique que nous avons mise en évidence, nous commençons par faire le lien entre la technologie et les actions humaines mises en œuvre pour répondre aux besoins des individus et de la société. Ensuite, nous vérifions que notre modèle nous permet effectivement de considérer l'évolution et les dynamiques, car celles-ci sont cruciales si l'on veut se projeter dans l'avenir. Cela nous donne les premières conditions ou règles que les technologies doivent remplir pour être essentielles dans le futur.

Les technologies clés permettent les actions et leurs conditions

Pour rappel, nous disposons d'un modèle qui rend explicite la logique sous-tendant la raison pour laquelle nous avons besoin de technologies et les utilisons (cf. partie 1 pour une explication).

Maintenant, nous examinons à nouveau ce modèle du point de vue des types de tâches et d'actions que nous devons effectuer pour nous assurer que les besoins individuels et sociaux sont satisfaits.

Les besoins individuels et sociaux (à gauche) sont satisfaits grâce à des "tâches et actions" (la main du milieu) rendues possibles par des technologies qui permettront également de réunir les conditions d'une action réussie.

Les technologies clés sont donc ces technologies qui participent à :

  • Faciliter trois types d'actions
    • le mouvement, le transport de charges, ainsi que la force connexe ;
    • métiers de fabrication et les différents types de mise en œuvre, ainsi que la force connexe ;
    • toutes les tâches liées au calcul, à la mémoire, à la connaissance, à la compréhension, à la transmission, etc.
  • Aider à remplir les conditions de l'action
    • Énergie : a sine qua non condition de l'action - et de la vie. En effet, sans énergie, rien n'est possible, comme l'a montré Thomas Homer Dixon (The Upside of Down: Catastrophe, Creativity, and the Renewal of Civilization, Random House Canada, 2006).
    • "Défense et attaque" : par rapport à l'énergie, les capacités de "défense et d'attaque" n'ont pas besoin d'être toutes exercées en permanence. La volonté de les exercer, cependant, doit être permanente. C'est la conscience de l'existence d'une volonté inébranlable d'exercer la défense et l'attaque qui rendra cet exercice discontinu et temporaire.
      Un exemple de ce phénomène est la dissuasion nucléaire (par exemple, Alexey Arbatov, "Nuclear Deterrence: A Guarantee or Threat to Strategic Stability?“, Carnegie Moscow Centre, 22 mars 2019). Un autre exemple est l'internalisation des normes et du système moral connexe qui permet à une société de fonctionner (par exemple, Boyd & Richerson, "Culture and the Evolution of the Human Social Instincts", dans Roots of Human Sociality, 2006). Un troisième exemple clé est le monopole légitime de la violence, lorsque les autorités rationnelles et la légitimité permettent que le monopole de la violence soit réellement utilisé le moins possible (par exemple, Moore, Injustice: The Social Basis of Obedience and Revolt, 1978, 440-449)

Les technologies qui permettent de réaliser une ou plusieurs de ces actions et les conditions de ces actions deviennent également fondamentales pour répondre aux besoins individuels et sociaux. Par conséquent, elles deviennent des technologies clés.

Les technologies clés évoluent avec le temps : Vers une phylogénie des technologies ?

Examinons maintenant ces technologies habilitantes d'un point de vue dynamique. Notre modèle schématique permet-il une évolution dans le temps ?

Ce que nous cherchons à établir ici, ce sont les relations évolutives entre la satisfaction des besoins individuels et sociaux et les actions facilitées par les technologies. Ainsi, en empruntant aux sciences naturelles, où la Phylogénie est la science/étude des relations évolutives entre les organismes, nous posons les premières pierres d'une phylogénie des technologies ("Taxonomy and Phylogeny,” Biology Library, Projet LibreTexts, 2019).

Exemple d'une phylogénie, ici pour le SARS-CoV2 (GISAID). Cette approche pourrait être adaptée pour suivre l'évolution des technologies et détecter les futures technologies clés.

Dans cet article, à titre de test et de premiers pas, nous resterons à un niveau schématique, car notre objectif est de créer un modèle-cadre qui pourra ensuite être appliqué à des technologies spécifiques. Il est évident qu'une phylogénie développée devrait détailler précisément l'évolution historique de chacune des technologies habilitantes que nous utilisons comme exemples ci-dessous. Pour l'instant, une esquisse, même imparfaite, est suffisante pour notre objectif. Ce que nous voulons, c'est tester la logique qui sous-tend le modèle.

Des technologies en évolution qui permettent de créer les conditions de l'action

Technologies liées à l'énergie

Les technologies liées à l'énergie ont évolué avec le temps. Nous avons d'abord connu une situation où aucune technologie ou presque n'était utilisée, où le soleil (et probablement la foudre) ainsi que la chasse et la cueillette - la nourriture étant l'énergie fondamentale de l'être humain comme le souligne Homer Dixon (Ibid.) - étaient la seule source d'énergie. Nous sommes ensuite passés à une époque où la "technologie", alors plutôt primitive, a commencé à être impliquée dans la découverte du feu, et l'utilisation du vent et de l'eau.

En avançant dans le temps, nous avons eu les technologies incluses dans l'agriculture sédentaire et celles qui ont permis ou facilité les découvertes liées à l'énergie, par exemple les technologies liées à l'énergie tirée du bois, puis du charbon et du pétrole ou plus largement à l'énergie extraite des combustibles fossiles. Puis les technologies ont participé à l'agriculture intensive, à l'énergie nucléaire, à la transformation en électricité. Enfin, nous avons l'utilisation technologique supérieure ou plus complexe des forces naturelles comme l'hydroélectricité, les panneaux solaires, l'éolienne, l'agriculture de précision, etc.

Technologies liées à la défense et à l'attaque

Les technologies de défense et d'attaque sont passées de l'absence d'armes, où seul le corps humain était utilisé, à l'utilisation d'outils comme armes et de grottes comme habitations. Nous avons ensuite connu le développement du métal et des armes connexes, du tir à l'arc, des armes de siège, des arbalètes, alors que murs, camps, mottes castrales et forteresses, étaient progressivement développées, etc.

Nous eûmes ensuite les armes modernes, l'extension des théâtres d'opérations et les systèmes de défense correspondants permis notamment par la poudre à canon et le moteur à vapeur. Les technologies permettant l'aviation furent ensuite ajoutées.

Nous nous dirigeons maintenant vers des armes et une défense de haute technologie (par exemple, voir les articles relatifs à la sécurité et à la géopolitique dans notre section sur l'IA).

Des technologies évolutives au service de l'action

Technologies liées au mouvement

Les technologies liées au mouvement ont évolué de l'utilisation d'animaux jusqu'aux moyens de transport modernes tels que les voitures, les camions, les avions, les trains, les navires, les navettes spatiales, les "unités" nanotechnologiques, etc.

Technologies liées à la manufacture et à la mise en œuvre

Les technologies liées à la manufacture, à l'artisanat, permirent, par exemple, de passer du nouage de matériaux de base et de peaux puis de tissus, à la coupe et à la couture avec du fil et une aiguille, tandis que les métiers à tisser devenaient de plus en plus mécanisés. Maintenant nous voyons apparaître les tissus intelligents et les textiles programmables ainsi que la capacité de les fabriquer au mieux.

Technologies liées à la cognition, à la perception et à la transmission

Les technologies liées à la cognition peuvent également être considérées comme évoluant avec le temps. Par exemple, pour le calcul, nous sommes passés du boulier aux ordinateurs de plus en plus puissants, puis aux ordinateurs quantiques. Un exemple de ce phénomène est aussi ici le développement de l'intelligence artificielle restreinte (voir L'intelligence artificielle au service de la géopolitique - Présentation de l'IA).

Compte tenu des connaissances et des recherches actuelles, nous devons ici nous pencher à la fois sur la cognition et la perception (par exemple, voir l'article d' Alexandra Michel, basé en partie sur un symposium de science intégrative lors de la Convention internationale des sciences psychologiques 2019 (ICPS) à Paris: Alexandra Michel, "Cognition and Perception: Is There Really a Distinction?", Association for psychological science, 29 janvier 2020). Nous nous sommes fait l'écho de cette perspective lorsque nous avons souligné l'importance des capteurs pour l'IA, les actionneurs en ce qui concerne l'IA n'étant rien d'autre que la possibilité de réaliser actions et tâches (voir notre article correspondant dans la section sur les capteurs et actionneurs pour l'IA, en commençant par Insérer l'intelligence artificielle dans la réalité).

L'importance de la perception et des capteurs nous dit aussi quelque chose de plus.

Elle nous rappelle que l'utilisation évolutive des technologies a lieu dans le monde. La perception doit avoir quelque chose à percevoir. Les capteurs doivent avoir quelque chose à détecter. Pendant ce temps, les actions et les tâches rendues possibles par les technologies agissent quelque part et sur quelque chose.

Ainsi, toutes ces technologies, que nous avons identifiées comme clés, ne sont en fait que potentiellement clés dans le futur. Les conditions qui les ont défini comme clés sont nécessaires, mais non suffisantes.

Les technologies ne peuvent être clés dans le futur (et le présent d'ailleurs) que si elles fonctionnent, si elles remplissent leurs fonctions, dans un environnement donné.C'est ce que nous allons voir dans la dernière partie.


Bibliographie

Images en vedette : Vaisseau spatial et planète par Reimund Bertrams d' Pixabay  / Public domain ; ferme hydroponique par iamareri d' Pixabay  / Domaine public.


Arbatov, Alexey, "Nuclear Deterrence: A Guarantee or Threat to Strategic Stability?“, Carnegie Moscow CentreLe 22 mars 2019.

Bibliothèque de Biologie, "Taxonomy and Phylogeny”, Projet LibreTexts, 2019.

Boyd, R. & Richerson, Peter. (2006). Culture and the Evolution of the Human Social Instincts. Roots of Human Sociality.

Dixon, Thomas Homer, The Upside of Down: Catastrophe, Creativity, and the Renewal of Civilization(Random House Canada, 2006).

GISAID

Michel, Alexandra, "Cognition and Perception: Is There Really a Distinction?", Association for psychological science, 29 janvier 2020.

Moore, B., Injustice: Social bases of Obedience and Revolt(Londres : Macmillan, 1978).


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